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Retenues à la source subies par des sociétés déficitaires : des réclamations à envisager

Retenues à la source subies par des sociétés déficitaires : des réclamations à envisager

Dans un arrêt du 27 février 2019, le Conseil d’Etat clôt un contentieux à rebondissements initié par des sociétés déficitaires européennes (sociétés Sofina, Rebelco et Sidro) ayant subi une retenue à la source sur des dividendes.
La reconnaissance d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux…

Des sociétés, qui ne remplissaient pas les conditions de l’exonération mère-fille, ont supporté une retenue à la source française immédiate et définitive de 15% (i.e., le taux conventionnel applicable), formant en principe un crédit d’impôt dans leur Etat de résidence, mais ce dernier ne pouvait en pratique être imputé compte tenu de leur situation déficitaire. Or, une société française déficitaire percevant un dividende d’une autre société française ne subit, à l’inverse, aucune imposition immédiate dès lors que le dividende perçu vient seulement réduire le déficit de la société ; l’impôt afférent au dividende n’étant alors réglé que si la société redevient suffisamment bénéficiaire.

La liberté de circulation des capitaux était invoquée pour contester cette différence de traitement et ses effets sur la trésorerie des entreprises.

Dans l’affaire Sofina, et dans le cadre d’un revirement de jurisprudence1, compte tenu de l’ambiguïté de certaines décisions de la CJUE intervenues depuis 2012 sur la question du préjudice de trésorerie subi par les entreprises, le Conseil d’Etat a transmis en 2017 des questions préjudicielles à la CJUE afin qu’elle se prononce sur la contrariété éventuelle à la liberté de circulation des capitaux de la législation française.

Dans son arrêt du 22 novembre 2018 (C-575/17, Sofina SA, Rebelco SA, Sidro SA) la CJUE a jugé que la législation française « est susceptible de procurer un avantage aux sociétés résidentes en situation déficitaire, dès lors qu’il en résulte à tout le moins un avantage de trésorerie, voire une exonération en cas de cessation d’activité, alors que les sociétés non-résidentes subissent une imposition immédiate et définitive indépendamment de leur résultat » (paragraphe 34), et que la France n’apportait pas de justification suffisante à la restriction à la liberté de circulation ainsi identifiée.

Tirant les conséquences de cet arrêt, par une décision du 27 février 2019 n°398662, le Conseil d’Etat a fait droit à la réclamation des contribuables. Mais, point intéressant, il a précisé que la situation déficitaire de la société non-résidente devait être appréciée au regard de la législation de son Etat de résidence.

… ouvre des possibilités de réclamation aux sociétés non-résidentes déficitaires ayant perçu et percevant des dividendes de source française.

En conséquence, les sociétés non-résidentes établies dans l’Union européenne qui ont reçu des dividendes de source française ayant fait l’objet de retenues à la source (pour une participation inférieure au seuil de 5% fixé pour l’exonération mère-fille), et qui peuvent démontrer qu’elles étaient déficitaires au titre de l’exercice de rattachement du dividende peuvent former des réclamations. Elles prouveront leur situation déficitaire au regard des règles de la législation de leur Etat, sans avoir à recalculer leurs résultats en application des règles fiscales françaises.

Ces réclamations porteront sur les retenues à la source encore contestables (y compris celles qui ont été prélevées depuis le 1er janvier 2019 dès lors que le législateur n’a pas réformé le dispositif de l’article 119 bis du CGI dans la dernière loi de finances).

En application de l’article R-196-1 du Livre des procédures fiscales, en matière de retenue à la source, la réclamation doit en principe avoir lieu avant le 31 décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle la retenue à la source a été opérée. Toutefois, le délai de droit commun -qui expire le 31 décembre de la deuxième année suivant celle du versement de l’impôt contesté-  est applicable si la réclamation émane de la partie versante (BOI-CTX-PREA-10-40 n°260 à jour au 25 juin 2014), et paraît même applicable dans le cas contraire. En effet, par une décision du 15 avril 2016 (n°385737, M. Mori), le Conseil d’Etat a jugé que les contribuables disposent du délai de droit commun pour former des réclamations portant sur le prélèvement prévu à l’article 244 bis A (prélèvement sur les plus-values immobilière des non-résidents), et cette décision semble transposable au cas des retenues à la source.

Les sociétés déficitaires non-résidentes, établies dans des Etats tiers à l’Union européenne (par exemple si elles sont établies au Royaume-Uni en cas de Brexit) pourront en principe également former des réclamations, s’agissant d’une législation contraire à la liberté de circulation des capitaux, dans un contexte où elles auraient subi une retenue à la source sur dividendes.

Une législation ne concernant que des participations inférieures à 10% du capital social de la société distributrice a été considérée comme ne relevant pas de la clause de gel qui permet le maintien des restrictions à la libre circulation des capitaux existantes au 31 décembre 1993, ce niveau de participation ne permettant pas de caractériser un investissement direct (CJUE 10 février 2011, C-436/08 et C-437/08). Dès lors, il nous semble que l’administration ne pourrait pas opposer la clause de gel aux réclamations des sociétés déficitaires des Etats tiers qui détiennent moins de 5 % du capital des sociétés françaises.

Les principes européens dégagés devraient être utiles aux sociétés françaises dans leurs contentieux relatifs à des retenues à la source supportées dans l’Union européenne…

Dans une situation symétrique, les sociétés françaises déficitaires ayant subi des retenues à la source sur des dividendes versés par des entreprises établies dans l’Union européenne pourraient à bon droit contester l’application de ces retenues à la source dans les Etats les ayant prélevées. Et ce, dans un contexte où les règles françaises ne permettent pas de reporter dans le temps les crédits d’impôts afférents à ces retenues à la source et non imputés en situation déficitaire (règles récemment validées par la décision QPC du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2017, n°2017-654 QPC).

… mais également pour contester certains redressements fiscaux.

De plus, la portée des arrêts Sofina de la CJUE et du Conseil d’Etat n’est probablement pas limitée aux retenues à la source sur dividendes stricto sensu, et les sociétés françaises devraient pouvoir utiliser les principes dégagés pour contester des rectifications mises à leur charge.

Dès lors que c’est le dispositif du 2 de l’article 119 bis du CGI, applicable aux revenus distribués dans leur ensemble, qui a été jugé contraire à la libre circulation des capitaux lorsque la retenue à la source est prélevée sur le revenu d’une société non-résidente déficitaire, la solution jurisprudentielle devrait être transposable à l’ensemble des distributions assujetties à cette retenue à la source, et donc notamment aux revenus réputés distribués. On pense naturellement à cet égard aux conséquences des redressements en matière de prix de transfert, lorsque la partie du prix d’une prestation ou d’une vente excédant le prix de pleine concurrence est requalifiée en revenu distribué. Si le bénéficiaire du versement est déficitaire, ce dernier ou la société rectifiée qui a consenti l’avantage pourraient désormais tenter d’échapper à l’application de la retenue à la source.

En adoptant le même raisonnement que celui appliqué aux dividendes, l’on pourrait également s’opposer à des rectifications fondées sur l’article 182 B du CGI, lorsque les sociétés bénéficiaires des sommes payées relevant du champ de cet article sont déficitaires. L’on ferait en effet valoir que les sociétés françaises déficitaires qui reçoivent des sommes relevant du champ s’application de l’article 182 B bénéficient d’un avantage de trésorerie par rapport aux sociétés non-résidentes qui subissent immédiatement et de façon définitive une retenue à la source sur le fondement de cet article.

Notes

1 Dans un arrêt GBL Energy (n°342221, 9 mai 2012), le Conseil d’Etat avait considéré que la technique d’imposition des dividendes des non-résidents et ses effets sur la trésorerie des entreprises ne constituait pas une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté de circulation des capitaux.

Auteur

Jean-Hugues de la Berge, counsel, droit fiscal

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Retenues à la source subies par des sociétés déficitaires : des réclamations à envisager – Article paru dans le magazine Option Finance le 29 avril 2019