Transfert de noms de domaine au profit d’une collectivité locale pour défaut d’intérêt légitime
Dans un arrêt du 14 mars 2017, la cour d’appel de Versailles rappelle qu’il n’est possible d’enregistrer ou de renouveler un nom de domaine « identique ou apparenté à celui d’une collectivité territoriale » ou « susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité » que sous réserve de justifier de deux conditions cumulatives : avoir un intérêt légitime et agir de bonne foi (article L.45-2 du Code des postes et communications électroniques).
La société Dataxy, société de conception et l’hébergement de sites Internet, avait enregistré en juin 2004 sur la base de la règle du « premier arrivé, premier servi » les noms de domaine « saoneetloire.fr » et « saone-et-loire.fr » qui étaient alors disponibles. Quelques mois plus tard, le département de Saône-et-Loire a demandé à son prestataire de réserver ces même noms de domaine, lesquels étaient alors réservés par Dataxy. Le département de Saône-et-Loire a demandé en vain à la société Dataxy de lui transférer ces noms de domaine.
Lors de la période de réservation prioritaire accordée du 3 mai au 2 juillet 2012 aux titulaires d’un nom de domaine sans accent pour enregistrer son équivalent accentué, la société Dataxy en a profité pour enregistrer, avant que le département n’en ait la possibilité, un troisième nom de domaine : « saône-et-loire.fr ».
Le département de Saône-et-Loire a alors déposé en juillet 2012, dans le cadre de procédures Syreli, une requête devant l’Association française pour le nommage Internet en coopération (AFNIC) pour chacun des trois noms de domaine « saoneetloire.fr », « saone-et-loire.fr » et « saône-et-loire.fr ».
L’AFNIC a refusé le transfert des noms de domaine « saoneetloire.fr » et « saone-et-loire.fr » antérieurs au dépôt de la marque « saône-et-loire LE DEPARTEMENT » au motif que la société Dataxy avait un intérêt légitime et que sa mauvaise foi n’était pas démontrée car le site vers lequel renvoyait chacun de ces noms de domaine était exploité pour une offre de services ne relevant pas des compétences des conseils généraux et indiquait qu’il n’était pas le site officiel du département.
En revanche, l’AFNIC a ordonné le transfert du nom de domaine « saône-et-loire.fr » au profit du département de Saône-et-Loire au motif que ce nom de domaine était susceptible de porter atteinte aux droits du département sur sa marque française antérieure « saône-et-loire LE DEPARTEMENT » et que pour ce nom de domaine la mauvaise foi était démontrée car il avait été réservé après l’enregistrement de la marque et que le site Internet vers lequel il renvoyait proposait une offre de services dans les mêmes secteurs que ceux protégés par la marque (services de diffusion d’annonces publicitaires).
La société Dataxy, insatisfaite de cette dernière décision de transfert, a alors assigné le département pour la faire annuler. Cependant les juges du fond, suivant une argumentation différente de celle de l’AFNIC, ordonnent finalement le transfert des trois noms de domaine au profit du département de Saône-et-Loire (CA Versailles, 14 mars 2017, n°15/08491).
Concernant le nom de domaine « saône-et-loire.fr » réservé en 2012, donc après l’enregistrement par le département de la marque « saône-et-loire LE DEPARTEMENT » en 2011, la Cour considère que les faits de contrefaçon de marque sont caractérisés et que le nom de domaine « saône-et-loire.fr » doit être transféré au profit du département de Saône-et-Loire.
Ensuite, alors que l’AFNIC avait considéré que le seul fait que chacun des trois noms de domaine soit « utilisé dans le cadre d’une offre de biens ou de services » suffisait à démontrer que la société Dataxy avait un « intérêt légitime » au sens de l’article L.45-2 du Code des postes et des communications électroniques, la Cour d’appel considère que la société Dataxy ne démontre pas d’intérêt légitime car elle n’exploite pas les noms de domaine « pour une offre de services en lien avec le territoire de Saône-et-Loire ». Ainsi, l’exigence d’un intérêt légitime faisant défaut, la Cour d’appel en déduit que même les noms de domaine « saoneetloire.fr » et « saone-et-loire.fr » enregistrés par la société Dataxy avant l’enregistrement de la marque « saône-et-loire LE DEPARTEMENT », doivent être transférés au profit du département de Saône-et-Loire et ce, sans même se prononcer sur la question de la mauvaise foi.
Les critères d’appréciation de l’exigence d’intérêt légitime retenus par la Cour d’appel lui permettent ainsi de confirmer le jugement de première instance ordonnant le transfert des trois noms de domaine au profit du département de Saône-et-Loire.
Enfin, la Cour d’appel octroie au département des dommages et intérêts non négligeables : 5 000 euros au titre du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de marque et 20 000 euros au titre du préjudice subi du fait de l’atteinte portée au nom de la collectivité territoriale.
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Diane De Tarr-Michel, avocat en droit de la propriété intellectuelle