Télétravail : l’après confinement
2 juillet 2020
Très peu développé en France par rapport aux autres pays européens, le télétravail, expressément recommandé par le Gouvernement comme moyen de lutte contre le Covid-19, a fait l’objet d’un recours massif au cours des trois derniers mois où il a concerné plus de cinq millions de salariés.
La formidable impulsion donnée au télétravail dans cette situation contrainte devrait se traduire par une évolution du dispositif, tant en ce qui concerne son régime juridique tel qu’il résulte de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, que dans la perception qu’en ont les entreprises et les salariés, même les plus réfractaires.
Au moment où les salariés retrouvent progressivement le chemin du lieu de travail et alors que le Gouvernement précise désormais que « le télétravail n’est plus la norme mais reste une solution à privilégier dans le cadre d’un retour progressif à une activité présentielle, y compris alternée » (nouveau protocole de déconfinement des entreprises publié le 24 juin 2020, voir notre article à ce sujet), l’heure est désormais aux premiers bilans.
Le télétravail en situation de crise
Le développement de l’épidémie, la décision du Gouvernement de recourir au confinement de la population et la quasi-obligation faite aux entreprises de recourir – quand cela était possible – à ce mode d’organisation du travail, a conduit toutes les entreprises à mettre en place le télétravail dans l’urgence et en s’affranchissant de toutes les règles posées par le Code du travail sur le seul fondement de l’article L.1222-11 du Code du travail selon lequel « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en Å“uvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».
Le télétravail a ainsi été mis en place, sans accord collectif, sans charte et sans que soit requis l’accord du salarié, pendant toute la durée du confinement et il continue aujourd’hui de s’appliquer pour un grand nombre de salariés. De même, les employeurs se sont abstenus de procéder à toutes les vérifications (conformité électrique, assurance, etc.) et de respecter toutes les conditions (période probatoire, réversibilité) mises à leur charge, tant par l’Accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail que, le cas échéant, par les accords et les chartes en vigueur dans l’entreprise.
Mis en place pour faire face à une situation d’urgence, il s’agit d’un télétravail « en mode dégradé » selon l’expression de l’Institut national de recherche et de santé (INRS), c’est-à -dire instauré à la hâte pour poursuivre l’activité sans les ressources habituelles. Celui-ci s’est imposé aussi bien aux employeurs qu’aux salariés.
Compte tenu des préconisations du Gouvernement, quelle entreprise aurait en effet pu décider de poursuivre son activité en « présentiel » alors que les postes occupés par les salariés étaient éligibles au télétravail, au risque de voir sa responsabilité engagée pour violation de son obligation de sécurité ?
Face à une telle contrainte, on peut se demander si le télétravail mis en place ces derniers mois doit obéir aux règles habituelles relatives à l’exécution du travail à distance ou relève d’un régime ad hoc. En effet, en raison de la décision gouvernementale de confinement, et comme l’a d’ailleurs indiqué la ministre du Travail, les salariés ont dû concilier leurs obligations professionnelles et leurs contraintes personnelles et familiales. Pour leur part, les entreprises ont été forcées d’aménager leurs activités et leurs objectifs. Cette organisation nouvelle pour tous rend nécessaire des adaptations du régime applicable.
Dès lors, il parait souhaitable que l’article L.1222-11 du Code du travail qui permet d’imposer le télétravail en cas de menace épidémique soit complété afin de préciser, d’une part, les critères permettant de mobiliser cet article (l’employeur ne peut être seul juge de l’existence ou non d’une situation exceptionnelle et notamment de l’existence d’une épidémie lui permettant d’imposer le télétravail) et, d’autre part, les modalités spécifiques dans lesquelles s’exécute un tel télétravail. Dans le cas où une situation telle que celle que nous avons connue viendrait à se reproduire, ce qui ne peut être exclu à ce jour, ces précisions seraient en effet les bienvenues.
Quels enseignements pour l’avenir ?
Le constat dressé par la majorité des entreprises et des salariés à l’issue de cette période est le suivant : le télétravail, ça marche ! Certains y ont même pris gout !
Cette période inédite apporte un premier enseignement : elle a montré que le télétravail pouvait être mis en place rapidement pour s’adapter à une situation exceptionnelle. Toutes les entreprises qui ne pratiquaient pas le télétravail ont ainsi rapidement doté leurs salariés d’ordinateur et de téléphone portable professionnels leur donnant ainsi les moyens d’exercer leur activité à distance et ont mis en place des plateformes collaboratives pour poursuivre l’organisation de conférences et de réunions (zoom, teams, skype, etc.) avec leurs clients et leurs salariés. Nul doute dans ces conditions que les prochaines grèves de transports en commun, notamment en région parisienne, auront désormais un moindre impact sur l’activité des entreprises.
Du point de vue des entreprises, il semble en effet que le passage au télétravail en période de Covid-19 n’ait eu qu’un impact négatif minime sur la productivité (aisément explicable par le fait que de nombreux salariés ont dû concilier leur activité professionnelle avec la garde de leurs enfants). Le recours au télétravail n’aurait donc pas d’effet négatif sur la productivité des salariés comme pouvaient le craindre nombre d’entreprises réfractaires à ce mode d’organisation du travail.
Par ailleurs, à l’instar des entreprises qui ont depuis longtemps mis en place le flex-office (c’est-à -dire un mode d’organisation caractérisé par l’absence de bureau attitré sur le lieu de travail et le recours à un télétravail régulier), beaucoup d’entreprises voient désormais dans ce mode d’organisation une source non négligeable d’économies puisqu’il permet de réduire les coûts d’infrastructure (électricité, chauffage, loyer) mais aussi les coûts indirects (gain de temps, retards, absences, etc.).
Du point de vue des salariés, ce mode d’organisation du travail a été – au terme de la période épidémique – largement plébiscité puisque 62 % des actifs déclarent aujourd’hui qu’ils souhaitent pouvoir conserver une possibilité de télétravail après la crise. Ce sera donc un point incontournable des futures négociations obligatoires sur la durée du travail et la qualité de vie au travail.
Néanmoins l’expérience de ces derniers mois montre aussi que le succès du télétravail repose avant tout sur la flexibilité et la souplesse, tant du point de vue des salariés que de celui des entreprises. Pour que ce mode d’organisation puisse prospérer, il est donc impératif de ne pas créer un carcan juridique trop rigide qui serait de nature à décourager les entreprises candidates de mettre en place ce mode d’organisation.
Il convient donc de veiller à ce que les règles de mise en place et les conditions d’exécution du télétravail ne soient pas trop rigides, que les obligations mises à la charge des entreprises qui souhaitent y recourir ne soient pas trop élevées, ni trop contraignantes et que le dispositif permette aux salariés de bénéficier d’une réelle flexibilité dans l’organisation de leur travail, tout en garantissant le respect de leur vie personnelle et familiale. Le télétravail doit donc bénéficier d’un régime souple de mise en œuvre assorti de garanties pour les salariés.
Souhaitons qu’il soit tenu compte de ces impératifs dans le cadre de la concertation sur le télétravail qui s’est ouverte le 5 juin 2020 au niveau interprofessionnel et à l’occasion de laquelle les organisations syndicales ont déjà plaidé pour la négociation d’un nouvel accord national interprofessionnel encadrant la pratique du télétravail.
Si les freins psychologiques au télétravail semblent donc peu à peu se lever ce qui devrait entraîner une recrudescence du recours à ce mode d’organisation du travail, entreprises et salariés doivent néanmoins rester vigilants :
-
- du côté des entreprises, il convient de veiller à ce que cette pratique n’ait pas pour effet de remettre en cause la cohésion de la communauté de travail en trouvant un juste équilibre entre l’activité en télétravail et en présentiel. En effet, le télétravail, par la distance qu’il instaure entre le salarié et l’entreprise, est susceptible, s’il est pratiqué à grande échelle, de porter atteinte à l’exercice du management, de nuire au travail en équipe, voire même de porter atteinte au lien de subordination. Il est également susceptible de créer des clivages entre les salariés selon qu’ils occupent des postes éligibles ou non au télétravail. La situation de ces derniers ne doit donc pas être oublié par l’employeur à l’occasion des négociations sur le télétravail ;
-
- du côté des salariés, il faudra veiller à ce que les garanties relatives au droit au respect de sa vie privée – telles qu’elles sont prévues notamment par l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, soient effectives et à la conservation du lien avec l’entreprise.
Afin d’organiser la poursuite du télétravail, les entreprises auront intérêt à recueillir les retours d’expérience sur cette période inédite pour identifier les bonnes pratiques et les difficultés à résoudre et s’appuyer sur les recommandations des salariés comme des managers.
Article publié dans Les Echos Executives le 02/07/2020
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