Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Résiliation judiciaire d’un contrat de travail : du nécessaire examen de tous les griefs, même les plus anciens

Résiliation judiciaire d’un contrat de travail : du nécessaire examen de tous les griefs, même les plus anciens

Par un arrêt récent (Cass. Soc. 30 juin 2021, n° 19-18.533), la Cour de cassation est venue préciser que le juge qui est saisi d’une demande de résiliation judiciaire d’un contrat de travail doit examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.

 

Un mode de rupture du contrat offrant une prise de risque limitée au salarié

Sur le fondement des dispositions de l’article 1217 du Code civil, un salarié a la faculté de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas d’inexécution par l’employeur de ses obligations contractuelles.

Ce mode de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié implique nécessairement la saisine du juge et la poursuite du contrat de travail tant que ce dernier n’a pas statué, contrairement à la prise d’acte qui conduit une rupture immédiate et définitive de la relation contractuelle.

La résiliation judiciaire est par ailleurs peu risquée car si le juge estime que les manquements invoqués ne sont pas suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat aux torts de l’employeur, le contrat de travail se poursuit aux mêmes conditions.

 

La date des manquements invoqués a une incidence sur l’issue de l’action en résiliation judiciaire…

La chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en 2014 en exigeant que les manquements reprochés au soutien d’une demande de résiliation judiciaire soient suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail .

Auparavant, les juges appréhendaient avec plus de souplesse l’action en résiliation judiciaire et accueillaient les griefs dès lors qu’ils étaient « suffisamment graves ».

Ainsi, le défaut de paiement d’un montant d’heures supplémentaires de 6.307 euros ou le non-paiement d’une prime conventionnelle d’ancienneté pouvaient, par le passé, justifier la résiliation judiciaire d’un contrat de travail.

Dans la mesure où le critère aujourd’hui retenu est celui de la faculté pour le salarié de poursuivre ou non le contrat de travail en dépit des manquements dont il s’estime victime, il est probable que ces manquements ne suffiraient désormais plus pour justifier une rupture du contrat de travail.

C’est ainsi que la Cour de cassation a eu l’occasion de juger que certains manquements devaient être écartés en raison de leur ancienneté qui permettait indirectement de rapporter la preuve que le manquement invoqué n’avait pas empêché la poursuite du contrat de travail .

De la même manière, les manquements ne doivent pas avoir cessé au jour du jugement. Ainsi, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation et tiennent compte de toutes les circonstances de la cause intervenues jusqu’au jour de leur décision.

C’est pourquoi, un salarié doit être débouté de sa demande de résiliation judiciaire fondée, par exemple, sur des faits de harcèlement qui ont cessé au jour où le juge statue .

En synthèse, une demande de résiliation judiciaire peut prospérer si les manquements invoqués sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat, s’ils n’ont pas cessé à la date du jugement et ne sont pas être trop anciens sauf à risquer que le juge estime qu’ils n’ont pas empêché la poursuite du contrat.

L’arrêt du 30 juin 2021 ne constitue nullement un revirement sur ce point.

 

… mais pas sur la recevabilité de l’action

Dans cette affaire, une salariée a saisi le Conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail en invoquant des manquements de son employeur à son obligation de sécurité.

Les manquements à l’obligation de sécurité sont des manquements relatifs à l’exécution du contrat de travail qui sont soumis au délai de prescription de 2 ans prévu par les dispositions de l’article L.1471-1 du Code du travail.

Les juges d’appel ont écarté ces griefs au motif que la salariée en avait eu connaissance lors de son placement en arrêt maladie, antérieur de plus de 2 ans à sa saisine du Conseil de prud’hommes et qu’ils étaient donc prescrits.

La Cour de cassation a censuré cette position au motif qu’il appartenait aux juges du fond d’examiner l’ensemble des griefs invoqués par la salariée au soutien de sa demande de résiliation judiciaire sans en omettre certains en raison de leur ancienneté.

Elle avait déjà eu l’occasion de préciser que les juges du fond doivent apprécier l’intégralité des griefs invoqués par le salarié au soutien d’une action en résiliation judiciaire.

 

Avec ce nouvel arrêt, la chambre sociale apporte des précisions quant à l’ancienneté des griefs en précisant que la prescription des manquements invoqués n’a pas d’incidence sur la recevabilité de l’action en résiliation judiciaire.

 

Cette position n’est pas nouvelle puisqu’elle a déjà été adoptée en matière de prise d’acte .
Elle n’est pas non plus incompatible avec le courant jurisprudentiel en vertu duquel un manquement trop ancien peut laisser penser qu’il n’est pas suffisamment grave dès lors qu’il n’a pas empêché la poursuite du contrat.

En effet, si les faits les plus anciens ne peuvent être exclus d’office en raison de leur ancienneté, il est très probable qu’une action fondée uniquement sur des griefs anciens ne saurait prospérer pour ce motif.

A noter toutefois que si le caractère prescrit des griefs invoqués n’a pas d’incidence sur la recevabilité de l’action en résiliation judiciaire, les demandes pouvant découler de ces griefs comme, par exemple, le non-paiement d’heures supplémentaires ne sont pas pour autant recevables si la demande en rappel de salaire afférente est prescrite.

Ainsi, si un salarié peut solliciter la résiliation judiciaire de son contrat au motif, parmi d’autres, que des heures supplémentaires effectuées il y a 4 ans ne lui ont pas été payées, il ne peut pour autant pas obtenir le paiement de ces heures dès lors que le délai de prescription triennal applicable à une action en rappel de salaire lui serait opposable.

 

Il semblerait que l’idée de la Cour de cassation soit d’aligner par analogie le régime de la résiliation judiciaire sur le régime du licenciement pour faute grave qui suppose une faute du salarié rendant impossible son maintien dans l’entreprise.

 

L’analogie n’est toutefois pas totale dès lors que l’employeur est contraint par la prescription des faits fautifs en matière de licenciement tandis que le salarié peut invoquer des faits anciens (même si ces derniers devraient a priori être appuyés par des faits plus récents qui, pris dans leur ensemble justifieraient l’impossibilité de poursuivre le contrat).

 

(1) Cass. Soc. 26 mars 2014, n°12-35.040
(2) Cass. Soc. 20 oct. 2010, n°08-70.433
(3) Cass. Soc. 8 avril 2010, n°09-41.134
(4) Voir en ce sens par exemple Cass. Soc. 9 déc. 2015, n°14-25.148
(5) Cass. Soc. 3 mars 2021, n°19-18.110 pour une décision rendue en matière de harcèlement sexuel ou Cass. Soc. 26 oct. 2017, n°16-17.992 en matière de harcèlement moral
(6) Cass. Soc. 13 mars 2019, n°17-27.380
(7) Cass. Soc. 27 nov. 2019, n°17-31.258

 

Article publié dans Les Echos le 21/07/2021