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Succession des Français domiciliés en Suisse : tout va changer !

Les relations franco-suisses connaissent, ces derniers temps, une agitation inhabituelle sur plusieurs sujets dont les successions.

Plus que jamais les Français qui choisissent, ou ont choisi, d’établir leur résidence en Suisse doivent s’interroger sur les incidences de ce choix lors du règlement de leur succession. À cette fin, il convient de s’intéresser au droit interne de chaque Etat mais aussi aux règles de conflits de lois et de juridictions, ainsi que, sur le plan fiscal, à la convention portant sur les droits de succession. Il est aussi essentiel de combiner l’analyse civile et fiscale pour donner toute son efficacité aux choix patrimoniaux des Français domiciliés en Suisse.

Un changement déjà acté de nos règles civiles de détermination de la loi successorale applicable

La première question à résoudre est celle de loi successorale applicable. Dans ce domaine, le règlement européen n°650/2012 du 4 juillet 2012 qui entrera en application en France le 17 août 2015 va rapprocher la législation française de la législation suisse sur deux points.

D’une part, le critère utilisé pour la détermination de la loi successorale va être, pour la France comme pour la Suisse, le critère unique du domicile du défunt, tant pour les meubles que pour les immeubles et quelle que soit la situation de ces biens.

On rappellera qu’aujourd’hui la loi française prévoit un double critère qui distingue les meubles, soumis à la loi du dernier domicile, des immeubles, soumis à la loi de l’État dans lequel les immeubles sont situés.

Cela étant, toute difficulté ne sera pas nécessairement aplanie dans la mesure où le droit suisse s’intéresse au « dernier domicile » du défunt, alors que le règlement européen vise sa « résidence habituelle » et prévoit d’écarter la loi de la résidence habituelle en cas de liens manifestement plus étroits du défunt avec un autre pays.

D’autre part, la professio juris, c’est-à-dire la possibilité de choisir la loi applicable à sa succession qui était jusqu’alors interdite en droit français, mais permise par le doit suisse, sera désormais possible. Une personne pourra ainsi choisir valablement, comme loi régissant l’ensemble de sa succession, la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès.

En pratique, cette possibilité pour un Français de choisir la loi française comme loi applicable à sa succession, alors même qu’il résiderait en Suisse, devrait être couramment utilisée dans la mesure où elle permettra de ne pas perturber les solutions patrimoniales que ce Français aura mises en place avant sa domiciliation en Suisse.

On pense ainsi au cas de deux époux mariés sous le régime de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant, régime matrimonial classique en France mais non pratiquée en suisse. Au décès de l’époux prémourant, cet avantage matrimonial au profit du conjoint risque de rencontrer des difficultés d’exécution au regard des règles suisses relatives à la réserve héréditaire des descendants.

L’option pour la loi successorale française pourrait aussi se justifier si le système légal français convenait mieux à la personne concernée. La loi française, par exemple, ne prévoit pas de droit à la réserve pour le conjoint survivant en présence d’enfants, ce qui n’est pas le cas en Suisse où le conjoint est un héritier réservataire.

Dans l’hypothèse où le Français n’aurait pas recouru à la professio juris et où le droit suisse serait applicable à sa succession en tant que loi du dernier domicile, il devra s’intéresser aux institutions du droit suisse tout en s’interrogeant sur leur conformité à l’ordre public international français en cas d’exécution en France.

Ainsi, le Français domicilié en Suisse pourra, conformément au droit suisse, établir des «pactes successoraux», mais ces pactes sont inconnus du droit français et sont susceptibles de heurter l’interdiction des pactes sur succession future prévue à l’article 1130 du Code civil français.

Un changement attendu des règles fiscales en matière de droits de succession
Une nouvelle convention fiscale entre la France et la Suisse portant sur les droits de succession a été signée le 11 juillet dernier. Si elle est adoptée, elle changera radicalement la donne des successions franco-suisses.

Le projet met fin à l’exonération en France des parts de SCI détenant des immeubles français détenus par des résidents suisses qui deviendront imposables en France, même si les héritiers ne sont pas domiciliés en France (1).

La nouveauté essentielle serait l’imposition en France des héritiers à raison de la totalité de la succession de résidents suisses, y inclus les biens immobiliers situés en Suisse. À condition que les héritiers soient résidents de France depuis plus de huit ans sur les dix années précédant la succession, la totalité des biens faisant partie de la succession du défunt résident en Suisse serait imposable en France, sous déduction de l’impôt payé en Suisse. Tous les héritiers qui résident en France sont concernés, quelle que soit leur nationalité.

Cette nouvelle convention pénalise essentiellement les héritiers en France de résidents suisses par rapport à la situation actuelle. La date d’entrée en vigueur de la convention est à ce jour inconnue. La convention n’a pas encore été formellement acceptée par le Parlement suisse et, de plus, il ne faut pas exclure qu’à l’initiative de certains partis en Suisse, la convention soit soumise à un referendum.

D’ici là, il est impératif d’intégrer la nouvelle donne, qui oblige à tenir compte de la fiscalité française des successions et des possibles optimisations qu’elle offre (encore) pour tenter de minimiser l’impact de ce changement annoncé. L’intervention de fiscalistes français deviendra dès lors indispensable dans l’élaboration de la planification successorale des résidents suisses.


(1) En l’état actuel de la convention, ces parts sont exonérées de droits de succession en France.

 

A propos des auteurs

Sylvie Lerond, avocat, responsable du Département Droit du patrimoine. Elle conseille les particuliers et les chefs d’entreprise sur leurs projets d’organisation et de transmission de leur patrimoine privé et professionnel et les assiste dans leurs contentieux civils et fiscaux (droit de donation, droit de succession et ISF)

Agnès de l’Estoile-Campi, avocat associée. Spécialisée en fiscalité internationale, elle travaille essentiellement pour des groupes français multinationaux dans les domaines suivants : fusions et acquisitions, réorganisations, prix de transfert, stratégie et optimisation fiscale internationale.

 

Article paru dans Le Revenu le 19 novembre 2013