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Saisie-contrefaçon : les pièges à éviter

Saisie-contrefaçon : les pièges à éviter

Par une décision du 27 mars 2018, la cour d’appel de Paris semble rompre avec la pratique antérieure qui admettait que le Conseil en propriété industrielle (CPI) habituel du saisissant pouvait valablement assister l’huissier lors des opérations de saisies-contrefaçons.

Dans l’affaire qui a donné lieu à cette décision, la société JC Bamford Excavators (JCB) reprochait à la société Manitou la reproduction des revendications de ses brevets. Préalablement à la saisie-contrefaçon, JCB avait fait établir par ses CPI habituels un rapport compilant les résultats des tests réalisés sur les produits litigieux. Ces mêmes CPI ont ensuite assisté l’huissier lors des opérations de saisie.

Arguant de la partialité des CPI, la société Manitou réclamait la rétractation de l’ordonnance et l’annulation du procès-verbal de saisie.

Pour annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon, la Cour d’appel reproche aux deux CPI d’avoir été désignés à deux reprises dans un même litige en contrefaçon, d’abord pour procéder à une expertise privée, puis en tant qu’experts judiciaires pour assister l’huissier. La Cour indique ainsi que « des conseils en propriété industrielle ne peuvent, sans qu’il soit nécessairement porté atteinte au principe d’impartialité exigé par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, être désignés comme experts par l’autorité judiciaire alors qu’ils étaient antérieurement intervenus comme experts pour le compte de l’une des parties dans la même affaire » (CA Paris, 27 mars 2018, n°17/18710).

Cette décision peut surprendre dans la mesure où tant la pratique que la jurisprudence de la Cour de cassation vont en sens inverse. En effet, depuis un arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2005, il était communément admis que le CPI, fût-il le conseil habituel de la partie saisissante, pouvait être désigné en qualité d’expert dans le cadre d’une saisie-contrefaçon sous réserve de respecter ses obligations déontologiques (Cass. com., 8 mars 2018, n°03-15.871). Les obligations déontologiques des CPI étaient donc considérées comme une garantie suffisante de leur indépendance et de leur impartialité. Sur un plan pratique, la solution était avantageuse puisque le CPI habituel du saisissant connaît la technologie brevetée et apparaît donc comme la meilleure personne pour guider l’huissier le jour de la saisie.

Alors, pourquoi la Cour a-t-elle annulé la saisie dans cette affaire Manitou ? Il y a certainement plusieurs raisons car la solution « habituelle » n’emportait pas l’adhésion de tous. Au cas particulier, les CPI avaient étudié les produits argués de contrefaçon et fait des tests avant de procéder à la saisie. Ainsi, en plus de connaître la technologie brevetée, les CPI connaissaient aussi les produits de la partie adverse avant de participer à la saisie, ce qui semble effectivement difficile à concilier avec l’exigence d’impartialité.

Le débat n’est pas clos, puisqu’il semblerait qu’un pourvoi en cassation ait été formé.

En tout état de cause, ces exigences imposent la mise en place d’une stratégie précise pour rassembler les preuves. En effet, d’un côté, les juges sont de plus en plus exigeants sur les preuves qu’il convient de présenter pour obtenir une autorisation de procéder à une saisie-contrefaçon mais, d’un autre côté, il serait périlleux d’impliquer le même CPI dans la préparation du dossier et dans la réalisation de la saisie… Rappelons par ailleurs que l’autre grand moyen de preuve de la contrefaçon, le constat d’achat, est lui aussi régulièrement remis en question, notamment sur le fondement de l’impartialité des personnes qui participent à l’acte d’achat (Cass. 1re civ., 25 janvier 2017, n°15-25.210).

La preuve de la contrefaçon est décidément un art délicat.

 

Auteur

Jean-Baptise Thiénot, avocat counsel, droit de la propriété intellectuelle, réglementation des produits de santé

 

Saisie-contrefaçon : les pièges à éviter – Article paru dans la Lettre Propriétés Intellectuelles de juillet 2018