Responsabilité du dirigeant, variations autour de la négligence
« La direction d’une société est rarement une sinécure et malheur à celui qui, trop confiant […] plane sur son petit nuage, insouciant des réalités de la gestion quotidienne. Un jour vient où l’orage de déclare et le dirigeant redescendu sur terre fait l’apprentissage de la responsabilité1« , que ce soit dans un contexte in bonis ou de procédure collective.
Malgré l’inévitable principe de responsabilité, le consensus se fait aujourd’hui sur le droit à l’échec des entrepreneurs. La culture évolue de la sanction au rebond. Curieusement, seul le droit des entreprises en difficulté traduit en droit positif cette mansuétude dans le domaine de la responsabilité des dirigeants de société.
Sociétés en liquidation judiciaire, la « simple négligence » comme source d’impunité
Nous nous en sommes déjà faits les rapporteurs dans cette lettre2, la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « loi Sapin II » a modifié l’article L.651-2 alinéa 1 du Code de commerce en précisant que la responsabilité pour insuffisance d’actif ne peut désormais plus être engagée en cas de « simple négligence » du dirigeant. Comme Michel Menjucq3, nous nous étions alors interrogés sur la méthode employée et son efficacité.
Indépendamment de ce questionnement, apparaît la volonté du législateur d’aboutir à un régime de responsabilité du dirigeant d’entreprise en liquidation judiciaire plus mesuré que ce qu’il était dans l’état antérieur des textes où toute faute était, littéralement, susceptible d’engager la responsabilité du dirigeant pour l’intégralité de l’insuffisance d’actif révélée.
La Cour de Cassation vient de confirmer que cette modification législative s’applique immédiatement aux procédures collectives et aux instances en responsabilité en cours à la date de son entrée en vigueur, soit le 11 décembre 2016 (Com., 5 septembre 2018, n°17-13.626.), renforçant ainsi la portée de cette modification destinée à favoriser le rebond des dirigeants à la suite d’un échec entrepreneurial et à ne pas décourager la création d’entreprises.
Sociétés in bonis, la négligence comme source de responsabilité
Le régime de la responsabilité de droit commun des dirigeants de sociétés4, qui repose en grande partie sur la notion de faute de gestion appréciée souverainement par les juges du fond, reconnaît, lui, qu’une telle faute puisse ne résulter que de la négligence du dirigeant. Ainsi en est-il, à titre d’exemples, du défaut de surveillance du personnel de la société ou de la passivité du dirigeant ayant connaissance d’agissements délictueux d’un préposé.
De même, en matière de responsabilité civile de droit commun, « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence » (article 1241 du Code civil).
Deux poids, deux mesures ?
L’incohérence entre ces régimes interpelle d’autant plus que le principe de non-cumul des actions5 conduit à exclure toute possibilité d’action en responsabilité civile fondée sur les régimes de droit commun dès lors qu’est exercée l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, ce qui écarte donc toute sanction de la « simple négligence » du dirigeant quand bien même celle-ci aurait contribué à l’apparition ou à l’aggravation de l’insuffisance d’actif.
Reste à savoir comment les tribunaux vont définir les contours de la notion de «simple négligence» aux vertus exonératoires en cas de liquidation judiciaire.
Notes
1 M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 22e Ed.
2 Lettre des Fusions-Acquisition et du Private Equity, en partenariat avec le magazine Option Finance, parue le 12 décembre 2016.
3 La négligence ne peut plus fonder l’action en « comblement de passif », Michel Menjucq, revue des procédures collectives n°1, janvier 2017, repère 1.
4 Articles L.223-22 et L.225-251 du Code de commerce pour les SARL et les sociétés par actions et articles 1240 et 1241 du Code civil pour les autres sociétés commerciales et pour les sociétés civiles.
5 Voir notamment : Com., 19 novembre 2013, n°12-16.099.
Auteur
Guillaume Bouté, avocat en matière de Restructuring-Insolvency.
David Mantienne, avocat en corporate/fusions & acquisitions