Titres ouvrant droit au régime des sociétés mères
A l’occasion d’un litige sur l’imposition des plus-values, le Conseil d’Etat précise que la détention de 5% du capital s’apprécie à la date du fait générateur de l’impôt, c’est-à-dire lors de la cession.
Dans un litige relatif à l’application du régime des plus-values long terme, le Conseil d’Etat rend une décision qui traite du régime des plus-values à long terme, mais également de l’exonération des dividendes du régime mère-fille (Conseil d’Etat, 26 janvier 2018, n°408219, SAS EBM).
On sait qu’en vertu du a quinquies du I de l’article 219 du CGI, le bénéfice du régime d’imposition au taux de 0% de la plus-value à long terme de cession est subordonné à la condition que les titres cédés puissent recevoir la qualification de titres de participation au sens du droit fiscal, lequel renvoie aux titres de participation revêtant ce caractère sur le plan comptable ainsi qu’aux titres ouvrant au droit régime des sociétés mères, à la condition que ces derniers soient inscrits en comptabilité au compte titres de participation ou à une subdivision spéciale d’un autre compte du bilan correspondant à leur qualification comptable et à la condition de détenir au moins 5% des droits de vote (condition ajoutée pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2017).
Au cas particulier, la société cédante avait cumulativement soutenu que les titres cédés revêtaient le caractère de titres de participation sur le plan comptable et qu’ils étaient éligibles fiscalement au régime des sociétés mères.
Cette double thèse est toutefois repoussée par le Conseil d’Etat au terme d’un raisonnement dont les prolongements méritent l’analyse.
1. Le raisonnement du Conseil d’Etat
S’agissant de la qualification comptable des titres en cause, le Conseil d’Etat rappelle que les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise, notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle, une telle influence pouvant notamment être caractérisée si les conditions d’achat des titres en cause révèlent l’intention de l’acquéreur d’exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d’exercer une telle influence. Le principe n’est pas nouveau (v. CE 20 octobre 2010 n°314247, Sté Alphaprim).
La société se référait, pour étayer la qualification de titres de participation au sens comptable, à un pacte d’actionnaires conclu en 1999, auquel elle avait ultérieurement adhéré, mais selon l’analyse de la Cour administrative d’appel, non critiquée par le Conseil d’Etat sur ce point, le pacte poursuivait un objectif de rendement financier, et ne révélait pas que la requérante avait l’intention d’exercer une influence sur la société émettrice, ni l’intention d’en assurer le contrôle.
S’agissant de l’éligibilité des titres concernés au régime des sociétés mères, qui constitue l’essentiel de l’intérêt de la décision commentée, le Conseil d’Etat relève qu’il résulte des termes mêmes du b de l’article 145 que la détention d’au moins 5% du capital de l’émettrice « s’apprécie à la date du fait générateur de l’impôt -c’est-à-dire, s’agissant d’une plus-value de cession, à la date de la cession- et non de manière continue sur une période de deux ans ». Ce considérant de principe fait écho à la particularité de l’espèce, dans laquelle la société qui prétendait accéder au taux zéro des plus-values à long terme détenait certes 5% au jour de la cession, mais sans avoir atteint ce seuil de façon continue pendant les deux années qui précédaient. Il résulte ainsi de la décision du Conseil d’Etat qu’une société relève du régime des plus-values à long terme si elle atteint le seuil de détention de 5% à la date de cession des titres, sous réserve d’une inscription comptable (à une subdivision « Titres relevant du régime des plus-values à long terme » « TRPVLT »), même si elle n’a pas détenu un socle minimum de 5% de titres de participation pendant au moins 2 ans. On peut penser que la nouvelle condition applicable depuis les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2017 de détention d’au moins 5% des droits de vote devrait également être appréciée à la date de cession des titres.
Au cas particulier, le Conseil d’Etat ne donne pas satisfaction à la société car celle-ci n’avait pas justifié de l’inscription en comptabilité (dans la subdivision susvisée) des titres de la société cédée.
2. La portée de la décision du Conseil d’Etat
Le premier intérêt de la décision est d’apprécier de façon distincte les conditions d’application du régime des sociétés mères.
Tandis que la condition de détention de 5% est appréciée au seul jour d’appréciation de l’éligibilité au régime de faveur (jour de la distribution pour le régime des sociétés mères et jour de la cession pour les plus-values, ce qui est clairement indiqué par le b du 1 de l’article 145 en cas de distribution de dividendes, et ce qui est désormais affirmé par l’arrêt commenté en matière de plus-values de cession), la condition de conservation pendant deux ans prévue au c du 1 de l’article 145 doit forcément être respectée pour que le régime des sociétés mères soit applicable.
La combinaison entre le b et le c du 1 de l’article 145 conduit donc le rapporteur public à considérer que lorsqu’une société mère détient, au jour de la mise en paiement des dividendes, une participation représentant au moins 5% du capital de la société émettrice, elle peut bénéficier de l’exonération, mais l’exonération se limite alors aux titres détenus au moins deux ans, ou qui seront détenus pendant au moins deux ans: exemple d’un entreprise détenant une participation de 4% d’une société pendant un an et demi, qui augmente cette participation à 5% peu avant la distribution des dividendes et qui cède le tout 6 mois après. Dans cet exemple, le seuil de 5% est bien atteint au moment de la distribution, mais seuls 4% d’entre eux auront été détenus pendant 2 ans, et l’exonération du régime des sociétés mères serait admise mais à hauteur de 4% seulement, toujours selon le rapporteur. Comme l’indiquait ce dernier dans l’affaire commentée, la solution peut paraître ne pas avoir une parfaite cohérence au regard de l’objet et de l’esprit du régime mère-fille, mais c’est bien ce que dit la loi et la directive mère-fille autorise cette lecture.
Il n’est toutefois pas certain que cette appréciation de façon distincte des conditions prévues au b) et au c) de l’article 145 du CGI, que préconise le rapporteur (solution non confirmée par le juge), soit encore possible sous l’empire du texte actuel.
Le texte actuel de l’article 145 est rédigé différemment puisqu’il énonce que « les titres de participation doivent avoir été conservés pendant un délai de deux ans lorsque les titres représentent au moins 5% du capital de la société émettrice ». Il est vraisemblable que cette nouvelle rédaction ne change pas le fond du droit et s’explique par la volonté d’introduire en parallèle un nouveau délai de 5 ans lorsque les titres représentent 2,5% du capital et 5% des droits de vote de la société émettrice, mais on ne peut exclure une lecture consistant à lier l’exigence du délai de deux ans et celle d’une détention minimale.
Rappelons enfin que les sociétés détenant un socle minimum de 5% de titres pendant au moins deux ans bénéficient de l’exonération sur tous les titres de participation, même ceux ne respectant pas la condition d’une détention de deux ans (CE, 15 décembre 2014, n°380942, SA Technicolor).
Les effets de cette décision sont moins évidents à identifier pour le régime des plus-values à long terme qu’ils ne le sont pour l’exonération des dividendes.
On sait que pour accéder au régime des plus-values à long terme, une société mère doit détenir les titres cédés depuis deux ans, conformément à l’article 39 duodecies du CGI. L’arrêt commenté, qui ne porte pas sur l’interprétation de cet article, ne remet pas en cause cette règle. Il en découle que seuls les titres correctement comptabilisés pendant au moins deux ans peuvent bénéficier du régime du long terme.
Lorsqu’il s’agit de titres de participation sur le plan comptable comptabilisés comme tels depuis l’origine, le régime du long terme devrait s’appliquer, même si le taux de détention de 5% n’est pas atteint.
Lorsqu’il s’agit de titres ne satisfaisant pas aux exigences de la qualification comptable de titres de participation mais ouvrant droit au régime des sociétés mères, le régime du long terme est applicable, mais à la condition que les titres aient été correctement comptabilisés pendant deux ans. Ainsi, dans le cas d’une société mère qui aurait porté sa participation dans sa filiale à 5% moins de deux ans avant la cession, cette dernière condition risque de ne pas être satisfaite. En effet, à supposer que la société ait bien inscrit, lors du franchissement du seuil de 5%, sa participation à la subdivision spéciale « Titres relevant du régime des plus-values à long terme », ce transfert serait trop récent pour que le délai de deux ans puisse être respecté.
Auteurs
Christel Legout, avocat, droit fiscal
Florent Ruault, avocat, spécialiste des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale