Rupture d’un commun accord du contrat de travail d’un salarié protégé via un PDV inclus dans un PSE : pas de contrôle du motif économique par l’inspection du travail
8 juillet 2024
Dans un arrêt du 3 avril 2024 (1), le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’étendue du contrôle de l’inspection du travail, en cas de rupture du contrat de travail d’un salarié protégé qui s’inscrit dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) dit « mixte », c’est-à-dire avec plan de départ volontaire (PDV).
Par cette décision, la Haute juridiction considère qu’en cas de rupture d’un commun accord du contrat de travail d’un salarié protégé, dans le cadre d’un PDV intégré dans un PSE, l’inspection du travail n’a pas à contrôler le motif économique du licenciement pour autoriser la demande de rupture du contrat de travail.
Rappel des faits et de la procédure
En l’espèce, une société appartenant à un groupe a, dans le cadre d’un projet de réorganisation, procédé à la fermeture de l’un de ses sites entrainant, au maximum, le licenciement de 543 salariés.
Compte tenu de l’importance de ce projet sur l’emploi et en application des dispositions légales, un PSE unilatéral, comportant une phase de volontariat, a été homologué par l’administration par une décision en date du 11 avril 2018.
Dans le cadre de la mise en œuvre du plan de départs volontaires, un des salariés concernés par le projet de restructuration, qui disposait d’un mandat de membre élu du comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail, et donc d’une protection en cas de rupture de son contrat de travail, a souhaité bénéficier du PDV mis en place.
Son employeur a sollicité l’inspection du travail compétente afin d’obtenir l’autorisation de rompre d’un commun accord le contrat de travail de ce salarié protégé.
Par décision du 30 août 2018, l’inspection du travail a autorisé la rupture du contrat de travail du salarié protégé.
Ce dernier, considérant notamment que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où le cadre d’appréciation du motif économique, au sein du groupe auquel son employeur appartenait, n’avait pas été bien apprécié par l’inspection du travail, a décidé d’intenter une action en justice auprès du conseil de prud’hommes.
La juridiction prud’homale a dû sursoir à statuer en attendant que le tribunal administratif se prononce sur la légalité de la décision de l’inspection du travail.
Dans le cadre d’une décision du 1er décembre 2022, le tribunal administratif a considéré que la décision de l’inspection du travail autorisant le licenciement du salarié protégé n’était entachée d’aucune illégalité au motif qu’il n’appartient pas à l’inspection du travail d’apprécier, au cas particulier, le bien fondé du motif économique du licenciement.
Le salarié a donc formé un pourvoi contre cette décision devant le Conseil d’Etat.
Ce dernier devait donc se prononcer sur l’étendue du contrôle de l’inspection du travail dans le cas d’une demande d’autorisation de rupture du contrat de travail d’un salarié protégé ayant adhéré à un PDV intégré dans un PSE.
La nécessaire vérification du bien-fondé de la rupture du contrat de travail par l’administration en cas de licenciement pour motif économique
Dans le cadre de sa décision, le Conseil d’Etat rappelle que «les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle».
Cette protection qui résulte des articles L.1237-15, L.2411-1 et suivants du Code du travail impose que la rupture du contrat de travail fasse l’objet d’une autorisation préalable par l’administration. Cette protection joue, quelle que soit l’origine de la rupture du contrat de travail (2).
Dans la présente affaire, le Conseil d’Etat devait donc déterminer si le motif économique faisait partie des points devant être vérifiés par l’administration dans le cadre de son contrôle.
Pour ce faire, il distingue :
-
- l’hypothèse où la rupture du contrat de travail résulte du licenciement pour motif économique du salarié protégé ;
-
- de l’hypothèse où le salarié a accepté la rupture d’un commun accord de son contrat de travail via son adhésion à un PDV.
Dans le premier cas (celui du licenciement pour motif économique), sans déroger à la jurisprudence constante en la matière, le Conseil d’Etat indique qu’il «appartient à l’inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, notamment de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si la situation de l’entreprise ou, le cas échéant, celle du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises, établies sur le territoire national, du groupe auquel elle appartient, justifie le licenciement du salarié protégé».
Ainsi, en cas de licenciement pour motif économique nécessitant la mise en œuvre d’un PSE, l’inspecteur du travail se doit de contrôler le motif économique.
Plus précisément, l’inspecteur du travail vérifie si la cause économique relève d’un ou plusieurs des motifs légalement prévus (3).
On relèvera que, lorsque l’entreprise, dans laquelle la restructuration est opérée, n’appartient pas à un groupe, cette vérification s’apprécie au niveau de l’entreprise prise dans son ensemble.
En revanche, lorsque l’entreprise concernée appartient à un groupe, le motif économique est analysé dans le secteur d’activité (4) commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient établies sur le territoire national.
L’employeur doit fournir des éléments pour caractériser le secteur d’activité (5). Après la détermination du secteur d’activité concerné, l’inspecteur du travail contrôle la réalité du motif économique dans ce secteur uniquement, et ce, au niveau du groupe, et non uniquement au niveau de l’entreprise du groupe concernée.
Au cas particulier, puisque la société appartenait à un groupe, il convenait de déterminer le secteur d’activité permettant d’apprécier l’existence d’un motif économique. Pour sa part, le salarié protégé considérait que la décision de l’inspecteur du travail était illégale car il avait pris en considération le mauvais secteur d’activité pour analyser le motif économique.
Selon lui, le secteur d’activité pertinent était celui de la dermatologie et non pas celui de la dermatologie de prescription qui était trop réducteur.
Toutefois, un tel argument ne pouvait, selon le Conseil d’Etat, avoir des chances de prospérer qu’en cas de rupture du contrat de travail dans le cadre d’un licenciement pour motif économique et non pas dans le cas d’une rupture d’un commun accord.
L’absence de contrôle du motif économique par l’administration en cas de rupture d’un commun accord du contrat de travail d’un salarié protégé
L’apport de cet arrêt, qui ne fait que confirmer la position de l’administration, réside dans le fait que l’adhésion d’un salarié protégé à un PDV emporte rupture d’un commun accord de son contrat de travail et donc l’absence de contrôle du motif économique à l’origine du PSE auquel le PDV est adossé.
Cette décision est logique au regard de la jurisprudence existante sur l’absence de possibilité de contester le motif économique pour les salariés non protégés qui signent une rupture d’un commun accord (6).
Cette décision vient également clarifier la jurisprudence des juges du fond qui hésitaient sur ce point dans la mesure où la rupture découle d’une mesure du PSE.
Une telle décision nous apparaît justifiée dans la mesure où, même si le PDV est adossé à un PSE, la nature de la rupture du contrat de travail ne résulte pas d’un licenciement mais d’un accord entre le salarié concerné et l’employeur.
Ce n’est donc plus le motif économique à l’origine de la rupture du contrat de travail (et de la mise en place d’un PDV) qui est central mais bien l’acceptation du salarié de quitter l’entreprise de manière volontaire, qui se traduit par un accord ayant force obligatoire entre le salarié et son employeur.
Compte tenu de l’existence d’un tel accord, l’étendue du contrôle de l’inspecteur du travail se limite à la vérification du libre consentement du salarié protégé dans l’acceptation de la rupture amiable de son contrat de travail.
Ce ne sera que s’il est constaté une situation de fraude ou un vice de consentement que l’inspecteur du travail pourra refuser la demande de rupture du contrat de travail.
Il en résulte que, si un salarié protégé entend contester la rupture d’un commun accord de son contrat de travail, il est préférable qu’il tente d’obtenir la nullité du PSE dont les conséquences s’étendraient également aux départs amiables qui seraient annulés.
Cette décision milite donc en faveur de dispositifs de départs volontaires attractifs afin qu’un maximum de salariés protégés puissent en bénéficier et que l’autorisation de rompre le contrat de travail ait plus de chance d’être donnée par l’administration.
AUTEURS
Laura Sultan, Avocate Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats
Sébastien Mostosi, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Conseil d’Etat, 3 avril 2024, n°469694
(2) Cela résulte notamment des articles L.1231-1 et L.1231-2 du Code du travail qui prévoient que le contrat de travail peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié, ou d’un commun accord, sans que l’on puisse déroger aux dispositions légales assurant une protection particulière à certains salariés.
(3) Article L.1233-3 du Code du travail : il s’agit (i) de difficultés économiques, (ii) de mutations technologiques, (iii) d’une réorganisation opérée en vue de sauvegarder la compétitivité ou (iv) de la cessation totale et définitive d’activité de l’entreprise.
(4) Pour rappel, le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par (Article L.1233-3 du Code du travail) :
– la nature des produits biens ou services délivrés ;
– la clientèle ciblée ;
– les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
(5) En l’absence d’éléments ou lorsqu’ils s’avèrent insuffisants pour caractériser le secteur d’activité, l’inspecteur du travail ne peut vérifier la réalité du motif économique et peut décider de refuser l’autorisation de licenciement, sauf à ce qu’il considère avoir suffisamment d’éléments pour déterminer un secteur d’activité pertinent.
(6) Notamment : Cass. soc., 8 février 2012, n°10-27.176 ; Cass. soc.,9 avril 2015, n° 13-23.588.
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