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Des simples pourparlers à la lettre d’intention engageante : une question de mots

Les lettres d’intention ont, en principe, pour seul objet d’encadrer une négociation. Mais il arrive parfois quelles soient considérées comme des documents ayant valeur d’engagement sur la réalisation même de l’opération.

Les opérations d’acquisition de titres sont souvent préparées à partir de lettres d’intention «formalisant la proposition d’investissement […]. La lettre d’intention n’a pus en principe valeur d’engagement des parties pour la réalisation finale de l’investissement: elle reste une expression d’intérêt et de l’intention de poursuivre  les négociations en vue de trouver un accord final.» (Guide de la lettre d’intention, Afic. 2006, p. 6).

Pourtant, une décision rendue par la cour d’appel de Versailles, le 8 avril 2014, démontre que la frontière entre l’intention et la formation de l’accord peut être fragile. Dans cette affaire, deux sociétés de travaux s’étaient rapprochées pour créer un pôle de démolition industrielle. Leurs dirigeants avaient signé une «lettre d’intention». Quelques mois plus tard, l’une des deux sociétés a mis lui au projet. La seconde l’a assignée en responsabilité pour inexécution du contrat. Mais tandis que cette dernière considérait la lettre d’intention comme «binding», la première faisait valoir qu’elle n’était qu’un mode d’encadrement des pourparlers et qu’elle ne comportait donc aucune obligation hormis celle de négocier de bonne foi. La cour d’appel  de Versailles a considéré que la lettre en question comportait un engagement non équivoque de réaliser l’opération. Plusieurs indices ont conduit les magistrats à une telle conclusion.

Analyse multi-critère

Tout d’abord, la lettre était dense : elle comprenait dix pages, Son article premier disposait qu’elle constituait «un engagement ferme pour ses signataires, ayant force obligatoire». Ensuite, elle était l’aboutissement d’une «longue période de discussions» au terme de laquelle «les punies étaient parvenues à un accord sur les conditions essentielles et déterminantes de l’opération», lesquelles étaient détaillées et précisées dans la lettre, notamment la nature et la valeur des apports respectifs des deux groupes à une société commune.

La lettre prévoyait aussi la forme juridique de la société commune, l’organisation de la direction, le nom de son président, les pouvoirs du conseil de surveillance et les modalités d’apport en compte courant d’associés. Enfin, la cour observe que ladite lettre ne contenait «aucune réserve ni condition et traduit l’accord intervenu entre les parties sur les modalités essentielles de l’opération».

Au cours des dernières années, la cour d’appel de Versailles a été saisie à au moins trois reprises de cette question. C’est ainsi qu’une grille de lecture semble s’être dessinée au fil des arrêts. En présence d’une lettre d’intention qui poserait un  certain nombre de conditions à l’engagement de l’investisseur, conditions qui se révéleraient non remplies par la suite, le caractère contraignant de cette lettre sera probablement écarté (CA Versailles. 7 octobre 2010, n°09-5179). De même, un document imprécis qui renverrait lui-même à une lettre d’intention ultérieure plus détaillée et qui évoquerait la possibilité que l’opération n’aboutisse pas ne saurait être regardé comme liant définitivement l’investisseur (CA Versailles, 30 juin 2011, n°10/06302).

En revanche, s’il ressort des termes mêmes de la lettre un accord sans conditions sur les modalités essentielles de l’opération, il y a tout lieu de penser que la lettre d’intention engagera les parties. Dès lors, celui qui souhaiterait se tenir à de simples pourparlers, sans s’engager, a tout intérêt à observer de grandes précautions rédactionnelles car un mol de trop risquerait de trahir son intention.

 

Auteur

Isabelle Buffard-Bastide, avocat associée spécialisée en fusions & acquisitions – private equity.

 

Article paru dans le magazine Capital Finance le 15 septembre 2014