Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Pas de commentaires

Risques psychosociaux : des expertises CHSCT contestables

De plus en plus fréquemment, les CHSCT recourent à l’expertise pour examiner les risques psychosociaux au travail. Un tel procédé n’est justifié que lorsque le CHSCT a identifié un risque grave pour une collectivité de salariés ou en présence d’un projet important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail. Si ces conditions ne sont pas réunies, l’employeur peut saisir le Président du Tribunal de Grande Instance statuant en la forme des référés pour obtenir l’annulation de la décision du CHSCT.

L’article L. 4614-12 du code du travail permet au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) de recourir à un expert lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement ou en cas de projet important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail.

Les CHSCT décident, de plus en plus souvent, de recourir à un expert pour examiner les risques psychosociaux au travail. Ceux-ci peuvent être entendus comme les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental.

En cas de projet important, l’employeur ne peut contester que le point de savoir si le projet litigieux est un projet important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail.

En revanche, la notion de risque grave peut être débattue. En effet, en matière de risques psychosociaux, les caractéristiques individuelles influent fortement sur la probabilité et le niveau des dommages. A titre d’illustration, le stress ne résulte pas simplement d’une situation, mais de la perception d’une menace et du fait de disposer ou non de suffisamment de ressources pour y faire face.

Aussi, le caractère pathogène des conditions de travail peut-il être apprécié de façon très différente selon la population concernée et le contexte donné.

Lorsqu’il estime que le risque a été mal jaugé et/ou que l’expertise est instrumentalisée de façon abusive pour contester la politique générale de l’entreprise en matière d’organisation du travail, l’employeur peut saisir le Président du Tribunal de Grande Instance statuant en la forme des référés afin d’obtenir l’annulation de la décision du CHSCT.

L’examen de la jurisprudence fait apparaitre que le recours à l’expertise doit reposer sur des risques psychosociaux constatés, concernant une collectivité de salariés, et présentant un certain degré de gravité.

Des risques psychosociaux constatés
Dans l’hypothèse où le CHSCT décide de recourir à une expertise au motif qu’il existerait un risque grave dans l’établissement, il lui incombe d’identifier préalablement ce risque grave, celui-ci ne pouvant être seulement potentiel ou hypothétique.

En effet, l’objet de l’expertise sur les risques psychosociaux n’est pas d’identifier les risques graves (lesquels peuvent être caractérisés par le CHSCT lui-même dans le cadre de ses missions d’enquête et d’inspection) mais d’étudier les causes de ces risques préalablement constatés afin d’y remédier.

Par ailleurs, les risques psychosociaux doivent être constatés dans l’établissement qui relève de la compétence du CHSCT ayant sollicité l’expertise. En effet, l’éloignement et une information incomplète sur les incidents intervenus dans d’autres établissements peuvent conduire à la création d’un climat excessivement anxiogène et à une perception faussée de la nature et de la portée des symptômes ou doléances des salariés.

Des risques psychosociaux à caractère collectif
L’expertise ne se justifie que lorsque les risques psychosociaux concernent une collectivité de salariés. Il appartient au CHSCT de ne pas généraliser quelques situations isolées de salariés en souffrance.

Ainsi, des difficultés relationnelles entre un nombre limité de salariés ne suffisent pas à établir l’existence d’un risque grave pour la santé et la sécurité des salariés de l’établissement.

De même, un suicide ne permet pas de recourir à une expertise s’il n’a pas de lien avec le travail du salarié, ou, même relié à une insatisfaction dans le travail, s’il n’est pas établi que les craintes du salarié aient été fondées ou justifiées.

L’expertise ne doit pas davantage avoir pour finalité inavouée la mise en cause directe ou indirecte de managers.

Des risques psychosociaux présentant un certain degré de gravité
Toutes situations à risques ne permettent pas au CHSCT de recourir à une expertise. En effet, le stress est une réaction normale de l’organisme et n’est pas obligatoirement pathogène. Il peut le devenir lorsqu’il est très intense, répété ou chronique.

Aussi, le CHSCT doit-il apporter des éléments objectifs patents ou évidents mettant en évidence une importance particulière et anormale de la souffrance collective traduisant des répercussions sur la santé des salariés.

A titre d’illustration, le risque grave allégué ne peut être constitué par un sentiment diffus de crainte ou d’anxiété sur l’avenir de l’entreprise ou du ressenti sur les conditions habituelles d’organisation, de compétitivité et de management.

L’employeur peut écarter la qualification de risque grave à l’aide d’éléments tels que :

  • les mesures prises par lui pour prévenir et combattre les risques psychosociaux (éventuelles expertises déjà menées à son initiative ou à l’initiative d’autres instances, telles que le comité d’entreprise ou le CHSCT lui-même, mais également les plans d’actions contre les risques psychosociaux mis en œuvre dans l’entreprise, etc.) ;
  • l’absence d’indicateurs laissant supposer une dégradation de la santé mentale des salariés (faible taux d’absentéisme ou de turn-over, diminution des pathologies liées au stress reconnues comme accident du travail ou maladie professionnelle par la Caisse primaire d’assurance maladie, etc.) ;
  • l’absence de plaintes circonstanciées de salariés ;
  • l’absence d’intervention ou d’alerte émise par les autorités compétentes en la matière (institutions représentatives du personnel, inspection du travail et surtout médecin du travail) ;
  • l’absence de contexte pathogène (absence de réorganisation récente, etc.).

Il est également primordial de vérifier si le CHSCT a préalablement mené une enquête sérieuse et contradictoire mettant en évidence un risque grave pour une collectivité de salariés. L’expertise devrait être, en effet, l’ultime recours lorsqu’il surgit un problème auquel aucune réponse satisfaisante ne peut être fournie avec les moyens dont dispose l’entreprise.

 

A propos de l’auteur

Nicolas Callies, avocat associé. Il est spécialisé dans la réorganisation de grands groupes industriels et d’établissements financiers, dans l’accompagnement lors de négociation avec les partenaires sociaux dans des contextes de crise, dans l’assistance à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire et de négociation de statut collectif, d’accords seniors, GPEC, droit syndical… dans les contentieux collectifs (contestation désignation d’expert, élections professionnelles…), l’épargne salariale (négociation d’accords d’intéressement, de participation et plan d’épargne dans de grands groupes), la formation en matière sociale des directeurs d’agence d’un établissement financier et de directeurs de magasin et responsables régionaux d’un groupe de distribution, le contentieux prud’homaux, le statut des dirigeants et l’assistance lors des contrôles URSSAF et contentieux sécurité sociale.

 

Article paru dans Les Echos Business du 29 mai 2013

Soumettre un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.