Salariés européens travaillant sur le territoire national : l’importance de détenir un formulaire A1 en cours de validité
16 décembre 2020
Par un arrêt du 4 novembre 2020, (Cass. soc. 4-11-2020 n° 18-24.451 FS-PBRI, Sté Bouygues travaux publics c/ B), la Cour de cassation est venue préciser les conséquences du retrait du certificat A1 sur la législation de sécurité sociale applicable. Elle a ainsi jugé qu’en l’absence de formulaire A1, l’employeur établi dans un autre État membre de l’Union européenne (UE) est soumis pour les salariés exerçant leur activité en France aux obligations de déclaration aux organismes de sécurité sociale française. Par ailleurs, l’entreprise utilisatrice peut être tenue solidairement au paiement des indemnités pour travail dissimulé en cas de non-respect de ses obligations au titre de la prévention du travail dissimulé par le donneur d’ordre.
Le formulaire A1, document attestant de la législation de sécurité sociale applicable au salarié détaché ou en situation de pluriactivité sur plusieurs états membres.
Sur le plan des principes, un salarié exerçant ses activités sur plusieurs états membres de l’UE est soumis à la législation de sécurité sociale d’un seul état1. En effet, les règlements européens de coordination des systèmes de sécurité sociale prévoient des règles d’identification et d’affiliation à un régime de sécurité sociale pour les travailleurs détachés et les personnes en situation de pluriactivité, c’est à dire exerçant leur activité sur le territoire de plusieurs États membres de l’UE, leur permettant de rester rattachés à la législation de sécurité sociale de l’Etat avec lequel ils ont le plus de liens, par dérogation au principe d’affiliation à la législation du lieu d’exercice de l’activité professionnelle.2
L’affiliation au régime unique de sécurité sociale est confirmée par la remise d’un formulaire A1 par l’institution de sécurité sociale du lieu de résidence de l’intéressé. Ce formulaire A1 (auparavant E101) atteste de la législation de sécurité sociale applicable à son détenteur et confirme que le salarié n’est pas soumis à la législation d’un autre pays sur lequel il exercerait ses activités professionnelles. Le formulaire A1 est valide jusqu’à sa date d’expiration et peut être retiré par le régime de sécurité sociale de l’Etat membre émetteur.
Le retrait du formulaire A1 emporte l’application du droit commun et l’affiliation au régime de sécurité sociale du lieu d’exercice de l’activité
Dans l’affaire examinée par la Cour de cassation, plusieurs salariés de nationalité polonaise et domiciliés en Pologne avaient été détachés au sein de sociétés de travaux publics françaises par une entreprise de travail temporaire chypriote européenne pour la construction d’un réacteur nucléaire.
Les salariés disposaient d’un certificat A1 au début de l’opération mais se sont vu retirer ce document à la suite d’un réexamen de leur situation. En l’absence d’affiliation à un régime de sécurité sociale pendant leur période d’activité, les salariés ont alors saisi les juridictions françaises pour contester leur situation et obtenir une indemnité de travail dissimulé.
La Cour d’appel a fait droit aux demandes des salariés en condamnant l’entreprise d’origine à verser aux salariés l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé et en retenant la solidarité financière des entreprises utilisatrices françaises au titre du travail dissimulé.
Saisie d’un pourvoi par l’une des société utilisatrices, la Cour de cassation a dû se prononcer sur les conséquences du retrait du certificat A1 au regard de la législation de sécurité sociale applicable et par voie de conséquence sur l’application des dispositions relatives au travail dissimulé.
S’appuyant sur les règlements de coordination européens, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que l’institution compétente vérifie que la situation de détachement ou de pluriactivité est caractérisée et délivre le certificat A1. En cas de détachement, cette institution est celle de l’Etat où l’employeur exerce normalement son activité. En situation de pluriactivité, il s’agit de l’institution de l’Etat membre de résidence de la personne concernée.
En présence du certificat A1, le régime d’affiliation retenu par l’institution compétente telle que désignées par les règlements de coordination s’impose à toutes les juridictions y compris celles du lieu d’exercice de l’activité professionnelle.
Toutefois, la Cour déduit des règles de coordination qu’« en l’absence de certificat A1 résultant d’un refus de délivrance ou d’un retrait par l’institution compétente, seule trouve à s’appliquer la législation de l’État membre où est exercée l’activité salariée ».
Dans ce conflit de lois, la Cour de cassation a donc retenu, cas de retrait du certificat A1, l’application du principe de territorialité du régime de sécurité sociale qui dépend du lieu d’exécution de l’activité professionnelle.
Les employeurs étrangers devront donc être particulièrement attentifs puisqu’en l’absence ou en cas de retrait du formulaire A1 de leur salariés mis à disposition en France, ils sont immédiatement soumis aux obligations de déclaration aux organismes de sécurité sociale de leur salarié travaillant en France.
L’impact de cette décision pour les sociétés françaises agissant en tant que donneur d’ordre
Cette solution stricte impacte également les sociétés françaises du fait de leurs obligations et solidarité financière en qualité de donneur d’ordre et maîtres d’ouvrage.
En effet, en application de l’article L.8222-5 du Code du travail, les entreprises utilisatrices, informées du fait qu’un co-contractant ne satisfait pas aux obligations de déclaration des salariés doit enjoindre aussitôt celui-ci de faire cesser la situation de travail dissimulé sans délai sous peine d’être condamnées solidairement au paiement des indemnités de travail dissimulé.
Dans l’affaire commentée, la Cour de cassation a condamné solidairement la société utilisatrice qui, informée de la situation irrégulière de certains salariés mis à disposition, n’a pas pris les mesures nécessaires pour faire cesser cette situation.
Par cet arrêt, la Cour de cassation affirme l’importance de justifier d’un formulaire A1 en cours de validité pour attester de l’affiliation à un seul régime de sécurité sociale au sein de l’Union Européenne en cas de détachement ou de pluriactivité.
Le formulaire A1 constitue donc un outil essentiel pour la prévention du travail dissimulé qui doit être présenté lors d’un contrôle par l’employeur ou le donneur d’ordre en cas de mise à disposition de personnel.
Rappelons en tout état de cause que les formulaire A1 sont limités à législation de sécurité sociale, mais ne dispensent pas des obligations spécifiques locales en matière du droit de travail (telles que la déclaration SIPSI lorsqu’un salarié étranger travaille en France).
(1) Article 11 du règlement (CE) n°883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ( « règlement de base »)
(2) règlement 883/2004 du 29 avril 2004 et son règlement d’application 987/2009 du 16 septembre 2009
Article paru dans Les Echos Executives le 16/12/2020
A lire également
Intégration d’un talent étranger en France : quelles nouveautés?... 24 mai 2019 | CMS FL
La négociation sur la qualité de vie au travail (QVT) : un outil de sortie de ... 6 juillet 2021 | Pascaline Neymond
Recourir à un prestataire étranger : où en est-on après la loi Macron?... 30 novembre 2015 | CMS FL
Détachement, expatriation : comment gérer les mobilités intra-communautaires ... 21 octobre 2013 | CMS FL
Télétravail à l’étranger : quels enjeux pour les employeurs et les salariÃ... 16 juillet 2021 | Pascaline Neymond
Liste des stages ouvrant le bénéfice de l’affiliation à un régime de s... 1 juin 2021 | Pascaline Neymond
Travail dissimulé et communication de documents : impossible de changer les rè... 23 décembre 2020 | Pascaline Neymond
Nullité de la clause de non-concurrence : conditions d’indemnisation du salar... 27 octobre 2015 | CMS FL
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?