Transition écologique : quelle place pour l’entreprise dans le projet de loi Climat ?
7 mai 2021
La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, a intégré la notion d’intérêt social dans les dispositions relatives à la gestion des entreprises, qui prévoient désormais que la société « est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité »[1].
Cette nouveauté traduit une prise en compte croissante des impératifs écologiques dans la vie des entreprises, considération qui s’exprime à nouveau aujourd’hui dans le cadre du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit « projet de loi Climat ».
Projet de loi Climat : un rôle accru de l’entreprise dans la transition écologique ?
A la suite du Grand débat national en 2019, le Président de la République a initié la Convention citoyenne pour le climat, constituée de 150 citoyens tirés au sort, représentatifs de la diversité française, qui ont élaboré des propositions concrètes visant à assurer la transition écologique en France.
Le projet de loi Climat a vocation à assurer la mise en œuvre concrète de ces mesures qui visent l’accompagnement de l’ensemble des acteurs de cette transition, dont les entreprises.
En effet, l’article 16 du projet de loi contient des dispositions spécifiquement conçues pour les entreprises, à savoir :
-
- introduire dans les attributions générales du comité social et économique (CSE) la notion de conséquences environnementales des mesures envisagées par l’employeur ;
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- élargir le spectre de la négociation triennale sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) pour « répondre aux enjeux de la transition écologique » ;
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- doter les Opérateurs de compétences (OPCO) d’une nouvelle mission, à savoir l’information des PME et des branches professionnelles sur les enjeux liés à l’environnement et au développement durable et l’accompagnement dans leurs projets d’adaptation à la transition écologique.
Le projet de loi Climat consacre ainsi textuellement un rôle actif de l’entreprise dans la transition écologique : mais quelle sera l’effectivité de ces nouvelles mesures ?
L’essentiel des dispositions concerne le dialogue social dans l’entreprise, ce qui suppose que les acteurs s’en saisissent. Or, si le projet de loi élargit la mission des élus du CSE, il ne prévoit en l’état ni incitation particulière à se saisir pleinement du sujet ni moyens propres pour ce faire.
De plus, la terminologie imprécise du projet qui consacre de manière abstraite le rôle de l’entreprise et du dialogue social dans la transition écologique, permet de douter de la traduction concrète de ces nouvelles obligations.
Certains amendements, proposant par exemple l’inclusion dans la BDES d’informations sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise, ou encore des ressources d’expertises nouvelles pour le CSE, ainsi que l’intégration des considérations environnementales dans le stage de formation économique dont bénéficient les membres titulaires du CSE, tentent néanmoins de remédier à ces difficultés.
Il n’en reste pas moins qu’actuellement muet sur le contenu exact de la prise en compte des enjeux environnementaux, le projet de loi Climat laisse ainsi une grande souplesse aux partenaires sociaux dans leur appréciation de la teneur de ces mesures.
L’effectivité du rôle des entreprises dans la transition écologique dépendant entièrement de l’implication de l’ensemble des acteurs, elle pourrait en pratique se révéler limitée. La récente mise en place du forfait mobilités durables, un premier dispositif impliquant les entreprises dans ce domaine, en est l’illustration récente.
Une première tentative : l’exemple contrasté du forfait mobilités durables
La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019, dite loi LOM, a instauré le forfait mobilités durables, qui autorise, depuis le 11 mai 2020, les employeurs à prendre en charge les frais de transport de leurs salariés qui se rendent sur leur lieu de travail depuis leur domicile grâce à des modes de transport à mobilité douce.
Dans le cadre de la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail, la loi LOM a instauré pour les entreprises, depuis le 1er janvier 2020, une obligation de négocier sur les mesures visant à améliorer la mobilité des salariés entre leur lieu de résidence habituelle et leur lieu de travail, notamment en incitant à l’usage des modes de transport vertueux[1].
A défaut d’accord, l’entreprise est tenue d’établir un plan unilatéral de mobilité, visant à optimiser les déplacements liés à l’activité de l’entreprise, dont ceux des salariés, dans une perspective de diminution des émissions de polluants.
Le forfait mobilités durables est défini par la loi comme la prise en charge par l’employeur de tout ou partie des frais engagés par les salariés se déplaçant entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail en vélo (éventuellement à pédalage assisté), en covoiturage ou en transports en commun (à l’exception des frais d’abonnement) ou à l’aide d’autres services de mobilités partagés[2].
A compter du 1er janvier 2022, le forfait couvrira également les déplacements effectués par les salariés au moyen d’engins de déplacements personnels motorisés (EDPM), comme les trottinettes électriques personnelles.
Le montant, les modalités et les critères d’attribution de cette prise en charge sont déterminés par accord d’entreprises (ou interentreprises) ou, à défaut, par accord de branche. En l’absence d’accord, le forfait mobilités durables peut être instauré par décision unilatérale de l’employeur, après consultation préalable du CSE[3].
Par ailleurs, l’avantage doit nécessairement avoir un caractère collectif puisque, lorsqu’il est mis en place, l’employeur doit en faire bénéficier, selon les mêmes modalités, l’ensemble des salariés de l’entreprise qui y sont éligibles[4].
La prise en charge des frais de transport personnels était exonérée d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales à hauteur de 400 euros par an et par salarié. Depuis le 1er janvier 2021, le plafond d’indemnisation s’élève désormais à 500 euros.
Il ressort d’une enquête diligentée par le gouvernement qu’au mois d’avril 2021, seules 20 % des entreprises ayant répondu au questionnaire en ligne ont déployé le forfait mobilités durables, dont 11 % en ont acté le principe mais ne l’ont pas encore mis en œuvre.
Ces chiffres relativement faibles traduisent l’hésitation des partenaires sociaux à s’emparer du dispositif, et pourraient s’expliquer par l’imprécision des textes en la matière, alors que les enjeux financiers sont capitaux, à raison du risque de redressement par l’URSSAF.
En effet, les dispositions légales soulèvent de nombreuses interrogations qui restent à ce jour sans réponse, malgré la mise en ligne du Bulletin officiel de la Sécurité sociale depuis le mois de mars 2021 :
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- dès le début des négociations, les partenaires sociaux se heurteront à l’imprécision des textes : sont-ils libres de définir les types de mobilités durables qu’ils souhaitent favoriser en fixant des modalités variables selon le mode de transport, voire en en excluant certains (par exemple, à raison du caractère plus ou moins accidentogène) ? ;
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- une fois les mobilités concernées déterminées, des incertitudes subsisteront concernant un point fondamental : le type de frais pouvant être pris en charge au titre forfait mobilités durables. L’achat d’un moyen de transport peut-il être couvert ? Des publications du ministère de la Transition écologique indique clairement cette possibilité, alors que le texte vise les « frais engagés par les salariés se déplaçant […] » et tandis que tant le site des Urssaf que le Bulletin officiel de la Sécurité sociale visent les « frais de déplacements domicile-travail », interprétation qui ne semble pas refléter la volonté initiale du Gouvernement ;
-
- puis, lorsqu’il s’agira de définir le montant et les modalités de versement du forfait : quels sont les critères objectifs permettant de moduler les montants ? Plus encore, comment articuler le forfait mobilités durables et prise en charge obligatoire par l’employeur des frais de transport en commun ? Intégralement exonérée fiscalement et socialement, celle-ci s’élève, en région parisienne, à environ 415 euros annuels par salarié pour l’abonnement RATP. La marge de manœuvre pour cumuler cette prise en charge obligatoire et un forfait mobilités durables bénéficiant d’une exonération de charges serait donc de 85 euros annuels. De quoi dissuader certains employeurs qui ne souhaiteraient pas conditionner le bénéfice du forfait mobilités durables à l’absence de remboursement d’un titre d’abonnement aux transports en commun.
Ainsi, l’action du législateur reflète une évolution sociétale forte qui se traduit par une augmentation progressive du rôle actif des entreprises dans la transition écologique. Un temps d’adaptation et d’assimilation est évidemment nécessaire pour l’ensemble des acteurs. Le premier bilan du forfait mobilités durables illustre ainsi l’importance que revêt la rédaction de textes opérationnels, dont les acteurs peuvent rapidement se saisir, sans s’exposer à des risques les dissuadant d’œuvrer « en considération les enjeux sociaux et environnementaux de [leur] activité ». Gageons que le projet de loi Climat, dans sa version définitivement adoptée, en soit le premier exemple.
[1] Article 1833 du Code civil
[2] Article L.2242-17 du Code du travail
[3] Article L.3261-3-1 du Code du travail
[4] Article L.3261-4 du Code du travail
[5] Article R.3261-13-1 du Code du travail
Article publié dans Les Echos le 07/05/2021
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