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Transfert d’entreprise : quel sort pour le plan d’épargne ?

Transfert d’entreprise : quel sort pour le plan d’épargne ?

Selon la Cour de cassation, en cas de transfert d’entreprise, le salarié a seulement la faculté de transférer ses avoirs au sein du plan d’épargne d’entreprise (PEE), s’il existe, de son nouvel employeur, ce dernier n’étant pas tenu de poursuivre le plan de l’ancien employeur.

Une jurisprudence reposant sur un fondement textuel ambivalent

Le sort du PEE en cas de transfert d’entreprise (emportant changement d’employeur en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail) est prévu par la loi dans des termes particulièrement imprécis.

Ainsi, l’article L. 3335-1 du Code du travail prévoit qu’«en cas de modification survenue dans la situation juridique d’une entreprise ayant mis en place un plan d’épargne d’entreprise, notamment par fusion, cession, absorption ou scission, rendant impossible la poursuite de l’ancien plan d’épargne, les sommes qui y étaient affectées peuvent être transférées dans le plan d’épargne de la nouvelle entreprise, après information des représentants du personnel dans des conditions prévues par décret». L’article L. 3335-2 précise, dans son 3e alinéa, que les sommes détenues dans un plan peuvent, à la demande du salarié, être transférées dans un autre plan.

L’article L. 3335-1 et plus spécialement la notion de transfert d’entreprise «rendant impossible la poursuite de l’ancien plan» peuvent donner lieu à des interprétations contradictoires.

Selon une première interprétation envisageable de ce texte, tout transfert d’entreprise rendrait nécessairement impossible la poursuite dans la nouvelle entreprise du PEE en vigueur chez le premier employeur. Par suite, le salarié pourrait simplement transférer ses avoirs dans le plan de la nouvelle entreprise, si celle-ci en est dotée.

Une seconde interprétation consisterait à considérer qu’en cas de transfert d’entreprise, deux cas de figure peuvent se présenter : soit la poursuite du PEE chez le nouvel employeur s’avère possible, soit, elle ne l’est pas.

Selon cette seconde lecture, si la poursuite du plan n’est pas impossible, celui-ci est de plein droit transféré chez le nouvel employeur. En revanche, si la poursuite du plan est rendue impossible par le changement d’employeur, le PEE cesse de produire ses effets et seuls les avoirs du salarié pourront être transférés dans le plan existant éventuellement dans la nouvelle entreprise.

Dans une décision du 19 mai 2016, la Cour de cassation semble avoir retenu la première de ces deux interprétations (Cass. Soc., 19 mai 2016, n°14-29.786).

Pour la Cour de cassation, tout transfert d’entreprise rend impossible la poursuite de l’ancien plan d’épargne.

En l’espèce, une salariée avait fait l’objet, dans le cadre d’une cession d’entreprise, d’un transfert de son contrat de travail en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail.

A la suite de son licenciement pour inaptitude quelques années plus tard, la salariée saisit la juridiction prud’homale et forme une demande en dommages-intérêts au titre de la perte du bénéfice de son PEE qui n’avait pas été repris par le nouvel employeur.

Les juges du fond ont fait droit à sa demande en retenant que, sauf impossibilité, le nouvel employeur est tenu de poursuivre le PEE mis en place par l’ancien employeur.

A tort d’après la Cour de cassation, qui censure cette solution en relevant qu’«en cas de transfert d’un salarié au sens de l’article L. 1224-1 du Code du travail, celui-ci dispose seulement de la faculté de transférer ses avoirs au sein du plan d’épargne d’entreprise, s’il existe, de son nouvel employeur».

Il en résulte qu’en cas de modification de la situation juridique de l’entreprise, le nouvel employeur n’est pas tenu de poursuivre le PEE mis en place par son prédécesseur ou de mettre en place un nouveau plan.

Une solution critiquable au regard des autres dispositifs d’épargne salariale.

Dans l’affaire en question, la cour d’appel avait relevé que le nouvel employeur ne faisait pas la démonstration de l’impossibilité de poursuivre le PEE mis en place par la première entreprise. Il en résultait, selon les juges du fond, que le plan aurait dû être maintenu par le nouvel employeur.

Pour casser l’arrêt d’appel, la Cour de cassation semble toutefois considérer qu’en cas de transfert d’entreprise, la poursuite du PEE est nécessairement impossible.

Cette analyse peut toutefois sembler discutable, eu égard en particulier au régime du sort des accords d’intéressement ou de participation en cas de transfert d’entreprise.

En matière d’intéressement, l’article L. 3313-4 du Code du travail prévoit qu’«en cas de modification survenue dans la situation juridique de l’entreprise, par fusion, cession ou scission et lorsque cette modification rend impossible l’application de l’accord d’intéressement, cet accord cesse de produire effet entre le nouvel employeur et les salariés de l’entreprise».

Il ressort de ce texte qu’une modification de la situation juridique de l’entreprise ne rend pas nécessairement impossible la poursuite d’un accord d’intéressement. La même solution est admise en matière de participation sur le fondement de l’article L. 3323-8.

De fait, la notion d’«impossibilité» a déjà donné lieu à diverses précisions administratives ou jurisprudentielles. Ainsi, «l’impossibilité» doit, selon l’Administration, s’apprécier au cas par cas et résulter de modifications dans la structure juridique, technique ou financière de l’entreprise telles qu’elles rendraient inopérantes les dispositions de l’accord d’intéressement ou de participation (circulaire du 14 septembre 2005 relative à l’épargne salariale). Par ailleurs, dans un arrêt relatif à un accord d’intéressement, la Cour de cassation a précisé que cette «impossibilité» relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. Soc. 13 mai 2003, n°01-14.565).

Ainsi, alors qu’il est admis qu’un accord d’intéressement ou de participation peut, à la suite de certains transferts d’entreprise, se poursuivre de droit chez le nouvel employeur, l’arrêt du 19 mai 2016 exclut une telle continuité s’agissant d’un PEE.

Une telle solution peut paraître d’autant plus surprenante que le PEE constitue, aux termes de la loi, le support de placement des droits à participation et à intéressement. Comment justifier dès lors que l’accord de participation ou d’intéressement puisse se poursuivre automatiquement chez le nouvel employeur, à l’inverse d’un PEE qui en constitue pourtant le corolaire ?

 

Auteurs

Damien Decolasse, avocat en matière de droit du travail, droit de la sécurité sociale et de la protection sociale.

Minh Truong, avocat en droit social

 

Transfert d’entreprise : quel sort pour le plan d’épargne ? – Article paru dans Les Echos Business le 15 juin 2016