Transfert intra-groupe : le nouvel employeur n’est pas toujours tenu par les obligations incombant au précédent

8 juin 2022
Dans un arrêt rendu le 23 mars dernier (n° 20-21.518), la Cour de cassation retient que « La convention par laquelle un salarié quitte le poste qu’il occupait dans une entreprise pour entrer au service d’une autre entreprise appartenant au même groupe, organisant ainsi la poursuite du contrat de travail, hors application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, n’emporte pas la transmission au nouvel employeur de l’ensemble des obligations qui incombaient à l’ancien employeur, sauf stipulations expresses en ce sens ».
Cet arrêt a le mérite de clarifier la question de la répartition des obligations entre des employeurs successifs au sein d’un même groupe.
En l’espèce, plusieurs années après son embauche, un salarié rejoint une société appartenant au même groupe que la société au sein de laquelle il travaillait jusqu’alors, dans le cadre d’une convention tripartite de transfert conclue avec ses deux employeurs successifs.
Cette convention prévoyait notamment, outre le transfert du salarié (en dehors de toute application des dispositions de l’article L.1224-1 du Code du travail), la reprise de son ancienneté, de sa classification, de sa rémunération, ainsi que le transfert à son nouvel employeur des droits qu’il avait acquis auprès de son précédent employeur (tels que les congés payés, le droit individuel à la formation etc.).
Par la suite, le salarié a agi contre son nouvel employeur en invoquant notamment des manquements antérieurs à la date de son transfert (rappels de salaire, dommages et intérêts pour discrimination, harcèlement …).
Or, le salarié a été débouté par la cour d’appel de Paris, laquelle considère que ses demandes sont irrecevables, ce qui est confirmé par la Cour de cassation.
La Cour de cassation précise ainsi que « Dès lors que la convention tripartite […], qui avait pour objet la poursuite du contrat de travail au sein d’une autre société du groupe […] n’avait pas prévu une application volontaire des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail, permettant de mettre à la charge du nouvel employeur l’ensemble des obligations de l’ancien à la date de la modification de la situation juridique, ni ne mentionnait une reprise par le nouvel employeur de l’ensemble des obligations qui pesaient sur le précédent, le salarié n’était pas recevable à former à l’encontre du nouvel employeur des demandes fondées sur des manquements imputables au premier ».
Rappelons, en effet, qu’il n’existe pas, en droit du travail, de qualification appropriée à la mobilité intra-groupe organisée par une convention tripartite dont l’objet est la poursuite du contrat de travail du salarié, indépendamment de toute application de l’article L. 1224-1 du Code du travail.
Ainsi, si la Cour de cassation a eu un temps recours à la notion de novation du contrat, ce sont aujourd’hui les dispositions du Code civil permettant la cession de la qualité de partie à un contrat à un tiers avec l’accord du cocontractant (C. civ. art. 1216 et suiv.) qui devraient servir de fondement juridique à la convention tripartite de transfert.
Néanmoins, à notre connaissance, aucune décision ne s’est prononcée sur ce point.
Par ailleurs, la Cour a également eu l’occasion de juger qu’un accord qui organise, hors champ d’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, la poursuite du même contrat de travail entre des employeurs successifs, au moyen d’une convention tripartite, ne relève pas des dispositions de l’article L. 1237-11 du Code du travail, relatif à la rupture conventionnelle du contrat de travail dès lors que cette convention avait pour objet d’organiser, non pas la rupture, mais la poursuite du contrat de travail (Cass. soc. 8 juin 2016 n°15-17.555 ; Cass. soc. 17-11-2021, n°20-13.851).
Malgré l’absence de fondement juridique clair, on comprend toutefois que, la mobilité du salarié au sein d’un même groupe, par le biais d’une convention tripartite, n’affecte pas en elle-même l’existence du contrat de travail qui se poursuit avec le nouvel employeur.
La question qui se pose alors est celle du régime juridique de cette poursuite du contrat et de ses conséquences.
Rappelons que lorsque le changement d’employeur résulte de l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, le nouvel employeur est tenu par les obligations qui pesaient sur le précédent et , à ce titre, le salarié repris peut exiger de lui la réparation d’un préjudice causé par l’employeur «cédant» en raison d’un manquement à ses obligations antérieures au transfert du contrat (Cass. soc. 14 mai 2008 n°07-42.341).
En cas d’application de l’article L. 1224-1, le salarié a donc le choix de son interlocuteur, l’ancien ou le nouvel employeur, à charge pour eux de régler ensuite leurs dettes respectives.
Cette obligation de prise en charge du passif antérieur ne concerne toutefois pas les transferts conventionnels qui sont régis par des accords collectifs et qui ne relèvent pas de l’article L 1224-1, à moins que cette conséquence ne soit conventionnellement ou contractuellement prévue (Cass. soc. 27 mai 2015 n°14-11.155).
C’est cette solution qui est, en l’espèce, étendue aux effets d’un changement d’employeur qui s’inscrit dans le cadre d’une convention tripartite (hors dispositions conventionnelles). Celle-ci est destinée à assurer entre des entreprises relevant d’un même groupe de sociétés, le transfert du contrat de travail d’un salarié sans que les parties conviennent expressément d’une application volontaire de l’article L 1224-1 du Code du travail et sans que le contrat stipule une prise en charge par le nouvel employeur d’obligations incombant à l’ancien.
En cas de transfert par convention tripartite, le salarié n’a donc pas de droit d’option et doit s’adresser au débiteur concerné par la dette, c’est à dire à son ancien employeur.
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