Seuil de déclenchement du licenciement collectif pour motif économique et notion de suppression d’emploi
10 mai 2023
Quels salariés faut-il prendre en compte pour savoir s’il faut appliquer la procédure de licenciement collectif pour motif économique ?
Que faut-il entendre par suppression d’emploi dans la définition légale du motif économique de licenciement? L’arrêt ci-dessous donne quelques précisions.
Les faits de l’espèce
Un salarié occupant les fonctions de directeur de projet et licencié pour motif économique avait saisi la juridiction prud’homale pour demander des dommages et intérêts pour inobservation de la procédure de (petit) licenciement collectif pour motif économique et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse faute de suppression effective de son emploi.
Il faisait valoir que deux autres salariés étaient concernés par une suppression d’emploi et donc par un éventuel licenciement au cours de la même période, ce qui aurait dû déclencher l’application de la procédure de consultation des représentants du personnel prévue en cas de licenciement collectif pour motif économique.
Il soutenait en outre que son poste de travail avait été confié à un autre salarié de sorte que son emploi n’avait pas été supprimé.
L’arrêt de la cour d’appel qui avait accueilli la demande du salarié en ses deux chefs est cassé par la Cour de cassation (Cass. soc. 5 avril 2023, n°21-10.391).
Si l’on comprend bien la solution sur la suppression d’emploi qui confirme une jurisprudence constante, on est plus perplexe sur le seuil de déclenchement de la procédure de licenciement collectif pour motif économique.
Sur le seuil de déclenchement de la procédure de licenciement collectif pour motif économique
L’article L.1233-8 du Code du travail, en sa rédaction applicable à la cause, disposait que «l’employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte le comité d’entreprise dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, les délégués du personnel dans les entreprises de moins de cinquante salariés».
A priori, les choses sont claires : si un licenciement pour motif économique est envisagé qui concerne plus d’un salarié et moins de dix sur une même période de trente jours, l’employeur doit appliquer la procédure de consultation des représentants du personnel propre au (petit) licenciement collectif.
Comme l’énonce la Cour de cassation dans son arrêt, ce n’est «que lorsqu’il envisage de procéder à un licenciement pour motif économique d’au moins deux salariés que l’employeur a l’obligation de réunir et consulter le comité d’entreprise».
Que faut-il comprendre par «envisage» ?
Il est logique de considérer :
-
- que c’est avant que le licenciement ne soit décidé, sinon la procédure de consultation des représentants du personnel n’aurait guère de sens ;
-
- et que c’est pareillement avant que l’obligation de reclassement n’ait été exécutée et n’ait débouché sur l’absence de possibilité de reclassement. Au demeurant, la Cour de cassation juge de manière constante que le reclassement doit être recherché à partir du moment où le licenciement est envisagé ( soc., 30 mars 1999, n°97-41.265) et jusqu’à sa notification (Cass. soc., 26 mai 1999, n°96-44.387).
Par conséquent, sauf à considérer que le terme «envisagé» n’aurait pas le même sens, on doit supposer que la date d’appréciation de l’obligation de mettre en œuvre (éventuellement) la procédure de licenciement collectif pour motif économique coïncide avec celle de mise en œuvre de l’obligation de reclassement ; c’est-à-dire à compter du moment où le licenciement est envisagé.
Dans le cas de l’espèce, la cour d’appel – faisant sienne l’argumentation du salarié – avait jugé, pour retenir un manquement de l’employeur à son obligation de consulter les délégués du personnel, que l’employeur avait envisagé un licenciement économique par suppression de trois postes de travail et qu’il importait peu que deux des salariés concernés aient accepté la proposition de reclassement au sein d’autres sociétés du groupe.
La solution pouvait sembler correcte en droit au regard des éléments qui précèdent.
La décision est pourtant cassée au motif que la cour d’appel a violé l’article L.1233-8 du Code du travail, dès lors qu’elle avait constaté que deux des salariés concernés avaient accepté leur reclassement interne au sein du groupe en sorte que le licenciement n’avait été envisagé qu’à l’égard d’un seul salarié.
Mais si, comme on l’a vu plus haut, la mise en œuvre de l’obligation de reclassement court à compter du moment où le licenciement est envisagé, comme l’obligation d’appliquer la procédure de licenciement collectif pour motif économique, on ne peut pas attendre que l’obligation de reclassement interne ait été exécutée pour apprécier le nombre de départs à prendre en compte pour savoir s’il faut appliquer la procédure de licenciement collectif pour motif économique, car cela reviendrait à attendre l’engagement de la procédure de licenciement, bien au-delà de la date à laquelle le licenciement est envisagé.
La solution laisse donc perplexe, si on la prend comme telle, c’est-à-dire telle qu’elle est rédigée dans l’arrêt de cassation.
Mais l’analyse du moyen permet peut-être de mieux comprendre la décision et la solution adoptée.
Il semble qu’en l’espèce les deux autres salariés avaient fait l’objet d’une proposition de modification de leur contrat de travail pour motif économique dans les termes (peut-on supposer de l’article L.1222-6 du Code du travail) et qu’ils l’avaient accepté.
Dès lors, ils sortaient du champ des salariés à licencier, ou dont le licenciement pouvait être envisagé ( V. en ce sens, l’article L.1233-25) et le licenciement n’était plus envisagé que pour un seul salarié de sorte que le seuil de déclenchement de la procédure de licenciement collectif pour motif économique n’était pas atteint.
Sur la notion de suppression d’emploi
La solution donnée sur ce point par l’arrêt ici commenté n’appelle guère d’observations car elle confirme une jurisprudence constante.
On sait qu’aux termes de l’article L.1233-3 du Code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment…
Que faut-il entendre par suppression d’emploi ?
Dans le cas d’espèce, comme l’avait relevé la cour d’appel, le poste fonctionnel de responsable d’une unité opérationnelle qu’occupait effectivement le salarié en cause en qualité de directeur de projets avait été confié à un autre salarié de l’entreprise qui avait lui-même la qualité de chef de projets. La cour d’appel en avait déduit que l’emploi n’avait pas été réellement supprimé ce qui privait le licenciement de cause économique.
L’arrêt est là encore censuré (pour violation de l’article L.1233-3), faute pour la cour d’appel d’avoir constaté qu’un autre salarié avait été engagé pour exercer les fonctions du salarié ayant repris les tâches accomplies par le salarié licencié, dès lors que la suppression d’un poste, même si elle s’accompagne de l’attribution des tâches accomplies par le salarié licencié à un autre salarié demeuré dans l’entreprise, est une suppression d’emploi.
En d’autres termes, la suppression d’emploi n’implique pas, pour être constituée, la disparition des tâches accomplies par le salarié dont le poste de travail est supprimé. Il y a bien suppression d’emploi, même lorsque ces tâches subsistent mais sont redistribuées entre plusieurs autres salariés ou intégrées à un autre emploi (Cass. soc., 29 janvier 1992, n°90-41.087 ; 2 juin 1993, n°90-44.956 ; 3 mars 2009, n°07-43.761 ; 12 janvier 2012, n°10-21.101).
Cela se comprend bien : le licenciement pour motif économique a souvent pour objectif l’allégement de la masse salariale que l’on tente de compenser par des gains de productivité en répartissant entre d’autres salariés les tâches qu’accomplissait le salarié licencié dont le poste est supprimé.
La suppression d’emploi n’implique même pas nécessairement la suppression du poste de travail (du salarié licencié). Il y a bien suppression d’emploi lorsque le poste est maintenu mais qu’il est confié à un collaborateur bénévole ou à un membre de la famille de l’employeur (Cass. soc., 7 octobre 18992, n°88-45.522 ; 20 janvier 1998, n°94-45.094).
Ce qui importe, c’est la suppression effective d’un poste de travail confié à un salarié.
A l’inverse, il n’y a pas de suppression d’emploi effective lorsque le poste n’est pas supprimé mais confié à un salarié recruté à cet effet (Cass. soc., n°93-44.074 ; 8 décembre 2004, n°02-44.045) ou à un salarié d’une autre entreprise, quand bien même ce serait un salarié d’une entreprise du même groupe (Cass. soc., 16 janvier 2001, n°98-44.461) ou si le salarié licencié est remplacé par un autre recruté peu de temps auparavant (Cass. soc., 28 mai 1997, n°95-42.404).
De même, il n’y a pas de suppression d’emploi en cas de recours systématique à des salariés sous contrat de travail précaire, affectés à la même activité (Cass. soc., 12 février 1997, n°95-41.694).
Jean-Yves Frouin, Of Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats
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