Retour d’expatriation ou de détachement : quelles sont les obligations de l’employeur ?
25 avril 2018
Un arrêt récent de la Cour de cassation du 7 février 20181 est l’occasion de rappeler les difficultés susceptibles de surgir au retour d’un salarié ayant effectué des missions à l’étranger.
Le retour d’un salarié expatrié ou détaché pose des difficultés d’autant plus importantes que la durée du séjour est longue et que le poste qu’il occupait avant son départ n’est généralement plus disponible (celui-ci ayant été pourvu par un autre salarié ou les missions qui y étaient attachées ayant été reparties différemment).
Au cas d’espèce, les conditions de la réintégration en fin de mission avaient été prévues par un avenant au contrat de travail aux termes duquel l’employeur s’était engagé à réintégrer le salarié détaché à son poste ou à un poste équivalent, en France ou à l’étranger, et à lui proposer au moins un poste de reclassement au plus tard à la date connue de son retour en France. L’employeur avait respecté son engagement et, le salarié ayant refusé le poste proposé, il avait été licencié. La Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a considéré que ce licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse.
L’offre de reclassement ou de réintégration ne doit pas emporter modification du contrat de travail
Cette décision rappelle qu’un salarié ne peut pas en principe refuser sa réintégration au sein de son entreprise d’origine, dès lors que son employeur a respecté ses engagements. Il pourrait toutefois en aller autrement si la proposition de réintégration n’était pas conforme à ce qui avait été convenu entre les parties et s’accompagnait d’une modification des attributions et de la rémunération du salarié (voir en ce sens Cass. soc. 23 novembre 2016 n°15-22.568 F-D). En ce cas, il s’agit d’une modification du contrat de travail que le salarié est fondé à refuser.
Peu d’arrêts ont été rendus précédemment par la Cour de cassation en ce domaine2.
Deux décisions, dont les solutions sont relativement étonnantes, peuvent être citées. Dans ses deux affaires, les prétentions des salariés ont été écartées.
La première affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre 19983 avait pour origine le refus, par un cadre expatrié, d’une nouvelle mutation. Le salarié s’appuyait en l’espèce sur des contrats successivement passés avec chacune des filiales belge et française pour soutenir que la dernière nomination à Bruxelles constituait une modification de son contrat. Les juges ont rejeté cet argument estimant que, sous l’apparence de contrats successifs avec les filiales belge et française, l’intéressé était en réalité salarié de la société mère et qu’il n’était affecté à aucun lieu déterminé. Ils en ont conclu que la nomination à Bruxelles n’entraînait pas de modification du contrat de travail de l’intéressé et que le comportement de celui-ci qui avait tenté d’imputer la rupture à son employeur afin de rentrer immédiatement au service d’une entreprise concurrente, alors que la société mère insistait pour qu’il reprenne ses fonctions à Bruxelles et continue d’exécuter le contrat de travail, s’analysait en une démission claire et non équivoque.
Il ressort du second arrêt4 que la réintégration d’un salarié en région parisienne qui ne résulte pas de l’application d’une clause de mobilité mais du terme d’un détachement dans un département d’outre-mer ne constitue pas une modification du contrat de travail nécessitant son accord dès lors que les missions confiées à ce salarié au cours de ce détachement et à l’issue de celui-ci correspondent à ses responsabilités et fonctions. Au cas d’espèce, il a été en outre jugé que le refus délibéré et renouvelé de l’intéressé de rejoindre son poste à l’issue de la période de détachement, sur le lieu choisi d’un commun accord entre les parties lors de l’engagement, constitue une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise.
Bien que clairs dans leurs ennoncés ces arrêts paraissent devoir être exploités avec la plus extrême prudence.
En pratique, il sera opportun de prévoir à l’avance, dans le contrat de travail, l’avenant de détachement ou la lettre de mission, le type de poste ou d’emploi équivalent sur lequel le retour du salarié s’effectuera en tentant, afin d’anticiper les évolutions de l’organisation de l’entreprise, de limiter l’engagement à un niveau de classification et de rémunération.
Ceci est l’occasion de rappeler qu’avant le départ du salarié à l’étranger, l’employeur doit l’informer des conditions d’exécution de son contrat de travail ainsi que de sa situation au regard de la protection sociale. D’autres informations sont requises dans le cadre de UE5, ou encore si l’expatriation est d’une durée supérieure à un mois6 7. D’autres mentions peuvent également s’imposer en application des conventions collectives.
L’employeur doit veiller à ne pas porter une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée du salarié
Il convient de noter que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 février 2018 précité, ce ne sont pas les caractéristiques du poste (fonctions, attributions, lieu de travail, etc.) qui faisaient débat (compte tenu de la teneur de la proposition, le salarié n’avait sans doute pas là matière à attaquer son employeur) mais le caractère tardif de la proposition de reclassement.
Le salarié invoquait, compte tenu selon lui du caractère tardif de la proposition de reclassement, une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée. Il n’a pas été suivi car la Cour d’appel avait relevé que l’employeur avait proposé des mesures permettant de différer la prise de poste de 2 mois et de prendre à sa charge les frais de scolarité des enfants durant cette période.
Il s’agit là d’un autre enseignement de cet arrêt. Si au cas d’espèce l’argument tenant au respect de la vie privée n’a pas prospéré, il est permis de penser que si l’employeur omet de prendre en compte la situation personnelle et familiale du salarié quand il met en œuvre la réintégration du salarié à l’issue du détachement une faute pourrait être retenue à son encontre.
Notes
1 Cass. soc n°16-18.946 du 7 février 2018
2 En dehors des cas, non traités ici, de mise en œuvre des dispositions de l’article 1231-5 du Code du travail qui organise les obligations d’une société mère ayant mis à disposition un de ses salariés auprès d’une filiale étrangère.
3Cass. soc. 20 octobre 1998, n°4189 P, Maquest c/ SARL IMS France et autre
4Cass. soc. 24 juin 2015 n°13-25.522 (n°1083 FS-PB), N. c/ Sté Cegelec France ; dans le même sens Cass. soc. 23 juin 2010 n°08-40.581
5Directive européenne 91/533 du 14-10-1991 : JOCE L 288
6Article R 1221-34 du Code du travail
7Article R 1221-35 du Code du travail
Auteur
Carole Rometti, avocat en matière de droit du travail, droit de la sécurité sociale et de la protection sociale.
Retour d’expatriation ou de détachement : quelles sont les obligations de l’employeur ? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 24 avril 2018
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