Transformation du CICE en allègements de charges patronales : conséquences et enjeux pour les entreprises
La loi de finances pour 2018 a diminué le taux du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2018 et supprime le dispositif à compter du 1er janvier 2019. En contrepartie de la suppression, la loi de financement de sécurité sociale pour 2018 a prévu un allègement de charges patronales. L’impact financier de cette transformation ne sera pas neutre.
Le dispositif du CICE (CGI, art. 244 quater C) permet depuis 2013 aux entreprises imposées selon un régime réel, de bénéficier d’un crédit d’impôt assis sur le montant brut des rémunérations, telles que définies pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, qui n’excède pas 2,5 fois le Smic (soit 44.954,10 euros pour 2018). Initialement fixé à 4%, son taux a été porté à 6% pour les rémunérations versées entre 2014 et 2016, puis à 7% en 2017, avant que la loi de finances pour 2018 ne le ramène à 6% pour les rémunérations versées à compter de 2018. Déterminé par année civile, le CICE est imputé sur l’impôt sur les bénéfices dû au titre de l’année de versement des rémunération éligibles ; l’excédent est utilisé pour le paiement de l’impôt dû au cours des trois années suivantes, puis l’éventuel solde de créance est remboursé. Pour éviter le décalage dans la perception de l’avantage, il existe la possibilité de préfinancer auprès d’un établissement de crédit la créance « en germe » de CICE, dès l’année de versement des rémunérations éligibles.
Impact positif sur la trésorerie en 2019
A compter de 2019, les rémunérations n’excédant pas 2,5 Smic n’ouvriront plus droit au CICE, mais entreront dans le champ d’application des nouveaux allègements de charges patronales prévus par la loi de financement de sécurité sociale pour 2018 (LFSS). Ces allègements consisteront en (i) une réduction de 6 points du taux de la cotisation patronale d’assurance maladie pour les salaires dont le montant est inférieur ou égal à 2,5 Smic (CSS art. L 241-2-1), pouvant être vu comme l’ « équivalent CICE », ainsi que (ii) une extension du champ d’application de la réduction générale de cotisations patronales aux cotisations de retraite complémentaire et aux contributions d’assurance chômage (CSS art. L 241-13, I), conduisant à une baisse jusqu’à 4 points supplémentaires de cotisations patronales pour les salaires n’excédant pas 1,6 Smic1.
Ces allègements présentent sans conteste l’avantage de simplicité et de l’immédiateté d’un gain en trésorerie comparé au décalage temporel d’un à quatre ans existant sous le dispositif du CICE entre le fait générateur (année de versement des rémunérations éligibles) et la perception de l’avantage (imputation ou restitution), sous réserve de préfinancement de la créance. De plus, la trésorerie des entreprises sera impactée favorablement en 2019 du fait de l’ »effet double » des deux avantages, CICE 2018 d’une part et allègement de charges d’autre part ; l’éventuel report annoncé de l’extension du champ d’application de la réduction générale de cotisations ne ferait qu’atténuer cet effet.
Ces avantages pour les entreprises doivent toutefois être relativisés compte tenu des effets indirects de la transformation du CICE en allègements de charges patronales.
L’ »effet retour » d’impôt sur les sociétés
Conformément à la position de l’Autorité des normes comptables reprise par la doctrine administrative, le montant du CICE est en principe comptabilisé au crédit d’un sous-compte dédié du compte 64 – « charges de personnel »2. Selon une position de la CNCC, il peut alternativement être comptabilisé en diminution de l’impôt, comme tous les autres crédits d’impôt3. En tout état de cause, pour la détermination du résultat fiscal, la créance de CICE ou le produit d’IS, est déduite extra-comptablement.
Le passage d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt sur les sociétés (IS) ou l’impôt sur le revenu (IR) à des allègements de charges patronales entraînera, pour les entreprises, un « effet retour » sur l’impôt. Les charges patronales étant déductibles du résultat imposable, leur diminution à compter du 1er janvier 2019 aura pour conséquence mécanique d’accroître ce résultat, augmentant ainsi l’impôt dû. En effet, contrairement à la situation actuelle, la diminution des charges de personnel n’est plus compensée par une déduction extra-comptable sur l’imprimé n°2058-A.
A titre d’exemple, 1 euro de CICE procure actuellement un avantage d’un euro. A compter de 2019, 1 euro d’allègement de charges accroîtra l’assiette imposable d’un euro. Pour un taux d’IS à 31% en 2019, l’avantage net sera donc de 0,69 euros. Compte tenu de la baisse progressive du taux d’IS jusqu’en en 2022, il sera à terme égale à 0,75 euros.
Augmentation de la réserve spéciale de participation
Ainsi qu’il a été vu, le résultat d’exploitation se trouvera augmenté du montant de la diminution de charges, ce qui augmentera le « bénéfice net après impôt » à retenir pour le calcul de la réserve spéciale de participation. La suppression du CICE, en revanche, restera sans effet sur le bénéfice net puisque l’impôt venant en diminution du bénéfice net ne tient pas compte du CICE.
Les autres éléments de la formule de calcul de la participation ne seront pas affectés par la réforme, sous réserve d’un potentiel impact à terme sur les capitaux propres. En particulier, la suppression du CICE demeure neutre pour la détermination du montant de la valeur ajoutée des entreprises car, comme dans la situation actuelle, l’augmentation du résultat courant avant impôt sera compensée par une diminution des charges de personnel de ce même montant.
Pour les entreprises de cinquante salariés ou plus, l’accroissement de l’assiette imposable résultant de la diminution des charges patronales conduira donc mécaniquement à une augmentation de la participation et du forfait social. Le surcoût effectif dépendra des données financières de chaque entreprise, mais ajouté à l’effet retour d’IS, l’avantage net procuré par l’allègement de charges sera dans la plupart des cas bien inférieur au gain procuré par le CICE. Ceci étant, il s’agit là d’une « perte » relative qui doit être appréciée à l’aune des autres mesure fiscales en faveur des entreprises (baisse du taux normal d’IS, abrogation du taux marginal de taxe sur les salaires, abrogation de la contribution de 3%…).
Autres conséquences
Il ne faut pas oublier enfin que la réduction des charges patronales est susceptible d’avoir d’autres conséquences indirectes, notamment sur les contrats comportant des clauses assises sur le résultat d’exploitation, tels que par exemple les contrats de concession dont les redevances sont calculées à partir du résultat d’exploitation, les contrats d’intéressement et primes collectives ou encore les clauses de sauvegarde insérées dans les contrats de prêt assises sur l’EBIT et l’EBITDA. La réduction de charges pourrait également avoir un impact sur le calcul de la provision pour indemnité de départ à la retraite s’agissant des salariés pour lesquels la rémunération annuelle, y compris l’indemnité de départ à la retraite, ne dépassera pas 2,5 Smic lors de son versement.
Quid de la situation des entreprises pratiquant le décalage de paie ?
Les réductions de charges s’appliquant, aux termes de la LFSS, aux cotisations et contributions dues pour les « périodes d’emploi » courant à compter du 1er janvier 20194, les salaires de décembre 2018 versés en janvier 2019 par les entreprises pratiquant le décalage de paie, consistant à verser le mois suivant le salaire du mois en cours, restent soumis aux taux de 2018.
Quant au CICE 2018, il est calculé, en principe, comme dans le passé, sur les « rémunérations versées » pendant l’année civile. Seules dérogent à cette règle les entreprises ayant 9 salariés au plus qui pratiquent le décalage de paie avec rattachement, qui peuvent calculer le CICE sur les rémunérations se rapportant à la période d’emploi correspondant à l’année civile5. Ainsi, pour les entreprises de plus de 9 salariés pratiquant le décalage de paie, le CICE 2018 devra être calculé au taux de 6% sur les rémunérations versées de janvier à décembre 2018 correspondant à la période d’emploi de décembre 2017 à novembre 2018.
Reste à savoir si, dans le cas particulier où un employeur mettrait fin au décalage de paie en décembre 2018, la totalité des rémunérations versées en 2018, y compris par conséquent, le salaire du mois de décembre 2017 versé en janvier 2018 et le salaire du mois de décembre 2018 versé en décembre 2018 peut être inclus dans l’assiette du CICE. La loi ne répond pas clairement à cette question.
Notes
1 Selon une annonce du ministre de l’Economie et des Finances du 27 août 2018, l’allégement supplémentaire de cotisations patronales de 4 points, initialement prévu au 1er janvier 2019, pourrait toutefois être reporté au 1er octobre 2019.
2 BOI-BIC-RICI-10-150-30-10-20160601, n°1.
3 Communiqué du 23-5-2013 publié au Bull. CNCC n°170, juin 2013, p. 156 s.
4 Sous réserve du report annoncé pour la réduction générale de cotisations patronales (voir supra).
5 BOI-BIC-RICI-10-150-20-20180404, n°205.
Auteur
Sebastian Boyxen, avocat, droit fiscal