Revente parallèle au réseau : mise en jeu de la responsabilité du revendeur parallèle
Ce qu’il faut retenir : la mise en jeu de la responsabilité d’un revendeur parallèle à un réseau de distribution exclusive sur le fondement de l’article L.442-6 6° du Code de commerce nécessite d’établir la preuve de la licéité et de l’étanchéité du réseau.
La société JPL Café Coton (ci-après la société Café Coton) commercialise des articles de prêt-à-porter pour hommes sous sa marque Café Coton à travers un réseau de distribution exclusive national et international et notamment par le biais de sa filiale italienne, la société Café Coton Italie Srl, avec laquelle elle n’a pas formalisé de contrat de distribution exclusive.
La société BLT Développement, spécialisée dans la vente de produits en ligne, a offert à la vente sur son site des chemises « Café Coton », sans y être autorisée et à un prix particulièrement bas. Elle soutenait avoir acquis régulièrement les chemises auprès d’une Société italienne tierce, laquelle les avait elle-même acquises auprès de la société Café Coton Italie Srl.
Estimant que la société BLT Développement avait porté atteinte à son réseau de distribution exclusive la société Café Coton l’a assignée en réparation de son préjudice pour concurrence déloyale.
Par jugement du 12 octobre 2012, le tribunal de commerce de Paris a fait droit à cette demande en confirmant que le revendeur en ligne hors réseau avait porté atteinte au réseau de distribution exclusive de la société Café Coton de sorte qu’il avait engagé sa responsabilité sur le fondement de l’article L.442-6 I 6° du Code de commerce.
Cette décision a cependant été infirmée en appel au motif notamment que la société BLT Développement n’avait pas porté atteinte au réseau de distribution invoqué par la société Café Coton (CA Paris, 21 janvier 2015).
Elle a cependant condamné le distributeur en ligne à payer à la société Café Coton des dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier et de son préjudice moral occasionnés par des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.
Dans un arrêt du 8 novembre 2016, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions cette décision au motif que « la revente à prix réduit d’un produit dont l’approvisionnement illicite n’est pas établi, ne constituait pas une faute constitutive de concurrence déloyale et de parasitisme et que le motif retenu par la cour d’appel, à savoir qu’en procédant à la vente de chemises à prix bas, elle avait terni la marque et l’enseigne, était impropre à caractériser une atteinte à l’image des produits de la société Café Coton » (Cass. com., 8 novembre 2016, n°15-15.072 ; voir notre commentaire de cette décision dans la lettre des réseaux de distribution de mars 2017).
C’est dans ce contexte que la cour d’appel de Paris statuant sur renvoi a rendu son arrêt (CA Paris, 15 novembre 2017, n°17/04923).
La Cour rappelle sans surprise que « le seul fait de commercialiser hors réseau des produits authentiques couverts par un contrat de distribution exclusive et/ou sélective n’est pas fautif dès lors que la revente concerne des produits acquis régulièrement » et que, par suite, « l’action en concurrence déloyale n’est possible que si à la distribution hors réseau s’ajoute une faute imputable au distributeur hors réseau ».
Au cas particulier, le fait pour un distributeur non agréé ni autorisé, de vendre des chemises, dont l’approvisionnement illicite n’a pas été établi, à des prix inférieurs à ceux pratiqués par les membres d’un réseau, n’est pas constitutif en soi, en l’absence d’autres éléments, d’un acte de concurrence déloyale et de parasitisme. En l’occurrence, la société BLT Développement a établi avoir acquis des chemises Café Coton pour les revendre sur son site Internet, auprès d’une société italienne qui n’était liée par aucune clause d’exclusivité ou soumise à aucune interdiction de revente hors réseau. Elle les avait elle-même acquises auprès de la société Café Coton Italy Srl.
L’arrêt retiendra surtout l’attention en ce qu’il se prononce sur les conditions requises de la licéité du réseau de distribution exclusive au regard de l’article L.442-6 I 6° du Code de commerce qui dispose que « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : […] 6° De participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ».
La Cour rappelle que ce texte qui a pour objet de préserver l’identité du réseau en le protégeant de la revente parallèle, entendue comme la commercialisation par des revendeurs non agréés de produits que l’organisateur du réseau destine exclusivement à une revente par des distributeurs agréés, exige un accord de distribution exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence.
Il appartient donc à la société qui l’invoque, d’une part, de démontrer que le réseau de distribution exclusive qu’elle a mis en place est licite et, d’autre part, de rapporter la preuve de la participation du distributeur hors réseau à l’interdiction de revente hors réseau faite à ses distributeurs, dont son distributeur italien, la société Café Coton Italy Srl.
Il n’est pas discuté qu’un système de distribution exclusive et/ou sélective n’est pas en soi anti-concurrentiel et qu’il ne le devient que s’il limite abusivement la liberté commerciale des revendeurs. La Cour d’appel rappelle opportunément les trois conditions requises pour qu’un tel accord puisse être considéré comme licite au regard des prévisions du 1° de l’article 101 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne :
- la nature du produit en question doit requérir le recours à un tel système afin d’en préserver la qualité et d’en assurer le bon usage ;
- les revendeurs doivent être choisis sur la base de critères objectifs qui sont fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire ;
- les critères définis ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.
En l’espèce, les produits distribués par la société Café Coton sont des chemises dont la qualité et la notoriété qui en découle peuvent justifier la mise en place d’un réseau de distribution exclusive.
Toutefois, il ressort des termes des contrats de distribution exclusive produits aux débats que les critères de sélection des distributeurs des produits ne sont pas expliqués et justifiés et que les obligations qui sont imposées à ces derniers (personnel compétent, service après-vente efficace, nécessité de veiller à l’approvisionnement constant des magasins, à la formation du personnel et au maintien de la qualité et respect de l’image de marque) restent imprécis et constituent, « des évidences commerciales applicables à n’importe quel point de vente ».
Il en ressort que la société Café Coton ne démontre pas que le recours à un système de distribution exclusive permet de préserver la qualité de ses produits ou d’en assurer le bon usage ou la distribution adéquate. Par suite, elle ne justifie pas de l’existence d’un réseau de distribution exclusive exempté au titre des règles du droit de la concurrence.
En conséquence de l’ensemble de ces éléments, la société Café Coton n’est pas fondée à invoquer les dispositions de l’article L.442-6, I, 6° du Code de commerce.
Auteur
Nathalie Pétrignet, avocat associé, spécialisée en matière de droit de concurrence national et européen, pratiques restrictives et négociation commerciale politique de distribution et aussi en droit des promotions des ventes et publicité.