Salariés et dirigeants français amenés à passer du temps en Chine: quelles règles d’imposition?
Les dispositions légales régissant l’impôt sur le revenu en Chine ont été profondément réformées. Certaines modifications concernent les dirigeants et salariés français qui sont amenés à y travailler. C’est l’occasion de faire le point sur les règles qui leur sont applicables.
Le rééquilibrage en cours de la Chine, d’une économie tournée vers les surplus d’exportation à une croissance basée sur la consommation interne, pousse le Gouvernement chinois à une plus stricte capture de ses revenus. Cette politique a un impact sur les salariés et dirigeants français dans la mesure où la dernière réforme entreprise concerne l’impôt sur le revenu des particuliers (« IIT ») et a significativement modifié les règles d’imposition. Les nouvelles dispositions s’appliquent à compter du 1er janvier 2019.
1. Un élargissement de la notion de résidence fiscale en Chine
Les anciennes règles fiscales ne donnaient pas de définition de la résidence fiscale. En pratique, les personnes physiques qui séjournaient en Chine pendant 1 an ou plus étaient considérées comme résidentes fiscales de Chine. Désormais, une personne physique est résidente fiscale de Chine lorsque (i) elle a son domicile en Chine -i.e. sa « résidence habituelle », elle-même déterminée en fonction de la détention ou non d’une carte de résident/hukou ou de ses intérêts familiaux et économiques en Chine- ou (ii) en cas de séjour en Chine pendant 183 jours ou plus durant l’année fiscale considérée. Il convient donc désormais de porter attention aux règles d’imposition chinoises dès 183 jours de présence en Chine, et non plus un an.
2. La préservation de certaines règles favorables aux expatriés
Les résidents fiscaux de Chine sont assujettis à l’IIT en Chine sur leurs revenus mondiaux, tandis que les non-résidents ne sont imposables que sur leurs revenus de source chinoise. Les traitements et salaires des non-résidents sont ainsi imposables en Chine lorsque l’emploi est exercé en Chine, que les revenus sont supportés par un établissement stable en Chine ou que les services sont effectivement réalisés en Chine par le salarié. Des exceptions à ces règles de territorialité, favorables aux expatriés, existent cependant. Elles ne sont pas remises en cause par la réforme de l’IIT.
Les expatriés qui séjournent 183 jours ou plus en Chine sans y être domiciliés, bien que résidents fiscaux, sont toutefois exonérés d’IIT au titre de leurs revenus qui ne sont pas de source chinoise et qui sont payés par des entités ou personnes physiques non-chinoises tant que le nombre d’années consécutives durant lesquelles ils remplissent le critère du séjour de 183 jours n’excède pas 6 au lieu de 5 avant la réforme. Trente jours consécutifs de séjour hors de Chine au cours d’une année suffisent pour que le décompte des 6 ans reparte à 0.
Les expatriés non-résidents qui séjournent en Chine moins de 90 jours au cours d’une année sont exonérés d’IIT au titre de leurs revenus de source chinoise payés par des employeurs étrangers et dont la charge n’est pas supportée par une entité ou un établissement de l’employeur étranger en Chine. Cette exonération est toutefois déjà assurée en principe par les dispositions de la convention fiscale franco-chinoise (cf. § 5 ci-dessous).
3. Une nouvelle catégorie de revenus
L’IIT est un impôt cédulaire. Les nouvelles règles fiscales introduisent une nouvelle catégorie de revenus imposés selon un barème progressif dont les taux vont de 3 à 45%1, appelée « revenu global ». Plusieurs types de revenus autrefois imposés séparément sont agrégés dans cette nouvelle catégorie. Les traitements et salaires en font partie. Ils comprennent de manière générale tous les éléments de revenus rattachés à l’emploi, ce qui inclut notamment les bonus et primes, les stock-options, les indemnités de licenciement. En principe, les avantages en nature octroyés par l’employeur sont imposables entre les mains de l’employé. La prise en charge de l’IR par l’employeur constitue également un revenu imposable.
Les rémunérations des dirigeants sont imposées dans la même catégorie « revenu global » que les traitements et salaires, même en l’absence de contrat de travail.
Les gains d’acquisition de stock-options de sociétés cotées perçus par un résident fiscal sont traités comme des salaires pour l’imposition à l’IIT. Jusqu’au 1er janvier 2022, ils peuvent sous certaines conditions être imposés séparément pour l’application du barème progressif. Lorsque le salarié est non-résident, en principe, seule la fraction du gain d’acquisition attribuable à l’exercice d’une activité salariée en Chine et supportée par une entreprise ou un établissement chinois devrait être imposable en Chine.
4. De nouvelles déductions fiscales et une nouvelle méthode de calcul
Les déductions autorisées sur l’IIT sont très limitées. Les contribuables ne peuvent pas déduire les pertes et dépenses supportées en vue de l’obtention d’un revenu salarial, mais bénéficient d’un abattement forfaitaire mensuel de 5 000 RMB (montant augmenté lors de la réforme). Au titre des « déductions spécifiques », les résidents peuvent notamment déduire les cotisations sociales salariales qu’ils versent.
Des « déductions spécifiques additionnelles » sont créées à compter du 1er janvier 2019 au bénéfice des résidents. Elles comprennent les coûts relatifs à l’éducation des enfants, la formation continue, les prêts immobiliers, les loyers d’habitation, les dépenses de santé et les frais de prise en charge des personnes âgées. Ces nouvelles déductions sont toutefois plafonnées. Les expatriés résidents fiscaux de Chine qui bénéficiaient, au titre des anciennes règles, d’exonération d’IIT sur les avantages en nature liés à ces mêmes coûts (logement, formation linguistique, éducation des enfants), mais sans plafonnement, devraient ainsi être désavantagés par la réforme. Un dispositif transitoire leur a été toutefois réservé leur laissant la possibilité, jusqu’au 31 décembre 2021, d’appliquer les anciennes règles.
La réforme a également modifié les méthodes de calcul de l’IIT en profondeur. L’IIT est désormais précompté à la source mensuellement et régularisé en fin d’année. Les employeurs sont responsables du prélèvement sur les salaires versés chaque mois. Le calcul de l’IIT diffère légèrement selon que la personne est ou non considérée comme résidente fiscale de Chine :
- Pour les résidents fiscaux, le revenu global est soumis mensuellement à des acomptes d’IIT calculés, au barème progressif, sur la somme des salaires déjà versés moins la somme des abattements mensuels de 5 000 RMB, des déductions spécifiques, déductions spécifiques additionnelles et autres éléments déductibles. En raison de cette méthode de calcul, le salaire mensuel net d’IIT reçu par l’expatrié ne sera pas fixe ; son montant évoluera à la baisse compte tenu de la progressivité de l’impôt. Notons que, jusqu’au 31 décembre 2021, les résidents fiscaux gardent la possibilité d’imposer séparément leur prime annuelle en appliquant les anciennes règles de calcul, plus avantageuses. La prime annuelle étant un outil couramment utilisé par les expatriés pour optimiser leur IIT, les schémas de rémunération devront être réexaminés pour une modification à compter de 2022.
- Pour les non-résidents, le revenu global est imposé sur une base mensuelle ou au moment du paiement du revenu, net de l’abattement forfaitaire mensuel de 5 000 RMB. Aucune déclaration fiscale annuelle n’est requise, sauf exceptions.
5. Dispositions de la convention fiscale franco-chinoise
Les nouvelles règles fiscales relatives à l’IIT s’appliquent sous réserve des dispositions de la convention fiscale franco-chinoise2. Elles font obstacle à l’imposition en Chine des salaires des expatriés résidents fiscaux de France, sauf lorsque (i) le salarié séjourne en Chine pendant une période ou des périodes de 183 jours ou plus durant toute période de 12 mois commençant ou se terminant durant l’année fiscale considérée, (ii) que les rémunérations sont payées par un employeur résident de Chine (ou pour son compte), ou encore (iii) lorsque la charge des rémunérations est supportée par un établissement stable que l’employeur a en Chine3. Pour l’interprétation de ses dispositions et notamment la notion d’employeur, les autorités chinoises retiennent une approche plus économique que juridique, s’attachant à déterminer l’entité à laquelle le salarié est réellement subordonné, celle qui assume les risques et responsabilité relatifs à l’activité, fournit le matériel, décide du nombre de salariés et de leur qualification4.
L’approche économique est également retenue pour déterminer si la présence d’un expatrié en Chine est constitutive d’un établissement stable. A ce titre, les dispositions de la convention fiscale prévoient que le détachement d’employés par une société française en Chine constitue un établissement stable lorsque l’activité du salarié consiste en la fourniture de services et qu’elle se poursuit pendant une période ou des périodes de plus de 183 jours sur une période de 12 mois5.
Notes
1 Le barème progressif applicable aux salaires tel que modifié par la réforme de l’IIT est plus favorable pour les tranches n’excédant pas 25 000 RMB.
2 Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu signée le 26 novembre 2013.
3 Article 15 de la convention.
4 Guoshuifa [2010] No. 75.
5 Article 4.3 de la convention.
Auteurs
Nicolas Zhu, avocat associé, CMS Chine
Agathe d’Aubigny, avocat, fiscalité internationale