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Résidence fiscale et assujettissement à l’impôt : le Conseil d’Etat reconnaît la qualité de résident à des sociétés partiellement exonérées d’impôt

Résidence fiscale et assujettissement à l’impôt : le Conseil d’Etat reconnaît la qualité de résident à des sociétés partiellement exonérées d’impôt

Par deux décisions rendues le 2 février dernier, le Conseil d’Etat[1] reconnait que des sociétés tunisiennes bénéficiant d’une exonération partielle d’impôt sur les sociétés tunisien sur leurs bénéfices à l’exportation sont bien « résidentes » au sens de la convention franco-tunisienne alors même qu’elles n’ont supporté aucune imposition sur les années en litige, à défaut de chiffre d’affaires réalisé sur le marché local.

Le bénéfice des conventions fiscales, source de nombreux contentieux, est en principe réservé à un « résident » d’un Etat contractant, défini généralement comme « toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l’impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue ».

Qu’en est-il en présence de personnes physiques ou morales totalement ou partiellement exonérées d’impôt ? Comment apprécier cette condition d’assujettissement à l’impôt ?

Si la jurisprudence avait commencé à dresser un portrait de la notion de « résident » au sens conventionnel en apportant plusieurs précisions au gré des contentieux, les décisions commentées clarifient l’interprétation de la notion de « résident » en présence de sociétés partiellement exonérées d’impôt.

Des sociétés tunisiennes partiellement et temporairement exonérées d’impôt

Dans les deux affaires en cause, des entreprises françaises des groupes Cegid et Observatoire d’Economie Appliquée ont été assujetties, à la suite d’un contrôle fiscal, à la retenue à la source de l’article 182 B du Code général des impôts à raison des sommes versées à des sociétés tunisiennes en rémunération de diverses prestations de services de développement informatique dans un cas et d’enquêtes auprès des clients, de marketing et de gestion dans l’autre.

Si l’assujettissement de ces paiements à la retenue à la source sur le fondement du droit interne ne faisaient pas débat, le contentieux s’est noué autour de l’application de la Convention du 28 mai 1973 conclue entre la France et la Tunisie tendant à éliminer les doubles impositions : les stipulations de la Convention faisaient-elles obstacle à l’application de la retenue à la source de l’article 182 B du CGI ?

Non soutenait l’administration fiscale car faute d’acquitter un impôt sur les bénéfices en Tunisie, les sociétés prestataires ne pouvaient être regardées comme résidentes de Tunisie au sens de la Convention. Ainsi, pour le fisc français, les contribuables n’étaient pas fondés à se prévaloir de la Convention pour échapper à la retenue à la source.

Les sociétés tunisiennes en cause bénéficiaient en effet d’un régime fiscal spécifique prévu par le code d’incitation aux investissements tunisiens en faveur des sociétés dites totalement exportatrices qui exonère d’impôt les bénéfices réalisés à l’exportation pendant une durée de 10 ans. Cette exonération temporaire et optionnelle n’est que partielle et tout bénéfice réalisé dans le cadre de transactions purement domestiques reste imposable dans les conditions de droit commun.

Au cas particulier toutefois, les sociétés n’avaient réalisé sur les années en litige aucune prestation en Tunisie si bien qu’elles n’avaient été redevables d’aucune imposition sur leurs bénéfices.

L’article 3 de la convention franco-tunisienne qui retient une définition classique de « résident » ne reprend pas la réserve formulée par l’article 4.1 du modèle OCDE aux termes de laquelle l’expression « résident d’un Etat » ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans cet Etat que pour les revenus de source qui y sont situés.

Une question inédite en jurisprudence

En 2015, le Conseil d’Etat a jugé dans ses décisions Santander et LHV[2] que les personnes qui ne sont pas soumises à l’impôt en raison de leur statut ou de leur activité ne peuvent pas être regardées comme assujetties à l’impôt et donc comme résidentes au sens des conventions fiscales. Ainsi, se sont vus refuser la qualité de « résident » conventionnel un fonds de pension espagnol et une caisse de prévoyance allemande, tous deux structurellement exonérés d’impôt sur les bénéfices. Cette solution repose sur le constat qu’une personne exonérée d’impôt à raison de son statut ou de son activité est structurellement insusceptible d’être exposée au risque de double imposition, dont l’élimination est l’objet principal des conventions fiscales.

La Haute juridiction a par la suite confirmé la solution pour une société offshore soumise à une imposition forfaitaire qui n’est pas de nature identique aux impositions sur le revenu auxquels la convention s’applique[3].

Pour autant, assujettissement à l’impôt ne doit pas être confondu avec paiement effectif de l’impôt. Comme l’ont exprimé sans ambiguïté les rapporteurs publics dans ces affaires Madame Marie-Astrid Nicolazo de Barmon et Madame Emmanuelle Cortot-Boucher, le critère décisif pour être qualifié de résident n’est pas à proprement parler celui du paiement effectif de l’impôt ; ce qui importe est le motif de l’absence de paiement de l’impôt, c’est-à-dire qu’il convient de déterminer si l’on est en présence d’une exonération structurelle d’impôt ou au contraire purement conjoncturelle.

Enfin, dans une affaire portant sur la résidence fiscale en Chine d’une personne physique, le Conseil d’Etat a réaffirmé le 9 juin 2020 que l’assujettissement à l’impôt doit résulter d’un lien personnel entre un contribuable et un Etat, et non de la seule existence de revenus y trouvant leur source[4]. A cet égard, est sans incidence l’étendue de l’obligation fiscale à laquelle le contribuable est tenu dans un Etat, précisent les juges, dès lors que ce contribuable est assujetti à l’impôt (le cas échéant, sur certains seulement de ses revenus) en raison d’un lien personnel et non simplement de la source locale de ses revenus.

Des sociétés tunisiennes résidentes au sens de la convention

Les cours administratives d’appel de Paris puis de Lyon[5] saisies des litiges portant sur l’application de la convention franco-tunisienne ont statué en faveur des contribuables : dès lors que le régime tunisien des sociétés exportatrices ne portait que sur les bénéfices provenant de l’exportation (et non sur la totalité des bénéfices réalisés), les juges ont considéré que les sociétés ne pouvaient pas être regardées comme n’étant pas soumises à l’impôt sur les sociétés en Tunisie à raison de leur activité, peu important que ces sociétés n’aient pas réalisé de chiffre d’affaires sur le marché local au cours des années en litige et n’aient donc acquitté aucun impôt.

Saisi d’un pourvoi en cassation de l’administration fiscale, les juges du Palais Royal ont tout d’abord rappelé les principes issues des jurisprudences antérieures avant de préciser que pour les personnes qui ne sont assujetties que partiellement à l’impôt, « la qualité de résident d’un Etat contractant est subordonnée à la seule condition que la personne qui s’en prévaut soit assujettie à l’impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence ou d’un lien personnel analogue et non en raison de la seule existence de revenus y trouvant leur source ».

Ainsi, les cours d’appel n’ont pas commis d’erreur de droit en considérant que les sociétés, bien que n’ayant pas réalisé de chiffre d’affaires sur le marché local, étaient soumises à l’impôt sur les sociétés en Tunisie à raison de leur activité et répondaient donc à la qualification de résident.

Ces décisions transposent aux personnes morales la solution dégagée dans l’arrêt du 9 juin 2020 pour les personnes physiques. Elles confirment que le critère du lien personnel prime pour apprécier l’assujettissement à l’impôt, lequel conditionne la qualification de résident fiscal. Dès lors qu’une société est assujettie à l’impôt dans un Etat à raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction générale ou de tout autre critère analogue, elle doit être regardée comme résidente de cet Etat, peu important qu’une règle de droit interne lui octroie une exonération d’impôt sur une fraction de ses bénéfices.

Une telle position, infléchissant quelque peu la position traditionnellement retenue, a le mérite de ne priver du bénéfice des conventions fiscales que les entités structurellement exonérées de tout impôt soit du fait de leur activité soit du fait de leur statut et non celles qui, même sans être imposées, restent imposables.

[1] CE, 2 février 2022, n° 443018 société Observatoire d’Economie Appliquée et n° 446664 société CEGID.

[2]    CE 9 novembre 2015, n° 371132 Sté Santander Pensiones SA EGFP et n° 370054 min. c/ Landesärztekammer Hessen Versorgungswerk.

[3]    CE 20 mai 2016, n° 389994, Sté Easyvista.

[4]    CE 9 juin 2020, n° 434972.

[5]    CAA Paris 30 juin 2020, n° 18PA02724 et CAA Lyon 30 septembre 2020, n° 18LY03637.

Article paru dans Option Fiannce le 04/04/2022

Auteurs

Dimitri Leboff, avocat associé en droit fiscal

Alexia Cayrel, avocat en droit fiscal