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Travail de nuit dans le secteur du commerce et accord collectif : l’arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2018

Travail de nuit dans le secteur du commerce et accord collectif : l’arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2018

Le recours au travail de nuit dans le secteur du commerce avait donné lieu à des contentieux au plan civil et au plan pénal.

 

Contentieux du travail de nuit

Dans une affaire «Sephora», l’entreprise s’était vu ordonner, sous astreinte, de cesser d’employer des salariés entre 21 heures et 6 heures dans son établissement des Champs-Elysées. La Cour de cassation avait considéré que le travail de nuit ne pouvait pas être le mode normal d’organisation du travail au sein d’une entreprise et ne devait être mis en œuvre que lorsqu’il était indispensable à son fonctionnement (Cass. Soc. 24 septembre 2014).

Dans une affaire «Carrefour City», l’entreprise et son gérant avaient été condamnés à des amendes pour avoir fait travailler des salariés au-delà de 21 heures. Selon la Cour de cassation, le travail de nuit devant rester exceptionnel, l’activité de commerce alimentaire n’exigeait pas, pour l’accomplir, de recourir au travail de nuit (Cass. Crim. 2 septembre 2014).

 

Contentieux dans la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire

Les contentieux ayant impliqué la société Auchan et la Fédération du commerce et de la distribution (1) se sont inscrits dans un contexte différent, puisque le travail de nuit était mis en œuvre sur le fondement d’accords collectifs conclus dans l’entreprise et justifiant du recours à ce mode d’organisation du travail.

Cette justification procédait pour l’essentiel de la nécessité de respecter la chaîne alimentaire, pour approvisionner les points de vente et préparer, de façon générale, le magasin avant l’ouverture au public le matin, et ce afin qu’elle intervienne dans des conditions optimales.

Les syndicats requérants se fondant sur la jurisprudence avaient obtenu une ordonnance de référé faisant interdiction à deux hypermarchés, sous astreinte de 100 000 euros par infraction constatée, d’employer des salariés après 22 heures et avant 6 heures, le juge considérant que n’était pas établie la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique requise par la loi.

 

Arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 22 septembre 2016

ll a été développé en appel une argumentation reposant sur la présomption de la légalité des accords justifiant le recours au travail de nuit.

Accueillant cette présomption et donnant toute sa portée à la négociation collective et sa force à l’accord collectif, la cour d’appel de Nîmes (22 septembre 2016, n° 15/05048) a infirmé l’ordonnance du TGI d’Avignon et admis le recours au travail de nuit, considérant que :

 

«La justification du recours au travail de nuit par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et des intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, est présumée établie et ses modalités justifiées, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont contraires aux dispositions légales qui les régissent.»

 

Cette décision s’inscrivait dans le courant jurisprudentiel dessinant une présomption de légalité de la norme conventionnelle.

Dans les arrêts de principe du 27 janvier 2015, la Cour de cassation a jugé que les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

C’était un premier pas vers la présomption de la légalité des conventions et accords collectifs négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, justifiée par la prise en compte de la place acquise par celles-ci dans la négociation collective. Cette jurisprudence a été confirmée et prolongée par plusieurs arrêts.

Ainsi, l’accord collectif peut lui-même justifier du recours au travail de nuit et définir le caractère exceptionnel qui doit y être attaché. Si un salarié ou une organisation syndicale conteste la conformité de cet accord collectif aux dispositions légales, il lui appartiendra d’établir qu’il n’a pas été négocié et conclu conformément à la loi.

Le Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à la liberté d’entreprendre, des articles L. 3122-32, L. 3122-33 et L. 3122-36 du Code du travail, alors en vigueur, relatifs au travail de nuit avait pour sa part retenu, dans sa décision QPC du 5 avril 2014, que :

 

«Le législateur a consacré le caractère exceptionnel du recours au travail de nuit ; qu’il a précisé que ce recours doit prendre en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ; qu’il a défini les critères en fonction desquels le recours au travail de nuit peut être justifié ; qu’il appartient aux autorités compétentes, sous le contrôle de la juridiction compétente, d’apprécier les situations de fait répondant aux critères de continuité de l’activité économique ou de service d’utilité sociale.»

 

 

Réforme du travail de nuit

C’est à partir de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes réformant la décision de première instance, aux motifs notamment que les syndicats n’établissaient pas le caractère manifestement illicite du recours au travail de nuit tel qu’organisé par la négociation collective de branche et les accords d’entreprise des 17 juillet 2003 et 27 juillet 2015, que le Gouvernement s’est emparé du sujet pour sécuriser les accords collectifs autorisant le recours au travail de nuit en leur faisant bénéficier d’un régime de présomption de conformité, ce que l’étude d’impact du projet de loi exprime clairement :

 

«La cour d’appel de Nîmes, à l’occasion d’un recours contre un accord mettant en place le travail de nuit sur le site Auchan, a adopté une interprétation plus souple que la Cour de cassation sur le caractère exceptionnel du travail de nuit, laissant davantage de place à la négociation collective et à la présomption de justification. (2)»

 

La réforme s’inscrivant dans la solution rendue par la cour d’appel de Nîmes a ainsi eu pour objectif de sécuriser les accords collectifs autorisant le recours au travail de nuit en leur faisant bénéficier d’un régime de présomption de conformité, notamment au regard de la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique prévue par l’article L. 3122-1 du Code du travail.

L’ordonnance du 22 septembre 2017 n’a fait que traduire de façon explicite un principe déjà présent dans notre droit positif et mis en lumière par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 7 août 2008 et QPC du 4 avril 2014, selon lequel il est loisible au législateur, en vertu du huitième alinéa du Préambule de 1946 aux termes duquel «tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises», de confier à la convention collective le soin de préciser les modalités concrètes d’application des principes fondamentaux du droit du travail, parmi lesquels la prise en compte des impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs résultant du huitième paragraphe du Préambule de 1946, étant rappelé qu’il appartient au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie l’article 34 de la Constitution.

 

Nouvel article L. 3122-15 du Code du travail

L’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail a ainsi modifié l’article L. 3122-15 du Code du travail pour retenir la présomption de conformité.

 

Arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 30 mai 2018

Dans son arrêt du 30 mai 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation, réunie en formation plénière, a confirmé l’arrêt d’appel de Nîmes en rejetant le pourvoi dont il avait fait l’objet.

 

(1) CMS Francis Lefebvre Avocats était leur conseil dans ce contentieux.
(2) Etude d’impact du projet de loi d’habilitation à prendre, par ordonnances, les mesures pour le renforcement du dialogue social, 27 juin 2017.

 

Article publié dans La Lettre OPTION DROIT & AFFAIRES du 04/07/2018