Rupture d’une relation commerciale établie : quand la modification des conditions d’exécution du contrat pendant le préavis caractérise la brutalité de la rupture
Selon l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, lorsque l’un de ses protagonistes souhaite mettre fin à une relation commerciale établie, il doit accorder à son cocontractant un délai de préavis lui permettant d’organiser et d’assurer sa reconversion en maintenant son flux d’affaires sur ladite période de préavis, c’est-à -dire pendant un temps suffisant pour lui donner les moyens de trouver de nouveaux clients.
Le même article prévoit toutefois qu’en cas d’inexécution contractuelle, le contrat peut être rompu sans préavis. Dans cette hypothèse, il faut établir que l’inexécution contractuelle fautive est imputable à son cocontractant (voir notre article sur ce sujet dans la lettre des réseaux de distribution de décembre 2014).
La Cour de cassation rappelle une utile précision sur l’articulation entre ces deux règles. Elle vient en effet de juger que le cocontractant à l’origine de la rupture devait –assez logiquement– opter pour la mise en œuvre de l’une ou l’autre de ces deux dispositions, c’est-à -dire :
- soit estimer que les manquements reprochés à son cocontractant sont tels qu’ils constituent de fait une inexécution du contrat. Dans ce cas, la rupture peut s’opérer sans préavis ;
- soit considérer que la mise en œuvre du contrat n’est plus satisfaisante pour lui, pour des raisons tenant, pour ne donner que quelques exemples, à un changement de stratégie commerciale, au souhait de systématiser les appels d’offres, ou aux imperfections de mise en œuvre du contrat par son cocontractant. Dans ces cas, c’est-à -dire en l’absence de faute du cocontractant ou si celle-ci est insuffisante pour caractériser une inexécution contractuelle, la partie à l’origine de la rupture doit accorder un préavis à son cocontractant, en tenant compte de l’ancienneté de leurs relations commerciales et, selon la jurisprudence, des autres circonstances, comme le volume d’affaires qu’elle lui apportait jusque-là .
Si la partie à l’origine de la rupture opte pour la seconde solution, elle doit véritablement donner toutes les chances à son cocontractant de maintenir son flux d’affaires pendant la période de préavis, et le mettre en mesure de chercher de nouveaux fournisseurs. De ce fait, « sauf circonstances particulières, l’octroi du préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures« . Tel ne saurait être le cas si le fournisseur retire à son distributeur, en cours de préavis, l’exclusivité dont il bénéficiait (Cass. Com, 10 février 2015, n°13-26.414). Ce faisant, il a en pratique rompu brutalement la relation commerciale, le préavis de 12 mois n’ayant aucune effectivité.
La Cour de cassation réaffirme également, dans cette décision, que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de l’insuffisance (ou de l’ineffectivité) du préavis, et non de la rupture elle-même. La cour d’appel qui, saisie d’un litige, se prononce en la matière, doit préciser en quoi les préjudices allégués par la victime de la rupture ont été causés par le caractère brutal de celle-ci. Si ce rappel est heureux, au regard des objectifs de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la démonstration n’est pas aisée, en pratique…
Auteur
Francine Van Doorne-Isnel, Avocat-counsel, spécialisée en droit commercial et droit de la distribution