Supplément de participation ou d’intéressement : la Cour de cassation sème le trouble
6 décembre 2023
Par une décision rendue le 19 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir décidé qu’en l’absence de conclusion d’un accord spécifique, les suppléments de participation et d’intéressement versés par une entreprise devaient être réintégrés dans l’assiette des cotisations (Cass. civ. 2., 19 octobre 2023, n°21-10.221).
Retour sur les circonstances de l’affaire soumise à la Cour de cassation et sur les conséquences de cette décision.
Réglementation applicable au supplément de participation et d’intéressement
Selon les termes respectifs des articles L.3324-9 (supplément de réserve spéciale de participation) et L.3314-10 (supplément d’intéressement) du Code du travail, le conseil d’administration, le directoire ou, à défaut, l’employeur peut, dans une entreprise couverte par un accord de participation ou un accord d’intéressement, décider d’attribuer un supplément de participation ou d’intéressement aux salariés au titre du dernier exercice clos, dans le respect des plafonds prévus par la loi, lorsque la formule de calcul retenue par l’accord a permis de dégager un résultat positif.
Les modalités de répartition de ce supplément sont définies :
-
- par l’accord de participation ou d’intéressement ;
-
- ou par un accord spécifique conclu dans les conditions prévues aux articles L.3322-6 pour l’accord de participation, et L.3312-5 du Code du travail s’agissant de l’accord d’intéressement. Cet accord peut prendre la forme d’un accord collectif de travail, d’un accord conclu entre l’employeur et les représentants d’organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, d’un accord conclu au sein du CSE ou, à la suite de la ratification à la majorité des deux tiers du personnel, d’un projet d’accord proposé par l’employeur.
Selon l’administration, le supplément de participation ou d’intéressement peut être mis en place par décision unilatérale de l’employeur et un accord spécifique qui doit être déposé à la DIRECCTE (devenue la DREETS) lorsque les modalités de répartition de ce supplément diffèrent de celles qui sont prévues dans l’accord de participation ou d’intéressement (Guide de l’épargne salariale, dossier 1 fiche 8 et dossier 2 fiche 7).
Lorsque ces conditions sont respectées, les sommes issues de l’intéressement et de la participation comme celles qui sont versées au titre d’un supplément sont en principe exclues de l’assiette des cotisations de sécurité sociale.
Les faits d’espèce
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 octobre 2023, une entreprise avait décidé de verser à ses salariés un supplément de participation et d’intéressement au titre de plusieurs exercices consécutifs.
Aux termes de son contrôle, l’Urssaf a réintégré dans l’assiette des cotisations dues par la société les suppléments de participation et d’intéressement alloués aux salariés au motif qu’ils n’avaient pas fait l’objet d’un accord spécifique ou d’un avenant à l’accord déposé suivant les modalités exigées.
Contestant ce redressement, l’entreprise a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). Déboutée en première instance puis en appel, elle s’est pourvue en cassation.
La décision
La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond de réintégrer dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale les suppléments de participation et d’intéressement versés aux salariés.
Réintégration du supplément de participation dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale
Pour contester le redressement, l’entreprise faisait valoir que des protocoles d’accord de négociations annuelles, instituant le supplément de participation dans les conditions de répartition prévues par l’accord de participation en vigueur, avaient été conclus et déposés à la Direccte, de sorte que les conditions posées par l’article L.3324-9 du Code du travail étaient réunies.
Cependant, la Cour de cassation énonce que, lorsque l’augmentation de la réserve spéciale de participation est négociée par voie collective, le supplément de participation doit faire l’objet :
-
- d’un accord spécifique prévoyant les modalités de répartition entre les salariés ;
-
- et que cet accord doit avoir été déposé auprès de la Direccte du lieu où il a été conclu.
Elle approuve donc les juges du fond d’avoir décidé que les suppléments ne pouvaient pas bénéficier de l’exonération de cotisations, après avoir relevé que :
⇒ si un accord de participation avait été signé et déposé auprès de la Direccte, la société a versé durant chacune des années contrôlées des suppléments au titre de la participation qui n’ont pas fait l’objet d’un avenant régulièrement déposé ;
⇒ le fait que des protocoles d’accord de négociations annuelles, incluant des dispositions relatives à la participation, aient été conclus ne suffit pas à établir que les suppléments de participation ont fait l’objet d’un accord spécifique ou d’un avenant à l’accord initial régulièrement déposé.
Réintégration du supplément d’intéressement dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale
A l’appui de sa contestation relative au redressement des sommes versées au titre du supplément d’intéressement, l’entreprise soutenait avoir mis en place ces suppléments par le biais de deux accords de négociations annuelles déposés à la Direccte
Après avoir énoncé que, lorsqu’un accord d’intéressement a été négocié dans l’entreprise, l’employeur ne peut mettre en œuvre un supplément d’intéressement qu’en application d’un accord spécifique dont l’objet est de prévoir les modalités de répartition du supplément, la Cour de cassation :
⇒ approuve les juges du fond d’avoir décidé que les accords de négociation annuelles déposés à la Direccte ne suffisent pas à établir l’existence d’un accord spécifique.
⇒ en conséquence, les suppléments d’intéressement ne peuvent bénéficier d’une exonération de cotisations.
Une décision critiquable et à la portée incertaine
Cette décision peut surprendre, dans la mesure où elle semble remettre en cause les solutions admises jusqu’à présent, qui se déduisaient pourtant de la lettre même des articles L.3324-9 et L.3314-10 du Code du travail :
⇒ un supplément de participation ou d’intéressement peut être mis en place par décision unilatérale de l’employeur ;
⇒ la conclusion d’un accord spécifique n’est requise que si les modalités de répartition du supplément sont différentes de celles qui étaient prévues par l’accord initial de participation ou d’intéressement.
Or, la Cour de cassation, dans cette décision singulière, semble désormais exiger, en toute circonstance :
♦ qu’un avenant à l’accord initial ou un accord spécifique institue le supplément de participation ;
♦ et qu’un accord spécifique institue le supplément d’intéressement, excluant de ce fait toute possibilité de mise en place du supplément par la voie unilatérale.
Cette analyse pourrait être relativisée, s’agissant du supplément de participation, dans la mesure où la Cour semble réserver cette solution au cas où l’augmentation de la réserve spéciale de participation a été négociée. Il demeurerait donc possible de mettre en place un supplément de participation par décision unilatérale.
S’agissant du supplément d’intéressement, la position de la Cour de cassation est plus troublante encore car elle semble exclure toute mise en place du supplément par décision unilatérale lorsqu’un accord d’intéressement a été négocié dans l’entreprise, et ce, contrairement à la lettre même de la loi.
La Haute Juridiction apporte également une précision importante concernant la notion d’accord spécifique, en décidant :
⇒ qu’un accord collectif conclu dans le cadre de la négociation obligatoire et comportant, parmi d’autres mesures, des stipulations relatives à l’intéressement ou à la participation, ne saurait constituer un accord spécifique au sens des dispositions légales.
⇒ pour constituer un accord spécifique, l’accord devrait donc porter exclusivement sur le supplément de participation ou d’intéressement.
Sur ce point également, la position de la Cour de cassation semble peu compréhensible dans la mesure où seul parait, dans ce cas, importer qu’un accord soit conclu, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon qu’il contient d’autres dispositions négociées ou s’il est au contraire exclusivement dédié à ce sujet.
Dans ce contexte, il est souhaitable que la Cour de cassation apporte rapidement des précisions sur la portée exacte de cette décision qui est source d’une importante insécurité juridique pour les entreprises.
A ce stade, on ne peut exclure que cet arrêt ait une portée plus limitée qu’il n’y paraît et que la Cour de cassation n’ait pas entendu exclure tout versement d’un supplément de participation ou d’intéressement par décision unilatérale.
AUTEURS
Béatrice Taillardat-Pietri, Responsable adjointe de la Doctrine sociale, CMS Francis Lefebvre
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