Transferts de sièges sociaux transfrontaliers : une nouvelle pratique au sein (voire hors) de l’Union européenne
En 2003, un projet de 14e directive sur les transferts de sièges sociaux transfrontaliers avait été lancé par la Commission européenne qui l’a finalement abandonné en 2007 face notamment à la résistance de certains Etats membres ne souhaitant pas abandonner leur autonomie législative dans le domaine du droit des sociétés1.
Vers une harmonisation des règles en matière de transfert de siège au sein de l’Union ?
Ce projet a été remis à l’ordre du jour et Vera Jourovà , commissaire européenne à la justice en charge du projet de 14e directive sur le transfert transfrontalier a déclaré : « Je suis bien consciente que le transfert transfrontalier est un sujet complexe et c’est pour cela que nous évaluons prudemment comment y répondre. Nous voulons prendre en compte tous les différents intérêts en jeu ».2 Ce projet vise à répondre au « besoin urgent d’un cadre européen spécial pour le transfert transfrontalier de sièges sociaux »3.
Une confirmation heureuse de la CJUE
En attendant cette éventuelle harmonisation, par l’arrêt Polbud en date du 25 octobre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a sanctionné le refus de la Pologne de radier du registre local une société ayant transféré son siège social au Luxembourg, la Pologne ayant considéré que la radiation impliquait nécessairement d’accomplir les formalités de liquidation (CJUE, 25 octobre 2017 n°C-106/16, Polbud-Wykonawstwo). Par cette décision, la Cour a posé que la réglementation polonaise entravait de manière disproportionnée le principe de liberté d’établissement au sein de l’Union et a consacré le droit à la transformation transfrontalière des sociétés avec maintien de la personnalité morale4.
La France : bon élève pragmatique
En la matière, la France est plutôt un bon élève et sous réserve de respecter une procédure à présent bien encadrée et certaines conditions, les greffes des tribunaux de commerce reconnaissent de facto la validité des transferts de sièges transfrontaliers avec maintien de la personne morale aussi bien lorsque la France est le pays de départ que lorsque la France est le pays d’accueil5 ; dans cette dernière hypothèse, il doit être présenté au greffier français un document confirmant que la loi étrangère autorise la transformation de société étrangère en société française ; ce document peut être une disposition légale du droit interne du pays de départ (à supposer qu’une telle disposition existe) ou plus généralement un avis juridique (legal opinion) délivré par un notaire ou un avocat du pays de départ. En pratique, c’est à ce stade que des difficultés peuvent apparaître et à titre d’exemple, à moins de 200 jours du Brexit, le Royaume-Uni ne disposant pas de disposition légale ou de pratique encadrant de telles opérations, les transferts de sièges du Royaume-Uni vers un autre pays de l’Union (et notamment la France) ne sont pas possibles.
Des outils alternatifs en l’absence d’harmonisation
A défaut de pouvoir concilier les conditions imposées par les dispositions impératives de chaque droit interne en matière de transfert de siège (et par exemple, en France la condition d’unanimité en cas de transfert transfrontalier), la pratique a développé des solutions alternatives parvenant peu ou prou au même résultat telles que la préalable transformation en société européenne suivie d’un transfert (règlement européen 2157/2001 du 8 octobre 2001) ou la réalisation de fusions transfrontalières au sein de l’Union (directive 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017) voire hors Union sous réserve de la compatibilité des droits internes (et par exemple avec la Suisse) sans oublier -dans l’hypothèse spécifique d’une réorganisation impliquant la France comme pays de départ-, un outil offert par le Code civil français opérant la transmission universelle du patrimoine d’une société française à son associé unique personne morale – et ce quel que soit le pays d’immatriculation de l’associé unique- par voie de dissolution sans liquidation (cf. article 1844-5 du Code civil).
Dans ce contexte on peut s’interroger sur le point de savoir si une telle harmonisation -si attendue- demeure impérative.
Notes
1 Source : Evaluation de la valeur ajoutée européenne EAVA 3/2012 (p 23)
2 Bruxelles s’attaque à la mobilité des sièges sociaux, Fréderic Simon, 3 octobre 2017
3 Cross-border mergers and divisions, transfers of seat: Is there a need to legislate? Study, Juin 2016 ; dans le même sens, Droit des sociétés : la Commission propose de nouvelles règles pour aider les entreprises à traverser les frontières et à trouver des solutions en ligne, 25 avril 2018
4 « Droit à la transformation transfrontalière des sociétés dans l’Union : la CJUE passe la troisième ! » Thomas Mastrullo, Bulletin Joly Sociétés 1er janvier 2018 n°1 p. 19
5 Cf en ce sens Cass. Com. 27 octobre 2009 n°08-16115 Commentaire Michel Menjucq Bulletin Joly Sociétés – Février 2010
Auteurs
Benoît Provost, avocat counsel, Corporate/Fusions & acquisitions
Vincent Desbenoit, avocat, Corporate/Fusions & acquisitions