La société de libre partenariat dans les financements d’acquisition
Depuis l’annonce de sa création, la société de libre partenariat (SLP) suscite un enthousiasme rarement rencontré chez les praticiens1. Soucieux de participer au dynamisme de la place financière de Paris, ils ont été, sur ce point, entendus. Nous disposons maintenant non seulement d’un bon outil mais également d’une arme permettant de conquérir des marchés et susciter des investissements en France ou à partir de la France.
La force de la place financière française n’est pas seulement de savoir échanger utilement avec les responsables politiques, mais aussi de savoir innover avec les outils dont elle dispose. Ainsi, de manière inédite, nous pensons que les caractéristiques de la SLP laissent présager une prospérité dépassant le simple cadre de la collecte de capitaux et qu’elle pourrait être un maillon essentiel de nouvelles structures de financement d’acquisition.
Sa souplesse et sa résistance aux procédures collectives sont deux atouts importants qui peuvent en faire une solution alternative aux structures dites de double LuxCo, marquées par une mise en place lourde, des contraintes de gestion et de gouvernance et des interrogations quant à leur robustesse (notre article «Le droit français offre-t-il une solution alternative à la double LuxCo ?»). Nous détaillerons également la manière dont la SLP peut permettre de structurer une opération de financement d’acquisition, aussi bien d’un point de vue juridique (notre article «La SLP, un véhicule souple et sécurisé pour les financements d’acquisition») que fiscal (notre article «La SLP, véhicule pivot de financements d’acquisition : sécurité et opportunités fiscales»).
- Le droit français offre-t-il une solution alternative à la double LuxCo?
Le financement d’une acquisition doit ménager de multiples intérêts : les prêteurs cherchent une rémunération en adéquation avec les risques, souhaitent pouvoir contrôler les écarts entre les performances de l’entreprise et les estimations faites lors de la mise en place du financement, «prendre la main» si ces écarts font apparaître une sortie de route et, dans les dossiers les plus importants, disposer d’une structure solide et lisible en vue d’une syndication ou d’une revente de leurs participations sur les marchés secondaires de la dette d’acquisition.
Les investisseurs en capital (ou quasi-capital) cherchent à disposer d’un coût optimisé du crédit, d’une bonne efficacité fiscale, de conditions de crédit suffisamment souples pour permettre la mise en oeuvre de la stratégie de développement de l’entreprise. Ils veulent également pouvoir conserver le contrôle de leur investissement, sauf dans des cas caractérisés de défaut. Les dirigeants opérationnels souhaitent que les conditions du financement ne soient pas une contrainte trop importante pour la gestion de l’entreprise (investissements, croissance externe, gouvernance, etc.).
La réussite d’une telle opération peut se mesurer dans la satisfaction équitable de tous les intérêts en présence. Au-delà des postures de négociation, c’est d’ailleurs l’approche de la plupart des acteurs récurrents du financement d’acquisition. Cet équilibre évolue de manière constante, selon le contexte économique général et le secteur économique concerné, les contraintes réglementaires pesant sur les établissements de crédit ou l’appétit de nouveaux investisseurs complétant ou concurrençant les offres bancaires. La fiscalité et le droit affectent également les rapports entre les acteurs des opérations de financements d’acquisition : leurs évolutions inquiètent, confortent ou offrent des perspectives ou des solutions.
A cet égard, la situation actuelle du marché français n’est pas très uniforme, spécialement quant à la manière de sécuriser les schémas de financement au regard du droit français des entreprises en difficulté. En effet, celui-ci permet notamment la mise sous sauvegarde d’un débiteur «qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter2». Cette perspective, qui suscite de vives inquiétudes depuis l’affaire «Coeur Défense», se traduit par l’adoption de structures différentes. Dans les opérations de taille modeste, les structurations généralement retenues ne comportent pas de mesures sécurisant de manière efficace les créanciers bancaires contre l’application du droit français des procédures collectives. Dans les opérations de taille plus importante, l’habitude a été prise de localiser la prise de sûretés au Luxembourg et d’imposer le recours à une structure de double LuxCo, laquelle n’est pas sans générer des contraintes juridiques et fiscales.
La structure de double LuxCo et ses limites
Dans ce type de schéma, l’emprunteur est une société française («l’Emprunteur») dont le capital est détenu par une holding luxembourgeoise («LuxCo n° 1»). Pour garantir les obligations de l’Emprunteur au titre du financement, LuxCo n° 1 constitue une sûreté sur les titres de l’Emprunteur. Cette sûreté a autant vocation à garantir le paiement de la dette garantie qu’à permettre aux prêteurs de prendre, en la réalisant, le contrôle de l’Emprunteur et, ainsi, de décider de l’opportunité du placement de celui-ci sous sauvegarde. Puisque LuxCo n°1 est une société constituée et ayant son siège hors de France, l’article 3 § 1 du Règlement (CE) n°1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité (le «Règlement») prévoit que le juge français n’est pas compétent pour ouvrir une procédure collective à son égard, sauf à considérer que le centre des intérêts principaux (le «CIP») de LuxCo n° 1 se situe en réalité en France. S’agissant d’une holding dont l’activité principale est de détenir les titres d’une société française, la reconnaissance d’un CIP en France est un risque qui ne peut être écarté.
Pour pallier cette faiblesse de LuxCo n°1, a été imaginée l’adjonction d’une seconde holding au Luxembourg, détenant le capital de LuxCo n°1 («LuxCo n°2»). Cette structure permet aux prêteurs d’obtenir un nantissement sur les titres de LuxCo n°1. Cette sûreté devrait bénéficier des dispositions avantageuses de l’article 5 du Règlement. Cet article neutralise les effets des procédures collectives nationales pour ce qui est des droits réels constitués au profit de tiers sur les biens situés au moment de l’ouverture de la procédure collective dans un autre Etat membre où le débiteur n’a pas d’établissement secondaire ou de CIP, dès lors qu’il est admis que les titres nantis peuvent être considérés comme des biens localisés au Luxembourg. Une opinion semble s’être forgée autour de l’idée que cette localisation au Luxembourg est facilitée si lesdits titres sont des actions, car il est alors possible de prévoir une obligation contractuelle pour LuxCo n°1 de conserver au Luxembourg les registres d’actionnaires qu’elle est tenue de conserver. L’efficacité du mécanisme de double LuxCo repose ainsi sur le fait que cette obligation de maintien au Luxembourg des registres sera respectée. Si les titres nantis sont des parts sociales, ces dernières pourraient, selon certains, être analysées comme des créances, rendant alors leur localisation au Luxembourg plus délicate. Une application cumulative de l’article 3 (si les juges français décident que le CIP de LuxCo n°2 est en France) et de l’article 2 § g) du Règlement (qui précise qu’une créance est située au lieu du CIP de son débiteur (ici, LuxCo n°2)) pourrait jeter un doute certain sur l’efficacité pratique du mécanisme de double LuxCo. D’un point de vue juridique, cette structure possède de nombreux atouts mais il est sans doute plus juste de reconnaître qu’à ce jour, rien ne garantit avec certitude que ce montage résistera sans encombre à la revue sagace du juge français. Cela devrait être encore plus vrai lorsque le nouveau règlement européen sur les procédures d’insolvabilité (Règlement (UE) 2015/848 du 20 mai 2015) sera en vigueur (c’est-à-dire, pour les dispositions qui nous intéressent ici, à partir du 26 juin 2017). En effet, ce texte renforce de manière générale la lutte contre le forum shopping et institue une vérification de compétence que les créanciers, dans la ligne de la jurisprudence Eurofood (CJCE, 2 mai 2006, aff. C-341/04), pourront remettre en cause à l’occasion d’un recours judiciaire.
Par ailleurs, malgré ses atouts, le recours à la double LuxCo induit une complexification certaine des financements (et donc, un renchérissement de leurs coûts de structuration et de fonctionnement), et il impose aux prêteurs d’assumer la responsabilité de la gestion d’une structure complexe, après la prise de contrôle de l’Emprunteur.
La mise en place de la double LuxCo entraîne par ailleurs certaines conséquences préjudiciables en matière fiscale, notamment au regard de la déductibilité des intérêts au niveau des sociétés françaises détenues par LuxCo n°1. Ainsi, l’octroi aux prêteurs du nantissement des titres de LuxCo n°1 par LuxCo n°2 pour garantir l’emprunt accordé aux filiales françaises fait basculer les intérêts payés par les sociétés débitrices dans le champ d’application des règles prévues pour lutter contre la sous-capitalisation3.
Le développement de la double LuxCo et les débats qu’il a suscités mettent en évidence les réticences des prêteurs à l’égard du droit français des procédures collectives et la nécessité de trouver une structure répondant de manière plus équilibrée aux intérêts en présence.
La fiducie dans les financements d’acquisition
La fiducie semble une alternative réaliste et solide à cette structure héritée de la pratique. En premier lieu, elle aboutit à un résultat similaire, à savoir la possibilité pour le bénéficiaire de contrôler in fine le placement sous sauvegarde du véhicule ad hoc supportant l’endettement (ledit contrôle résultant du transfert des titres de capital du véhicule ad hoc à la fiducie qui permet de constituer la fiducie-sûreté et donc de devenir l’associé dudit véhicule). En second lieu, elle bénéficie d’un régime juridique, et désormais fiscal4, clairement établi par la loi et ménageant les intérêts tant du constituant que du bénéficiaire. Il reste que le recours à la fiducie se heurte encore à une difficulté5 : l’article 212 du Code général des impôts ne mentionne pas la fiducie parmi les sûretés n’ayant pas pour effet de requalifier dans certains cas les dettes tierces garanties par une entité du groupe en dettes «liées» prises en compte dans le calcul du ratio de sous-capitalisation. Sans une modification de ce texte, et sauf à obtenir un rescrit favorable de l’Administration au cas par cas, la fiducie (pourtant réputée fiscalement neutre) viendrait aggraver le ratio de sous-capitalisation pour les financements consentis à une société liée au constituant et garantis par les titres transférés au patrimoine fiduciaire. La disposition fiscale précitée prévoyant une exception pour le nantissement d’un compte-titres sur lequel les titres de l’entité liée au débiteur sont inscrits, il est difficilement envisageable que la fiducie demeure traitée différemment d’une sûreté dont elle est intrinsèquement proche.
Le dynamisme des acteurs de la place française et leur capacité d’innovation nous ouvrent aujourd’hui une nouvelle piste : l’utilisation de la SLP dans les financements d’acquisition.
- La SLP, un véhicule souple et sécurisé pour les financements d’acquisition
L’utilisation de la SLP dans les financements d’acquisition repose sur deux de ses caractéristiques principales : en premier lieu, c’est un outil souple ; en second lieu, conformément à l’article L. 214-162-1 du Code monétaire et financier, le Livre VI du Code de commerce relatif aux entreprises en difficulté ne lui est pas applicable. Ces qualités permettent d’envisager des schémas dans lesquels une SLP serait utilisée comme verrou de sécurisation au profit des prêteurs.
Principe
Dans le cadre d’un schéma d’acquisition, une société holding («HoldCo») procède à l’acquisition des titres de la société cible6. Traditionnellement, HoldCo s’endette auprès des prêteurs seniors et ces derniers demandent notamment à ce que les titres de HoldCo soient nantis en garantie de la dette d’acquisition. Les fonds d’investissement étant habituellement très réticents à consentir directement un tel nantissement, une entité intermédiaire, détenue par le fonds et détenant les titres de HoldCo, est mise en place. Si une société de droit commun est utilisée comme entité intermédiaire, le droit français des procédures collectives ne permet pas aux prêteurs de s’assurer que le nantissement des titres de HoldCo puisse être réalisé sans que le garant (l’entité intermédiaire susvisée) ne puisse valablement demander l’ouverture d’une procédure collective suspendant l’exercice de ce nantissement (notamment une procédure de sauvegarde).
En utilisant une SLP comme entité intermédiaire détenue par le fonds d’investissement ou les investisseurs, la SLP détenant, elle, les titres de HoldCo et les nantissant en garantie de la dette d’acquisition, on évite cet écueil et on dispose d’un véhicule permettant d’organiser de manière souple la gouvernance et le contrôle de l’investissement.
Nature de la SLP
La SLP est une nouvelle forme de fonds d’investissement alternatif («FIA») par nature7, créée par la loi n°2015-990 du 6 août 2015, dite «Macron», dans le but de favoriser la place financière française, en particulier en matière de private equity.
Compte tenu de sa nature de FIA par nature, la SLP est tenue de désigner une société de gestion de portefeuille française («SGP») agréée par l’Autorité des marchés financiers («AMF») ou étrangère mais autorisée à intervenir en France en application de la directive sur les gérants de FIA («Directive AIFM») si la SLP ne dispose pas elle-même des moyens et ressources nécessaires pour bénéficier d’un agrément équivalent (auquel cas elle est dite «autogérée»). En pratique, dans le cadre d’un financement d’acquisition, afin d’éviter d’avoir à obtenir un tel agrément de SLP «autogérée» pour chaque transaction, la SLP désignera une SGP, qui pourra éventuellement être celle du fonds d’investissement investissant dans la SLP.
Parmi les différentes formes de FIA par nature, la SLP relève de la catégorie des fonds professionnels spécialisés («FPS»). A ce titre, sa création n’est pas soumise à un agrément de l’AMF mais doit faire l’objet d’une simple déclaration dans le mois qui suit sa création.
Constitution et gouvernance de la SLP
La SLP prend la forme d’une société en commandite simple qui réunit au sein de la même personne morale deux catégories d’associés : les associés commanditaires, dont la responsabilité est limitée au montant de leurs apports ou engagements, et les associés commandités, dont la responsabilité est indéfinie et solidaire avec celle de la SLP.
Cette structure rappelle clairement celle des limited partnerships (avec les limited partners et le general partner), dont les investisseurs étrangers sont familiers. Le fonds d’investissement ou les investisseurs peuvent prendre la qualité d’associés commanditaires, gardant ainsi une position très similaire à celle qu’ils ont en qualité d’associés d’une SAS ou d’une SA. Les investisseurs ont également la possibilité d’intervenir en qualité de commandités afin d’exercer un contrôle plus efficace du véhicule. Par ailleurs, afin de se prémunir du risque de voir sa responsabilité engagée solidairement avec celle de la SLP, l’associé commandité pourrait être une structure intermédiaire, constituée sous une forme sociale n’exposant pas ses associés à une responsabilité illimitée, entre la SLP, d’une part, et les investisseurs ou le fonds d’investissement, d’autre part.
On peut par exemple imaginer que l’associé commandité soit une filiale d’une SGP gérant la SLP, constituée sous la forme d’une société commerciale, et que le fonds d’investissement soit commanditaire de la SLP. Une telle organisation permet aux investisseurs d’intervenir à la fois comme limited partners au titre de leur statut d’associés commanditaires, et comme general partner à travers cette structure intermédiaire en charge de contrôler la SGP et de représenter la SLP si elle est son gérant.
En effet, la SLP est tenue de désigner au moins un gérant, ce dernier pouvant être la SGP. En pratique, dans les structurations ici envisagées, les investisseurs peuvent avoir intérêt à prévoir que la désignation du gérant et de la SGP (délégataire de ce dernier) relève de la responsabilité des associés commandités, et les prêteurs à demander un droit de contrôle quant à la nomination et au remplacement du gérant et de la SGP.
Comme on peut le voir, le Code monétaire et financier s’écarte très largement des dispositions du Code de commerce régissant les sociétés en commandite simple s’agissant de l’organisation interne de la SLP. Cette dérogation va très loin puisque la loi laisse aux statuts de la SLP une très grande liberté d’organisation interne sous réserve du respect des principes généraux du droit des sociétés et de la gestion d’actifs.
Ainsi, parmi les éléments de souplesse, la loi reconnaît aux commanditaires le libre exercice de leurs prérogatives d’associés et, à ce titre, la possibilité de donner des avis et des conseils à la SLP, à ses entités affiliées ou à leurs dirigeants, d’effectuer des actes de contrôle et de surveillance, d’octroyer des prêts, garanties, sûretés ou toute autre assistance à la société ou aux entités qui lui sont affiliées, et de donner aux gérants les autorisations éventuellement requises par les statuts sans que de telles actions relèvent d’actes de gestion externe.
Dans la perspective d’une opération d’acquisition financée par des tiers prêteurs, la SLP peut donc constituer un lieu d’organisation et de contrôle des décisions à prendre quant au groupe cible. On peut par exemple imaginer que certaines décisions ne puissent être prises qu’avec l’accord de l’ensemble des associés commanditaires, ce qui conférerait un droit de blocage à des prêteurs ne détenant qu’une seule part de commanditaire.
Ainsi, par un mécanisme institutionnel, les prêteurs sont en mesure de bénéficier d’un double moyen de contrôle des obligations de faire et de ne pas faire mises à la charge de l’emprunteur au titre de la documentation de crédit : d’une part, les sociétés parties à cette documentation doivent en respecter les stipulations ; d’autre part, les décisions susceptibles de contrevenir à ces stipulations pourraient faire l’objet d’une approbation préalable des commanditaires et donc des prêteurs détenant des parts de commanditaires. Par ailleurs, la nature de FIA par nature de la SLP lui impose également la désignation d’un dépositaire (ayant la qualité d’établissement de crédit) chargé de la conservation des actifs et du contrôle de la SGP et de ses décisions d’investissement. L’intervention de cet acteur a été pensée, dans la sphère de la gestion collective, pour renforcer la sécurité du schéma au profit des investisseurs, parfois au prix d’un alourdissement des procédures opérationnelles. Cependant, dans le cadre de la structure proposée, ce contrôle ne devrait pas par principe entraîner une complexification de la gestion quotidienne puisque les décisions de la SGP, les investissements à opérer et les flux devraient être largement connus et cadrés dès la mise en place de l’opération. Il reste que opérations de la SGP constitue un élément de confort supplémentaire, sans remettre en cause la souplesse de gestion du véhicule.
Rôle de la SLP dans le montage
La SLP n’est soumise à aucune règle particulière en matière d’investissement. Ainsi, la composition de son portefeuille n’obéit à aucune règle de diversification ou d’emprise. La SLP peut dès lors ne détenir qu’un seul type d’actifs, comme des titres de HoldCo. Par ailleurs, la SLP peut être utilisée pour l’acquisition des titres de toute société cotée ou non cotée, quel que soit son lieu d’établissement. Sous réserve des contraintes fiscales, la SLP devant respecter l’ensemble des conditions d’investissement des fonds professionnels de capital investissement («FPCI») fiscaux si elle souhaite bénéficier de leur régime, on peut imaginer utiliser la SLP dans des opérations d’acquisition internationales.
Comme on l’a vu, la fonction principale de la SLP dans le montage de financement d’acquisition proposé serait de consentir un nantissement sur les titres de HoldCo. D’une manière générale, la loi ne limite pas la capacité de la SLP à consentir des sûretés. Cependant, l’article L. 214-154 du Code monétaire et financier, applicable aux SLP, pose une contrainte sur les caractéristiques des actifs que la SLP peut détenir : ceux-ci ne doivent faire l’objet «d’aucune sûreté autre que celles éventuellement constituées pour la réalisation de l’objectif de gestion» de la SLP. Cette structuration pose la question de l’interprétation à donner aux termes «réalisation de l’objectif de gestion» de la SLP. Cette notion ne fait pas encore l’objet d’une position officielle de l’AMF mais on peut noter, et on prendra garde de le préciser dans les statuts, que l’objectif de gestion de la SLP dans le montage proposé est bien l’acquisition d’une cible directement ou au travers de HoldCo, et en utilisant un endettement garanti notamment par un nantissement des titres de HoldCo.
Comme nous l’avons déjà indiqué, une sûreté consentie par la SLP sur les titres de HoldCo en garantie de la dette d’acquisition contractée par cette dernière pourrait donc être exercée par les prêteurs, sans risque pour eux de se voir paralysés par l’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires). En effet, conformément à l’article L. 214-162-1 du Code monétaire et financier, le Livre VI du Code de commerce relatif aux entreprises en difficulté n’est pas applicable à la SLP, ce qui empêche cette dernière de demander l’ouverture d’une procédure collective pour éviter ou ralentir l’application de la documentation de crédit et des sûretés. Cependant, on peut relever que cette exception ne bénéficie qu’à la SLP et que la HoldCo ou les autres sociétés du groupe cible restent soumises au droit des entreprises en difficulté. Ainsi, les prêteurs devraient bien pouvoir réaliser les garanties consenties par la SLP en cas de défaillance du débiteur, mais ils ne pourront pas nécessairement prononcer l’exigibilité anticipée des prêts consentis à HoldCo ou aux autres sociétés du groupe cible.
Enfin, on peut souligner que la SLP a la capacité d’octroyer des prêts aux sociétés de son portefeuille (et donc à HoldCo) et peut librement emprunter, sans limitation de montant, à tout le moins d’un point de vue juridique. Cette souplesse montre que, d’un point de vue juridique, la SLP est tout autant adaptée à des structures innovantes qu’à la reprise des pratiques habituelles des acquisitions par LBO.
Maintien des pratiques habituelles
L’utilisation de la SLP ne devrait ni remettre en cause ni modifier significativement les pratiques de marché en matière de LBO et d’opérations de capital-investissement dans la mesure où le dispositif contractuel généralement mis en place dans ce type d’opérations (pacte d’actionnaires, management package, émissions de valeurs mobilières composées, règles de gouvernance, etc.) est souvent localisé au niveau de HoldCo.
La SLP interviendrait comme une partie à cette documentation contractuelle en lieu et place des FPCI dans un schéma classique. Il conviendra néanmoins, dans le cadre de la rédaction du pacte d’actionnaires, de prévoir des clauses permettant d’assurer le contrôle de la SLP par les investisseurs initiaux, sous réserve des dispositifs du pacte prévoyant des règles de syndicalisation, de manière à éviter une sortie de certains investisseurs de la SLP sans que les autres investisseurs ne puissent participer à cette liquidité. Les droits de préemption et/ou de sortie qui sont consentis au niveau de HoldCo devront pouvoir être également mis en oeuvre par les associés de HoldCo si des mouvements interviennent sur le capital de la SLP. En particulier si un changement de contrôle de la SLP devait intervenir, il est recommandé afin de protéger les autres associés de HoldCo (managers, investisseurs fondateurs ou co‑investisseurs) que ceux-ci puissent céder leurs titres de HoldCo, soit à la SLP, soit directement à l’acquéreur du contrôle de la SLP.
Comme on le voit, d’un point de vue juridique, la SLP offre la perspective d’une structuration plus simple, souple et répondant largement aux exigences de sécurisation des prêteurs. Elle pourrait donc, par son utilisation dans les financements d’acquisition, contribuer au dynamisme du marché français.
- La SLP, véhicule pivot des financements d’acquisition : sécurité et opportunités fiscales
La SLP constitue un instrument de plus dans la boîte à outils utilisée pour structurer les acquisitions avec effet de levier, et recèle un certain nombre d’avantages par rapport à une structure dite double LuxCo sous réserve que, d’un point de vue fiscal, certaines conditions soient satisfaites. Si la SLP n’a pas été créée par le législateur pour apporter une réponse à des problèmes fiscaux, elle peut cependant constituer un véhicule fiscalement efficace pour lever des fonds et structurer des acquisitions de sociétés avec recours à l’endettement.
Rappel des caractéristiques fiscales de la SLP et du régime applicable aux porteurs de parts résidents de France
En substance, les SLP, bien qu’ayant la personnalité juridique, sont imposées selon les mêmes règles que celles applicables aux FPCI constitués sous la forme de fonds communs de placement. Elles ne sont donc ni soumises à l’impôt sur les sociétés, ni à la contribution de 3% additionnelle à l’impôt sur les sociétés sur les revenus distribués. Les porteurs soumis à l’impôt sur les sociétés sont imposés au moment de la répartition effective par la SLP de ses avoirs en cas de conservation de leurs parts pendant au moins cinq ans et sous réserve de l’atteinte par la SLP d’un quota d’investissement en titres répondant à certaines exigences, les plus-values réalisées étant alors soumises à un taux variant entre 0% (absence de toute imposition) pour la fraction du gain trouvant son origine dans des «titres de participation» et 15% pour l’excédent (y compris pour la part de la plus-value correspondant à des dividendes et intérêts perçus par la SLP et non encore distribués).
Utilisation de la SLP pour procéder à des acquisitions avec effet de levier : une alternative efficace à la double LuxCo
Compte tenu des avantages que présente la SLP sur le plan juridique, en particulier sa flexibilité de gestion et sa compatibilité avec les contraintes des investisseurs étrangers, les investisseurs comme les prêteurs pourraient envisager de structurer leurs levées de fonds comme leurs acquisitions avec effet de levier en utilisant une ou plusieurs SLP comme entité(s) faîtière(s) de la structure.
Compte tenu de la résistance de la SLP à la faillite, un des intérêts de cette structure serait de permettre de garantir aux établissements prêteurs une sécurité juridique quant à leur faculté d’exercer les sûretés consenties par elle (cf. ci-dessus). Si jusqu’à présent un très relatif confort a pu être trouvé via le recours à des structures dites double LuxCo, celles-ci n’étaient pas exemptes de toute critique, notamment d’un point de vue fiscal. Tout d’abord, elles étaient source de coûts de structure importants. Ensuite, l’interposition de sociétés étrangères (en l’occurrence les deux sociétés luxembourgeoises) plaçait mécaniquement la dette d’acquisition des titres de la cible dans le champ de l’exclusion de la déduction des charges d’emprunt liées à l’acquisition de titres de participation (dite «amendement Carrez», codifiée à l’article 209, IX du CGI), requérant dès lors, pour s’en affranchir que la holding d’acquisition française apporte la preuve que les décisions relatives aux titres acquis étaient prises par elle ou par toute société établie en France, la contrôlant ou contrôlée par cette dernière, et que le contrôle ou l’influence le cas échéant exercé sur la société cible était assuré par elle, ou par une société établie en France la contrôlant ou contrôlée par elle. Cette preuve était naturellement plus difficile à administrer lorsque le pivot de gouvernance de l’ensemble de la structure était logé au niveau de la société luxembourgeoise de tête. Enfin, et surtout, les structures de double LuxCo avaient pour corollaire de devoir nécessairement traiter en emprunt souscrit auprès d’une entreprise «liée», pour les besoins des dispositifs fiscaux de sous-capitalisation (article 212, II du CGI), l’ensemble de la dette bancaire garantie par le nantissement des titres de la holding luxembourgeoise inférieure.
L’utilisation de la SLP constitue, à ce triple égard, une réponse efficace à l’ensemble des défauts de la double LuxCo. En évitant l’interposition d’entités étrangères, elle écarte ainsi tout débat sur la réalité de la substance des entités luxembourgeoises (et, partant, les éventuels coûts de structure y afférents), et protège en principe la structure contre le risque de mise en oeuvre de «l’amendement Carrez» (sous réserve que la société de gestion de la SLP soit fiscalement résidente en France).
Par ailleurs, et sous réserve que les sûretés consenties en garantie de la dette bancaire se limitent à un nantissement des titres de HoldCo et à des garanties accordées par cette dernière ainsi que ses filiales, la dette bancaire devrait pouvoir être traitée comme une dette tierce non prise en compte pour les besoins du calcul des ratios de sous-capitalisation, permettant d’assurer la déduction intégrale des intérêts d’emprunt et de structurer la mise des investisseurs avec plus de quasi-fonds propres (obligations convertibles en actions, obligations remboursables en actions, etc.).
Les contraintes à l’utilisation de la SLP comme pivot de LBO
La pleine efficacité fiscale de la structuration d’un LBO par interposition d’une SLP demeure subordonnée à la levée de certaines contraintes.
Le régime fiscal favorable précédemment décrit applicable aux répartitions d’avoirs de la SLP et au rachat des parts suppose que les associés soumis à l’impôt sur les sociétés soient hors du champ de la règle d’imposition des écarts de valeur liquidative en fin d’exercice, dite règle du mark-to-market, à défaut de quoi, sauf franchissement par la SLP du seuil de 90% investis en actions, les investisseurs seraient imposés au taux plein sur la plus-value latente accumulée au gré du LBO ainsi que sur les plus-values additionnelles effectivement constatées. En outre, la SLP devra remplir les conditions fixées par le Code général des impôts (article 163 quinquies B du CGI) pour être traitée comme une SLP dite «fiscale» (ce qui implique que les investissements soient majoritairement réalisés dans des sociétés soumises à l’IS ou à un impôt équivalent, établies au sein de l’UE ou de l’EEE hors Liechtenstein, et poursuivent une activité commerciale ou assimilée ou, s’agissant des sociétés holdings, détiennent directement ou indirectement des sociétés déployant une telle activité).
D’autre part, dans l’hypothèse où la SLP octroierait un prêt à HoldCo ou à une de ses filiales (soit en compte courant, soit plus probablement via la souscription à des obligations), aucun des porteurs de parts de la SLP ne doit pouvoir être regardé comme détenant, directement ou indirectement, le contrôle de la SLP, en droit ou en fait. En pareille occurrence, l’administration fiscale est fondée à considérer que les intérêts d’une telle dette ne sont déductibles que dans la mesure où ils seraient effectivement imposés à un impôt au moins égal au quart de l’impôt sur les sociétés (en vertu des nouvelles dispositions de l’article 212, I, b. du CGI), ceci supposant que les intérêts correspondants soient effectivement répartis par la SLP, faute de quoi leur non-déductibilité serait encourue (règle dite «anti-hybrides»). Or, une telle répartition ne peut en pratique quasiment jamais être opérée, dès lors que les intérêts concernés sont en général capitalisés, leur paiement étant subordonné à celui de la dette senior, et que les fonds ne répartissent leurs avoirs qu’une fois leur participation cédée. Par conséquent, dans le cas des SLP contrôlées en droit ou en fait, il conviendra de réfléchir à des structures alternatives de détention des instruments de quasi-fonds propres, faute de quoi les intérêts correspondants s’avéreraient non déductibles, privant la structure d’une part substantielle de son effet de levier fiscal.
Notes
1 Benoît Foucher, Jérôme Sutour, «Le limited partnership à la française», Option finance du 30 mars 2015 ; Alain Couret, Pierre Le Roux, Jérôme Sutour, «La société de libre partenariat», Lettre des fusions acquisitions et du private equity du 5 octobre 2015 ; Pierre Le Roux, «La société de libre partenariat, une fiscalité attractive», Option finance du 19 octobre 2015 ; Alain Couret, Pierre Le Roux, Jérôme Sutour, «La société de libre partenariat : anatomie d’un mutant juridique», Revue trimestrielle de droit financier de novembre 2015.
2 Article L. 620-1 du Code de commerce.
3 Pour d’autres contraintes fiscales liées à l’utilisation de la double LuxCo, cf. notre article «La SLP, véhicule pivot de financements d’acquisition : sécurité et opportunités fiscales».
4 Cf. Jean-Charles Benois et Alexandre Bordenave, «La fiducie dans les financements structurés : des commentaires administratifs sur la bonne voie», Option Finance, 25 mai 2015
5 Que l’on pourrait mettre sur le compte d’un oubli de plume.
6 Le schéma ici présenté est parfois une simplification de schémas mis en oeuvre dans lesquels s’intercale entre la cible et HoldCo une société d’acquisition. Cependant, pour les besoins du présent article, il nous a semblé plus clair de nous en tenir à un schéma plus ramassé.
7 C’est-à-dire un véhicule qui lève des capitaux du public en vue de réaliser des investissements et dont les règles de création sont fixées par le Code monétaire et financier (CMF).
Auteurs
Dossier préparé par Pierre Le Roux, Thierry Granier, Jean-Charles Benois et Benoît Foucher (pour les aspects fiscaux), Jérôme Sutour (pour les aspects réglementaires), Grégory Benteux et Alexandre Bordenave (pour les aspects de droit bancaire), Christophe Blondeau et Cécile Sommelet (pour les aspects de droit des sociétés) et Alexandre Bastos et Daniel Carton (pour les aspects de droit des entreprises en difficulté).