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Retenues à la source payées par des sociétés déficitaires étrangères : une question préjudicielle porteuse d’espoir

Retenues à la source payées par des sociétés déficitaires étrangères : une question préjudicielle porteuse d’espoir

Une société française déficitaire n’est imposée sur les dividendes qu’elle perçoit que lorsqu’elle redevient bénéficiaire. L’imposition immédiate par voie de retenue à la source d’une société étrangère placée dans la même situation porte-t-elle atteinte au droit de l’Union européenne ?

Déficitaire et imposable : la double peine des sociétés européennes déficitaires recevant des dividendes français

Les sociétés déficitaires se heurtent plus que d’autres à de nombreux problèmes de double imposition. Comme on le sait, le Conseil d’Etat considère que des sociétés françaises déficitaires ne peuvent ni bénéficier des crédits d’impôts étrangers attachés aux revenus qu’elles perçoivent, ni même déduire les retenues à la source à titre de charges lorsque la convention fiscale liant la France à l’Etat de source l’interdit expressément (CE, 12 mars 2014, n°362528, Sté Céline). Cette solution, bien que discutable en droit et inutilement sévère en pratique, est pourtant en passe d’être généralisée par la seconde loi de finances rectificative pour 2017 à l’ensemble des cas où une convention s’applique.

Symétriquement, il arrive fréquemment que des sociétés étrangères non résidentes soient imposées en France, nonobstant leur situation déficitaire, en raison de l’application de la retenue à la source frappant certains revenus de source française, notamment des dividendes. C’est dans ce type d’affaire que le Conseil d’Etat a été récemment conduit à renvoyer à la CJUE plusieurs questions préjudicielles (CE, 20 sept. 2017, ns°398662, 398663, 398666, 398672, 398674, 398675, sociétés Sofina, Rebelco et Sidro).

En l’espèce, plusieurs sociétés résidentes de Belgique ont perçu de 2008 à 2011 des dividendes de plusieurs sociétés françaises, dans lesquelles elles détenaient des participations qui n’auraient pas ouvert droit au bénéfice du régime des sociétés mères prévu par les articles 145 et 216 du code général des impôts si les sociétés bénéficiaires avaient été établies en France. La loi française (dispositions du 2 de l’article 119 bis du CGI) combinée avec la convention fiscale conclue le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique (paragraphe 2 de son article 15) conduisait à l’imposition immédiate de ces dividendes par voie de retenue à la source, au taux réduit de15%.

Par voie de réclamations adressées à l’administration fiscale, les sociétés belges ont demandé la restitution des retenues ainsi prélevées, au motif qu’étant déficitaires et n’étant, par suite, redevables en Belgique d’aucune cotisation d’impôt sur leurs résultats, elles étaient, en violation de la liberté de circulation des capitaux protégée par l’article 56 du traité instituant la Communauté européenne, repris depuis le 1er décembre 2009 à l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), moins favorablement traitées qu’une société française déficitaire, qui n’est effectivement imposée sur les dividendes de source française qu’elle perçoit que lorsque son résultat imposable redevient bénéficiaire. Elles indiquent que leur résultat était négatif au cours des exercices en litige tant en application des règles belges qu’en application des règles françaises de calcul du résultat imposable.

Le constat de la différence de traitement

Pour apprécier la conformité du droit français avec le TFUE, le Conseil d’Etat commence par constater que les dividendes reçus par une société française déficitaire non éligible au régime des sociétés mères n’entraînent pas un paiement immédiat d’IS. Le dividende ne fait que réduire le déficit reportable, la perception de l’impôt étant reportée au titre de l’exercice au cours duquel la société redevient bénéficiaire. Il existe donc un désavantage de trésorerie au détriment d’une société étrangère placée dans cette même situation puisque celle-ci est immédiatement imposée par le moyen de la retenue à la source. Ce désavantage imputable au prélèvement immédiat de la retenue à la source peut même conduire au constat d’une charge fiscale définitive que ne subissent que les non-résidents, lorsque la société déficitaire cesse son activité sans redevenir bénéficiaire.

Ce préjudice de trésorerie (ou la charge fiscale définitive en cas de cessation d’activité) est-il en lui-même constitutif d’une atteinte à la liberté de circulation des capitaux ?

Une jurisprudence ambiguë de la Cour de justice de l’Union européenne

La décision du Conseil d’Etat relève que l’interprétation de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est très délicate. D’un côté, il semble résulter d’un courant de jurisprudence que ce préjudice n’est que l’effet d’une différence dans la technique d’imposition des résidents et des non-résidents qui n’est pas, en elle-même, critiquable (voir notamment CJUE, 22 déc. 2008, Truck Center SA, C-282/07). C’est d’ailleurs sur un tel raisonnement que s’était appuyé le Conseil d’Etat dans la décision GBL Energy du 9 mai 2012 (n°34222). Mais d’un autre côté, le Conseil d’Etat observe qu’il résulte aussi de la jurisprudence de la CJUE qu’un raisonnement différent pourrait être mené, conduisant à reconnaître une entorse au TFUE (le Conseil cite l’arrêt du 2 juin 2016, Pensioenfonds Metaal en Techniek c. Skatteverket, C-252/14).

Cette hésitation du Conseil d’Etat sur la correcte interprétation à retenir du TFUE le conduit à saisir la CJUE d’une question préjudicielle portant, non seulement sur l’existence d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux, mais aussi sur le caractère éventuellement justifié d’une telle restriction.

Le problème de l’assiette de la retenue à la source

Enfin, le Conseil d’Etat a estimé nécessaire de saisir la CJUE d’une dernière question dans l’hypothèse où celle-ci estimerait que le principe de la retenue à la source appliqué aux dividendes perçus par des sociétés déficitaires est conforme à la liberté de circulation des capitaux. Cette question porte sur l’assiette de la retenue : faut-il, comme pour les sociétés résidentes bénéficiaires de dividendes non soumis au régime des sociétés mères, admettre que l’assiette taxable soit réduite des frais afférents à la perception des dividendes ? ; ou bien le principe d’égalité de traitement s’accommode-t-il d’une imposition par voie de retenue à la source du dividende brut sans soustraction des frais afférents liés à sa perception ? L’hésitation du Conseil ne vient pas tant de la question de savoir si le principe d’égalité de traitement commande, en règle générale, d’imposer les résidents et les non-résidents sur une base nette, car la jurisprudence de la CJUE affirme clairement que tel doit en principe être le cas. Elle s’explique plutôt par l’ambiguïté de cette même jurisprudence sur la possibilité pour un Etat de justifier une taxation des dividendes sur une base brute lorsque cette différence d’assiette préjudiciable aux non-résidents est compensée par ailleurs avec une différence, jouant en leur faveur cette fois, dans les taux d’imposition appliqués.

Que faire aujourd’hui ?

Le renvoi de ces questions préjudicielles à la CJUE justifie que les sociétés étrangères déficitaires, qui ont acquitté en France des retenues à la source en application du droit interne et des conventions fiscales, en demandent la restitution sans attendre la décision future de la Cour, dès l’instant qu’elles sont encore dans les délais de droit commun pour le faire (art. R 196-1 LPF). Il est à noter que la question posée à la CJUE relevant de la liberté de circulation des capitaux, les sociétés établies hors de l’Union européenne peuvent également former ce type de réclamation. Pour que ces réclamations aient quelque chance de prospérer, il conviendra que la qualité de société déficitaire soit établie, non seulement au regard des règles fiscales étrangères, mais aussi des règles françaises.

 

Auteur

Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale, professeur à l’École de droit de la Sorbonne, expert du Club des juriste.

 

Retenues à la source payées par des sociétés déficitaires étrangères: une question préjudicielle porteuse d’espoir – Article paru dans le magazine Option Finance le 11 décembre 2017