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Transformation d’une SA en SNC : le Conseil d’Etat écarte l’abus de droit

Transformation d’une SA en SNC : le Conseil d’Etat écarte l’abus de droit

Par un arrêt du 15 février 2016 (CE n°374071, SNC Distribution Leader Price), la Haute Juridiction retient une interprétation restrictive du critère de contrariété à l’intention des auteurs d’un texte fiscal, nécessaire à la qualification d’abus de droit. Elle estime, par ailleurs, par des motifs appropriés, que la transformation de la société ne poursuivait pas ici un but exclusivement fiscal.

La SA Distribution Leader Price, qui avait pour activité l’approvisionnement de produits « discount » des magasins Franprix et Leader Price, s’est transformée, le 30 juin 1998, en société en nom collectif (SNC).

Relevant dès lors du régime fiscal des sociétés de personnes prévu à l’article 8 du code général des impôts (CGI), l’imposition de son bénéfice fiscal constaté au 31 décembre 1998 a été répartie entre ses associés, et notamment à sa société mère Asinco.

Or cette dernière disposait d’importants déficits fiscaux, provenant de déficits d’ensemble qui lui avaient été transmis lors de la cessation du groupe intégré dont elle était mère, qu’elle a pu ainsi imputer sur sa quote-part dans le bénéfice de la SNC.

La transformation de la filiale SA Distribution Leader Price en SNC a permis d’imputer ses bénéfices fiscaux sur les déficits de sa mère

Les titres de la SNC ont ensuite été apportés le 30 juin 1999, avec effet rétroactif au 1er janvier 1999, à une société Leader Price Holding, soit un an après l’apport d’autres filiales d’Asinco à cette société.

L’administration fiscale a remis en cause, sur le fondement de l’abus de droit, la transformation de la société en SNC en considérant que le changement de régime fiscal qui en est résulté, combiné à l’apport « différé » des titres de la SNC à la société Leader Price Holding, ne s’expliquait que par la volonté de compenser les déficits d’Asinco avec sa quote-part dans le bénéfice fiscal de la SNC.

Par un arrêt du 22 octobre 2013 (n°11VE03449), la Cour administrative d’appel de Versailles a rejeté la requête que lui avait soumise la SNC à l’encontre du jugement du Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise du 8 juillet 2011 (n°0700747) qui avait confirmé l’abus de droit.

Pour la Cour, les conditions d’un abus de droit par « fraude à la loi » étaient réunies en l’espèce dans la mesure où il existait d’une part un but exclusivement fiscal à l’opération, tenant à l’absence d’imposition effective de la quote-part de bénéfice fiscal de la SNC revenant à la société Asinco, et d’autre part la recherche du bénéfice d’une application littérale de l’article 8 du CGI, qui pose le principe d’imposition personnelle des associés d’une société de personnes pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société, à l’encontre des objectifs poursuivis par ses auteurs.

Sur ce dernier point, la Cour invoquait les travaux préparatoires de l’article 11 de la loi du 30 juin 1923, dont est issu l’article 8 du CGI, dont il ressortait que le législateur avait seulement entendu permettre aux associés d’une SNC de bénéficier, pour le calcul de « l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux« , des réductions d’impôt pour charges de famille accordées aux autres contribuables.

Au motif que la société Asinco aurait poursuivi un but différent de celui qui avait ainsi inspiré les auteurs du texte, la juridiction d’appel avait conclu à l’existence d’un abus de droit.

Le Conseil d’Etat rejette la qualification d’abus de droit en l’absence de contrariété à l’intention du législateur…

Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’Etat invalide ce raisonnement et casse l’arrêt d’appel pour erreur de droit.

Le principal point de droit tranché par le Conseil d’Etat dans ce litige porte sur l’interprétation du critère téléologique de contrariété à l’intention des auteurs du texte, qui constitue l’une des composantes de la notion d’abus de droit.

On notera que cette condition ne figurait pas encore formellement à l’article L 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction en vigueur pour le règlement du litige.

Toutefois, on sait que ce critère, qui n’a été introduit dans la loi qu’en 2008, figurait déjà dans la définition prétorienne de la fraude à la loi (CE 27 septembre 2006 n°260050, sect., RJF 12/06 n°1583 et CE 28 février 2007, n°284565, Persicot ; RJF 5/07 n°599).

Constatant que les motivations de la société dans la mise en œuvre qu’elle avait faite du régime fiscal des sociétés de personnes n’entraient pas dans les prévisions du législateur de 1923, la Cour d’appel avait cru pouvoir en conclure que la SNC Distribution Leader Price s’inscrivait nécessairement dans une démarche antinomique à celles-ci.

C’est sur ce point que son analyse est censurée.

Le Conseil d’Etat juge que, si le législateur a eu notamment pour objectif de permettre la prise en compte des charges de famille pour des sociétés de personnes composées de personnes physiques, un recours en 1998 au régime prévu par l’article 8 du CGI qui ne s’inscrit pas dans cette perspective n’est pas, pour ce seul motif, contraire à l’intention des auteurs du texte, dès lors qu’à cette date, les associés de SNC pouvaient être des personnes morales et bénéficier elles aussi de ces dispositions.

On ne pouvait en effet valablement soutenir, au cas d’espèce, que la SNC avait cherché à bénéficier d’un régime dont le législateur aurait entendu l’exclure et qu’elle serait ainsi aller « à l’encontre » de son intention.

On ne peut que saluer cette approche du Conseil d’Etat, qui se fonde sur le principe d’interprétation stricte d’un texte de loi instituant une infraction fiscale telle que l’abus de droit.

… et de but exclusivement fiscal à la transformation en SNC

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat ne se contente pas de constater l’absence de contrariété à l’intention du législateur, mais prend soin, en outre, de se prononcer sur la question du but exclusivement fiscal.

Sur ce point, il observe que la SNC a poursuivi, après sa transformation et jusqu’à son apport à la société Leader Price Holding, son activité économique en approvisionnant les magasins exploités sous les enseignes Franprix et Leader Price, et qu’elle a conservé, même après cet apport, sa nouvelle forme sociale.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat relève que l’apport des titres de la SNC n’avait pas été volontairement différé pour des raisons fiscales puisque la décision stratégique de réserver l’activité discount à l’enseigne Leader Price n’avait été prise qu’en juin 1999.

Ce débat sur les motivations de l’étalement des opérations dans le temps fait écho à une autre décision récente du Conseil d’Etat (CE 8 juillet 2015 n°370656, Sté Peugeot), dans laquelle celui-ci avait au contraire révélé leur but exclusivement fiscal, le fait de « temporiser » c’est-à-dire de différer des opérations constituant, selon les termes du rapporteur public dans cette affaire, « la plus élémentaire des artificialités ».

Au terme de cette analyse approfondie des motivations économiques des opérations et des modalités arrêtées par les parties, la Haute Juridiction juge que l’administration n’apporte pas la preuve, dont la charge lui incombait en l’espèce, que la transformation de la société en SNC était constitutive d’un abus de droit.

Si la solution du litige s’avère en définitive favorable au contribuable, on observera néanmoins que deux degrés de juridictions ont pu considérer que la transformation d’une société de capitaux en une SNC poursuivant, sous cette forme, son activité, a pu constituer une opération contraire à l’intention d’un législateur en 1923, soit ici encore (voir CE 17 juillet 2013 n°352989 ; Garnier Choiseul Holding ; RJF 11/13 n°1064) plus de 70 ans avant les faits !

Ce constat amène à penser que la définition actuelle de l’abus de droit laisse sans doute une place excessive à ce type de difficultés d’interprétation, surtout lorsqu’il s’agit d’appréhender l’étalement dans le temps des opérations réalisées par un contribuable.

Une décision qui met en lumière l’intérêt fiscal des sociétés de personnes, en particulier dans un périmètre d’intégration

Par-delà la problématique de l’abus de droit, cette affaire illustre positivement l’intérêt du recours au régime des sociétés de personnes, en particulier dans un périmètre d’intégration fiscale.

Ici, le fait que la société Distribution Leader Price soit devenue une société de personnes a permis une utilisation effective des déficits de l’ancienne intégrante.

Or, la cessation d’un groupe intégré constitue souvent un « piège à déficits« , dans la mesure où leur terrain d’imputation se limite soit aux bénéfices individuels de l’ex-tête de groupe, soit à une base élargie incluant les bénéfices de celles de ses filiales qui l’auraient suivie dans sa migration vers un nouveau groupe intégré.

On notera également que l’intérêt du régime des sociétés de personnes, souvent désigné comme « l’intégration sauvage« , va grandissant à mesure que sont rognés les avantages du régime légal d’intégration fiscale.

En dernier lieu, on observera que l’imposition depuis le 1er janvier 2016 d’une quote-part de frais et charges de 1% du montant des distributions intragroupes ne concerne pas les répartitions de résultat opérées par les sociétés de personnes, lesquelles continuent d’échapper à toute taxation de quote-part de frais et charges, que ce soit au taux de 1 % ou de 5%.

La société de personnes constitue donc un outil permettant sous certaines conditions d’atténuer la charge fiscale d’un groupe pourvu, comme le rappelle la jurisprudence du Conseil d’Etat, qu’elle soit utilisée à bon escient.

 

Auteurs

Richard Foissac, avocat associé spécialisé en fiscalité directe.

André Loup, avocat Counsel, spécialisé en fiscalité directe

 

Transformation d’une SA en SNC : le Conseil d’Etat écarte l’abus de droit – Article paru dans le magazine Option Finance le 7 mars 2016