Salarié, drogue et test salivaire : une possibilité ouverte sous conditions
18 janvier 2017
Le Conseil d’Etat valide, dans un arrêt du 5 décembre 2016, la pratique des tests salivaires visant à dépister l’usage de stupéfiants mis en œuvre par un supérieur hiérarchique, à condition que ce type de contrôle soit prévu par le règlement intérieur et encadré afin d’assurer le respect du principe de proportionnalité.
L’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur peut le conduite à mettre en place des dispositifs de contrôle afin d’éviter et/ou de faire cesser toute situation dangereuse que pourrait entraîner la présence de salariés sous l’emprise d’alcool ou de drogue sur le lieu de travail.
Si la question des tests d’alcoolémie a donné lieu à plusieurs arrêts, le régime des dépistages de drogue posait encore de nombreuses questions juridiques sur lesquelles le Conseil d’Etat a pu donner son éclairage dans sa décision du 5 décembre 20161.
Cette affaire trouve son origine dans la volonté de la société Sud Travaux, une entreprise de construction dans le bâtiment, d’intégrer à son règlement intérieur la possibilité pour un supérieur hiérarchique d’effectuer des tests salivaires sur des salariés affectés à des postes dits « hypersensibles » afin de vérifier qu’ils ne se trouvaient pas sous l’emprise de drogue. L’inspecteur du travail a exigé le retrait de ces dispositions, décision contestée par l’employeur devant les juridictions administratives et portée jusqu’au Conseil d’Etat. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de l’arrêt de la plus haute juridiction administrative.
Le test salivaire n’a pas à être pratiqué par un professionnel de santé
L’arrêt du 5 décembre 2016 permet tout d’abord de répondre au débat relatif aux personnes habilitées à pratiquer ces tests.
Certains, dont l’Inspecteur du travail ayant été saisi du projet de règlement intérieur, considéraient en effet que seul un professionnel de santé était compétent dans la mesure où le contrôle de la consommation de drogue impliquait un « prélèvement » sur le salarié. Le Conseil d’Etat n’a pas suivi cette thèse. Il a souligné que le test salivaire :
- n’avait pas à être mis en œuvre par un biologiste médical ou sous sa responsabilité dans la mesure où il ne pouvait être qualifié d’examen de biologie médicale ;
- ne nécessitait pas l’intervention du Médecin du travail dès lors qu’il n’avait pas pour objet d’apprécier l’aptitude médicale du salarié à exercer son emploi.
Dans ce contexte, le Conseil d’Etat en a déduit que rien n’interdisait à un supérieur hiérarchique de pratiquer les tests salivaires visant à dépister la consommation de drogue des salariés. Cette position pragmatique offre aux entreprises la possibilité de répondre rapidement, et sans avoir à faire déplacer un membre d’une profession médicale, aux situations d’urgence résultant de la présence d’un salarié sous l’emprise de stupéfiants.
Le contrôle ne peut être généralisé à tous les salariés et à tous les secteurs
Le test salivaire constitue une restriction aux droits et libertés du salarié qui doit être justifiée et proportionnée au but recherché.
Prenant en compte l’obligation de sécurité de résultat à la charge de l’employeur, mais également l’imprécision des tests salivaires qui se bornent à établir la consommation « récente » de produits stupéfiants, le Conseil d’Etat considère que la mise en place de ce type de tests ne doit pas être généralisée.
En application de ce principe le Conseil d’Etat valide les dispositions du règlement intérieur de la société Sud Travaux qui limitaient ce type de contrôle aux seuls salariés occupant des postes « hypersensibles », ces postes ayant été préalablement identifiés par l’employeur en collaboration avec le Médecin du travail et les Délégués du personnel.
Le contrôle visant à vérifier qu’un salarié n’est pas sous l’emprise de drogue sur son lieu de travail doit donc, pour être licite, ne viser que les collaborateurs occupant des postes à risque, c’est-à-dire dans le cadre desquels la consommation de drogue serait de nature à exposer les personnes à un danger : conducteurs de véhicules ou d’engins, manipulation de produit dangereux, surveillances de personnes fragiles… La Direction générale du travail et la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie préconisent d’ailleurs d’annexer au règlement intérieur la liste des postes concernés, sans être obligatoire cela revêt l’intérêt d’éviter tout débat sur le sujet avec le salarié lors de la mise en œuvre d’un contrôle.
Le règlement intérieur doit encadrer les tests salivaires de garanties suffisantes
Le Conseil d’Etat a, dans sa décision, pris le soin de souligner que le règlement intérieur qui lui était soumis encadrait les tests d’un certain nombre de garanties.
Le salarié pouvait, tout d’abord, demander une contre-expertise. Ce garde-fou revêt une importance particulière compte tenu des risques d’erreurs inhérents à ces tests salivaires. Il apparaît comme une condition essentielle de la licéité du contrôle, également imposée par la jurisprudence en matière de d’alcootest dans le cadre duquel le salarié doit aussi pouvoir contester les résultats.
Le Conseil d’Etat souligne également que, si les résultats du test ne sont pas couverts par le secret médical, l’employeur et le supérieur hiérarchique sont tenus au « secret professionnel » sur son résultat. Cette dernière exigence peut sembler délicate d’application dès lors qu’un contrôle positif peut entraîner le prononcé d’une sanction disciplinaire.
Le résultat positif peut donner lieu à sanction disciplinaire
Le Conseil d’Etat considère que le règlement intérieur peut prévoir la possibilité de sanctionner les salariés en cas de contrôle positif.
Prenant le contre-pied de ses décisions anciennes rendues en matière de contrôles d’alcoolémie (notamment CE 12 novembre 1990 n°96721), le Conseil d’Etat semble ici se rallier à la position de la Cour de cassation qui admet la validité des sanctions disciplinaires fondées sur un résultat positif d’alcootest (Cass. Soc. 22 mai 2002 n°99-45.878).
La décision du Conseil d’Etat peut toutefois surprendre lorsque l’on sait que le test salivaire révèle uniquement une prise de drogue « récente » mais ne permet pas d’établir, contrairement à l’alcootest, que le salarié est sous emprise de stupéfiant sur le lieu de travail. Elle peut toutefois s’expliquer par le fait, d’une part, que seuls les salariés occupants des postes « hypersensibles » sont concernés par ce type de contrôle, et d’autre part, que la consommation de drogue en dehors comme sur le lieu de travail, reste une infraction pénale.
Note
1 CE 5 décembre 2016 n394178
Auteur
Emilie Bourguignon, avocat en droit social.
Salarié, drogue et test salivaire : une possibilité ouverte sous conditions – Article paru dans Les Echos Business le 18 janvier 2017
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