Statut de cadre dirigeant – attention aux abus !

1 avril 2025
Un salarié ayant le statut de cadre dirigeant bénéficie d’un statut souple, adapté à ses fonctions de direction. C’est pourquoi la loi l’exclut de la plupart des dispositions applicables en matière de temps de travail.
Ainsi, il n’est soumis ni à la durée maximale journalière et hebdomadaire du travail, ni à la durée minimale de repos journalier et hebdomadaire, ni à la législation sur les heures supplémentaires, le travail le dimanche, les jours fériés ou encore le travail de nuit.
Sauf à ce que des mesures plus favorables soient instaurées par contrat ou convention collective, seule la législation relative aux congés payés, congés pour évènements familiaux et congés non rémunérés, à l’interdiction d’emploi avant ou après l’accouchement, au compte épargne-temps lui est applicable.
Compte tenu de cette grande souplesse et de son caractère moins protecteur, ce statut est réservé à de rares salariés.
Tous les cadres de direction ne peuvent en effet bénéficier du statut de cadre dirigeant et l’application de ce statut à des cadres qui ne remplissent pas les conditions pour en bénéficier expose l’employeur à de lourdes conséquences financières.
1 – Un statut réservé aux salariés participant effectivement à la direction de l’entrepriseÂ
Seuls peuvent prétendre à la qualité de cadre dirigeant, les cadres remplissant les conditions posées par l’article L. 3111-2 du Code du travail, les définissant comme les cadres « auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».
En application de cet article, trois critères cumulatifs doivent être réunis afin qu’un salarié puisse être considéré comme un cadre dirigeant :
-
- Être un cadre auquel sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps,
-
- Être habilité à prendre des décisions de façon largement autonome ;
-
- Percevoir une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans son entreprise ou établissement.
La Cour de cassation a ajouté que seuls relevaient de la catégorie des cadres dirigeants au sens de ce texte les cadres qui participent à la direction de l’entreprise.
Elle a toutefois précisé qu’il ne s’agissait pas selon elle d’une quatrième condition autonome ou distincte, plutôt de la conséquence du cumul des trois conditions du texte (voir notamment Cass. soc., 31 janvier 2012, n°10-24.412. Cass. soc., 2 juillet 2014, n°12-19.759 ; Cass. soc., 18 novembre 2015, n°14-17.590 ; Cass. soc., 25 novembre 2015, n°14-10.529)
Ces conditions sont en tout état de cause appréciées strictement et visent à restreindre le nombre de cadres relevant de cette catégorie.
2 – Une appréciation stricte de la qualité de cadre dirigeant
La Cour de cassation a récemment rappelé, au sujet d’une directrice d’association à qui le statut de cadre dirigeant n’a pas été reconnu, que la notion de cadre dirigeant était d’interprétation stricte.
La Cour a en effet considéré que la salariée n’était pas suffisamment autonome en matière de gestion du personnel, notamment sur le plan/ en matière disciplinaire (Cass. soc., 11 décembre 2024, n°23-19.421). La salariée était pourtant reconnue comme autonome dans plusieurs autres domaines, notamment financiers, seule la gestion du personnel restant en partie de la responsabilité de la présidente de l’association.
Cet exemple récent nous rappelle qu’il convient d’être vigilant, et de réserver ce statut aux seuls salariés qui remplissent strictement les conditions posées.
Il s’agira, par exemple, de limiter ce statut aux cadres bénéficiant d’une large délégation de pouvoir, leur permettant de prendre des décisions sans obtenir l’aval d’un organe de direction et sans avoir à rendre de comptes de manière trop régulière.
De manière générale, les risques de remise en cause de ce statut sont relativement limités s’il est réservé aux membres du comité de direction.
A l’inverse, lorsqu’une société compte une grande proportion de cadres dirigeants, le risque d’une remise en cause de la qualité de cadres dirigeant est plus important et génère des conséquences financières élevées.
3- Un statut dont la remise en cause peut s’avérer couteuse
Â
Si le statut est considéré comme ayant été octroyé à tort, le salarié peut notamment prétendre à un rappel d’heures supplémentaires pour les heures de travail qu’il a accomplies au-delà de la durée légale du travail.
Les montants en jeu peuvent alors s’avérer relativement importants dans la mesure où ces cadres de direction bénéficient généralement d’une rémunération élevée et ne comptent souvent pas leurs heures.
A ce propos, il a été récemment précisé que la demande de rappel de salaire fondée sur une contestation de la qualité de cadre dirigeant était considérée comme une action en paiement du salaire, soumise à la prescription triennale, et non une action portant sur l’exécution du contrat à laquelle aurait été appliquée une prescription biennale (Cass. soc., 4 déc. 2024, n°23-12.436).
Ainsi, après la rupture de son contrat de travail, un cadre dirigeant bénéficie d’un délai de 3 ans pour remettre en question devant les juridictions son statut et peut solliciter un rappel d’heures supplémentaires portant sur les trois années précédant la rupture.
Des précautions doivent donc être prises pour s’assurer de la pleine validité de ce statut. Il s’agit ainsi de :
⇒ Vérifier les stipulations de la convention de branche applicable, et notamment si le statut de cadre dirigeant n’est pas limité à un coefficient de classification minimal, ou à d’autres obligations spécifiques ;
⇒ Vérifier qu’aucune clause contractuelle ne s’oppose à ce statut, notamment en soumettant le cadre à un autre régime de durée du travail. En effet, selon la Cour de cassation, dès lors que les parties ont souhaité soumettre la relation de travail à un autre dispositif de durée du travail que celui qui leur est applicable, la qualité de cadre dirigeant ne peut leur être reconnue. Cela a été jugé :
-
- Au sujet des conventions de forfait en jours : la conclusion, avec un salarié cadre, d’une convention de forfait en jours exclut la possibilité de se prévaloir du statut de cadre dirigeant, y compris si ladite convention de forfait est illicite ou privée d’effet et que le cadre en remplit effectivement toutes les conditions (voir notamment Cass. soc., 7 septembre 2017, n°15-24.725 ; Cass. soc., 12 janvier 2022, n°19-25.080).
-
- Concernant une convention annuelle de forfait en heures, indépendamment de la question de la validité de cette convention, ou des conditions réelles d’emploi du salarié (Cass. soc., 11 mai 2023, n°21-25.522).
L’argument visant à tenter, en cas d’invalidation du forfait annuel en jours, de faire reconnaitre l’absence d’accomplissement d’heure supplémentaire au motif que le salarié avait en réalité la qualité de cadre dirigeant ne semble donc pas avoir la faveur des juridictions.
Cette solution interroge, en particulier dans le cas où la clause de forfait jours a été annulée.
En effet, dès lors qu’une clause contractuelle est annulée, elle est censée n’avoir jamais existé en application de l’article 1178 du Code civil. C’est le principe même de la nullité selon le droit civil : une clause nulle ne devrait pas avoir le moindre effet juridique et ne devrait donc pas empêcher que la qualité de cadre dirigeant soit reconnue au salarié.
La Cour de cassation reconnait donc au statut de cadre dirigeant un caractère vraiment exceptionnel, et il y a lieu d’être particulièrement attentif lors de la mise en place de ce statut si on veut en éviter toute remise en cause ultérieure.
AUTEURS
Charlotte Guirlet, Avocate Counsel, CMS Francis Lefebvre AvocatsÂ
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