Rupture conventionnelle et transaction : une délicate combinaison
5 juillet 2013
Une pratique se développe consistant à compléter les ruptures conventionnelles par des transactions ayant pour objet de préserver les employeurs de toute contestation. La Cour de cassation vient d’apporter un éclairage sur les contours de cette délicate combinaison.
Avant la loi du 25 juin 2008 ayant introduit dans le droit français les ruptures conventionnelles, les départs dits « négociés » prenaient le plus souvent la forme d’un licenciement suivi d’une transaction.
Suite à l’entrée en vigueur de cette loi, il est donc devenu possible de procéder à des séparations, ouvrant droit au bénéfice de l’assurance chômage et au régime social et fiscal de faveur des indemnités de licenciement (quelque peu altéré depuis le récent assujettissement d’une fraction des indemnités de rupture conventionnelle au forfait social), sans devoir arguer du moindre motif et donc en se contentant de suivre la procédure correspondante sanctionnée par une homologation le plus souvent tacite de l’administration (sauf pour les salariés protégés). Pour autant et dans le but de « sécuriser » ces départs, une pratique s’est quelque peu développée consistant à compléter ces ruptures conventionnelles par des accords transactionnels.
Une combinaison séduisante
La rupture conventionnelle permet en effet de procéder à la rupture du contrat de travail sans avoir à disposer de motif mais ne permet guère de préserver l’employeur d’un éventuel contentieux, à propos par exemple d’un différend sur une évolution de carrière, un bonus non versé, de conditions de travail dégradées ou encore relativement à des réclamations de paiement d’heures supplémentaires non satisfaites. En présence d’un tel différend il apparaît donc tentant de compléter la rupture conventionnelle par une transaction qui permet alors d’écarter tout risque que le salarié, une fois l’indemnité de rupture conventionnelle perçue, tente d’obtenir une indemnisation complémentaire devant la juridiction prud’homale au titre par exemple des chefs de préjudice susvisés.
Mais des dispositifs difficilement conciliables
L’intérêt pour cette combinaison se heurte toutefois à la nature juridique même des dispositifs, a priori antinomiques. La rupture conventionnelle consiste en effet dans la rencontre de deux volontés, parfaitement libres et éclairées, de mettre un terme d’un commun accord au contrat. Ce dispositif induit donc des relations apaisées entre les parties et excluant par conséquent que l’une se voit contrainte d’y recourir sous la pression de l’autre. Or la transaction implique pour sa part nécessairement qu’un litige existe entre ces mêmes parties et a pour objet d’y mettre un terme au moyen de concessions réciproques. Peut-on alors concevoir que deux parties entre lesquelles existe un différend puissent se mettent d’accord pour se séparer amiablement ? Certes le différend peut porter sur une question relative non pas à la rupture du contrat mais son à son exécution mais peut-on toujours dissocier les deux sujets ?
Cinq ans après l’entrée en vigueur de cette loi, et plus d’un million de ruptures conventionnelles, la jurisprudence a dessiné les contours, pour le moins contrastés, de la réponse à cette question.
Le consentement à la rupture conventionnelle ne doit pas être vicié par le litige préalable à la transaction
Ainsi et dans deux importants arrêt du 23 mai dernier, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’existence d’un différend entre les parties n’affectait pas par elle-même la validité de la convention de rupture (Cass. Soc. 23 mai 2013, n°12-13865). Il est donc possible d’avoir un différend avec un salarié, qui pourra éventuellement être réglé par une transaction, et de néanmoins rompre le contrat dans le cadre d’une rupture conventionnelle.
La Cour de cassation ajoute cependant que la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties (L. 1237-11 du code du travail) et doit être exempte de tout vice du consentement (par exemple, en cas de harcèlement : Cass. soc. 30-1-2013 n°11-22.332).
La voie est donc étroite : si le différend, et son éventuelle résolution par voie de transaction, ne constitue donc pas nécessairement un obstacle à la rupture conventionnelle, c’est à la condition qu’il n’interfère pas sur le libre consentement du salarié lorsque celui-ci adhère à ce dispositif. Cette solution parait induire que le litige réglé par la transaction peut difficilement porter sur la rupture du contrat. La liberté de consentement à la rupture conventionnelle parait en effet exclusive d’un différend relatif à la rupture du contrat. En revanche il est concevable que la transaction puisse venir régler un différend né de l’exécution du contrat (sur la rémunération, la durée du travail…).
Seconde règle importante que vient de poser la Cour de cassation, il ne peut être opéré de doux mélange rédactionnel entre la rupture conventionnelle et la transaction. Il a ainsi été jugé dans un arrêt en date du 26 juin 2013 (n°12.15.208) qu’une clause de renonciation à tout recours contenue dans une convention de rupture conventionnelle doit être réputée non écrite, sans qu’en soit affectée la validité de la convention elle-même. Il est donc impératif de clairement distinguer les actes : la rupture conventionnelle d’un côté, qui met fin au contrat, et la transaction de l’autre qui solde un litige dont la teneur doit être clairement explicitée.
Un nécessaire examen au cas par cas
Seul en définitive un examen des circonstances de chaque espèce permet de déterminer la possibilité de combiner rupture conventionnelle et transaction : la nature comme l’importance du litige, la situation du salarié, les différents écrits échangés ou encore le calendrier des accords peuvent être autant d’éléments à prendre en considération pour envisager une telle combinaison. Cette dernière n’est au demeurant pas sans soulever d’autres difficultés s’agissant du traitement social et fiscal de l’éventuelle indemnité prévue par la transaction, dès lors que celle-ci doit être alors distincte de l’indemnité de rupture qui bénéficie d’un régime de faveur spécifique.
La prudence commande donc sinon d’éviter cette combinaison à tout le moins de l’envisager avec de sérieuses précautions…
A propos de l’auteur
Pierre Bonneau, avocat associé. Il intervient en conseil et contentieux en droit du travail, droit pénal du travail et droit de la protection sociale. Il détient une forte expérience notamment dans le domaine de la représentation du personnel et dans la gestion des relations sociales : assistance quotidienne de nombreuses entreprises et organismes dans ce domaine, gestion de contentieux divers (délit d’entrave, discrimination…), mise en place d’accords, formations régulières (actualité sociale, négociation collective…). Son activité consiste plus généralement à conseiller au quotidien les entreprises sur les aspects juridiques des relations individuelles et collectives de travail ainsi qu’en matière de protection sociale.
Article paru dans Les Echos Business du 5 juillet 2013
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