Travail dissimulé : actions du salarié et de l’URSSAF
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26 février 2025
Le travail dissimulé constitue l’un des principaux délits pouvant être reprochés à un employeur en matière de droit pénal du travail. Outre le risque pénal qui y est attaché, le travail dissimulé fait également courir un risque financier important à l’employeur, tant à l’égard des salariés, que de l’URSSAF. Deux arrêts récents de la Cour de cassation en donnent une nouvelle illustration et sont l’occasion de revenir sur ces risques.
Rappel sur le travail dissimulé
Le travail dissimulé se définit soit comme une dissimulation d’activité, soit comme la dissimulation d’un emploi salarié.
Dans le premier cas, il s’agit pour l’entreprise de ne pas accomplir les déclarations relatives à son activité, par exemple, en ne s’immatriculant pas ou en ne procédant pas aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale, notamment par la non-déclaration d’une partie de son chiffre d’affaires ou de ses revenus.
Dans le second cas, qui intéresse plus souvent les entreprises d’une taille plus importante, il s’agit de dissimuler l’emploi d’un salarié en :
-
- ne procédant pas à la déclaration préalable à l’embauche ;
-
- en ne délivrant pas au salarié un bulletin de paie ou en mentionnant un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ;
-
- en se soustrayant aux déclarations relatives aux salaires auprès de l’URSSAF ou de l’administration fiscale.
Selon l’article L.8224-1 du Code du travail, le délit de travail dissimulé est notamment puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, auxquelles des peines complémentaires peuvent s’ajouter.
Cependant, le risque pénal n’est pas le seul encouru par l’entreprise. En effet, tant le salarié que l’URSSAF peuvent obtenir, sur ce même fondement, des condamnations importantes de l’entreprise.
L’action du salarié devant le Conseil de prud’hommes
S’agissant du salarié, l’article L.8223-1 du Code du travail prévoit en effet que le salarié victime de dissimulation d’emploi salarié a droit à une indemnité forfaitaire de six mois de salaires qu’il peut réclamer dans le cadre d’un litige prud’homal.
Cette indemnité sera allouée au salarié dès lors, d’une part que le contrat de travail est rompu, d’autre part, que l’élément matériel du travail dissimulé (absence de DPAE, non-respect des obligations déclaratives, etc.) est bien caractérisé, et enfin que l’intentionnalité de l’employeur est, elle aussi, caractérisée.
Si l’absence de toute déclaration préalable à l’embauche ou de délivrance de tout bulletin de paie constituent des cas où la faute de l’employeur est difficilement discutable, certains cas montrent au contraire que l’entreprise peut encourir cette sanction financière lourde, même lorsque la faute commise semble plus légère.
Par exemple, un arrêt récent de la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme la condamnation prononcée en raison de l’absence de déclaration de l’avantage en nature logement dont bénéficiait le salarié sur les bulletins de paie (Cass. soc., 4 décembre 2024, n°23-14.259).
Dans les faits de l’espèce, un salarié qui occupait les fonctions de contrôleur technique de poids lourds était logé gratuitement par l’employeur sur son lieu de travail. Après avoir été licencié, il a saisi un Conseil de prud’hommes et sollicitait notamment le paiement de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé au motif que cet avantage en nature n’avait pas été déclaré sur ses bulletins de paie.
La Cour de cassation confirme la condamnation prononcée à ce titre. Elle retient premièrement que la mise à disposition d’un logement constitue un avantage en nature qu’il y a lieu d’inclure dans le montant de la rémunération devant être indiquée sur le bulletin de paie. L’absence de déclaration de cet avantage en nature constitue donc l’élément matériel de la dissimulation d’emploi salarié.
S’agissant de l’élément intentionnel, la Cour de cassation approuve également les juges du fond de l’avoir établi dès lors que le salarié était au cas présent logé dans un bâtiment de l’entreprise. Autrement dit, l’employeur savait pertinemment que le salarié bénéficiait d’un avantage en nature logement et ce n’est donc qu’intentionnellement qu’il a exclu celui-ci de la rémunération déclarée.
Cet arrêt devra appeler les entreprises à la vigilance. En effet, premièrement, cette décision semble peu exigeante s’agissant de la caractérisation de l’élément intentionnel permettant au salarié de bénéficier de l’indemnité forfaitaire de six mois de salaires. Celui-ci semble ainsi être déduit simplement de la situation factuelle, qui était certes évidente au cas d’espèce.
Deuxièmement, la vigilance sera d’autant plus de mise que la définition des avantages en nature est particulièrement large. Ceux-ci sont en effet définis comme la fourniture d’un bien ou d’un service permettant au salarié de réaliser une économie ou de réaliser un bénéfice.
Ainsi, au-delà d’un éventuel logement ou véhicule de fonction, peuvent constituer des avantages en nature si elles excèdent certaines limites :
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- les remises tarifaires accordées par l’entreprise à ses salariés sur ses propres produits au-delà de certaines limites ;
-
- la fourniture de repas gratuits ;
-
- la mise à disposition d’outils numériques pour l’usage privé du salarié ;
-
- etc.
Autant d’avantages qui devront donc impérativement figurer sur le bulletin de paie, faute de s’exposer à devoir payer à chaque salarié concerné l’équivalent de six mois de salaires.
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L’action de l’URSSAF : pénalités en cas de contrôle et constitution de partie civile devant le tribunal correctionnel
Au-delà des salariés, la question du travail dissimulé intéresse également l’URSSAF. Chaque omission déclarative constitue en effet pour l’URSSAF un manque à gagner en termes de cotisations sociales.
Pour combattre de telles pratiques, l’URSSAF dispose de compétences propres dans le cadre des contrôles qu’elle effectue.
Rappelons ainsi que lorsque le contrôle est réalisé dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, l’URSSAF n’est pas tenue d’adresser au préalable d’avis de contrôle à l’entreprise contrôlée (article R. 243-59 du Code de la sécurité sociale).
Dans ce cadre, l’URSSAF sera tout d’abord bien fondée à solliciter le paiement des cotisations sociales et des majorations de retard afférentes.
Mais si le travail dissimulé est avéré, l’URSSAF pourra également imposer à l’entreprise le paiement de certaines majorations et pénalités dont le montant peut être conséquent.
L’article L.243-7-7 du Code de la sécurité sociale prévoit ainsi l’application d’une majoration de 25 % des cotisations sociales mises en recouvrement en cas de travail dissimulé par dissimulation d’activité ou d’emploi salarié.
Celle-ci peut faire l’objet d’une réduction sous condition, notamment, d’un paiement dans les trente jours suivant la notification de la mise en demeure par l’URSSAF. Elle peut tout autant être augmentée à 45 % en cas de de nouvelle constatation de travail dissimulé dans un délai de cinq ans.
L’URSSAF peut également imposer le paiement de pénalités calculées par référence au montant du plafond mensuel de la sécurité sociale et du nombre de salariés ou de périodes non déclarées.
Ainsi l’article R.243-12 du Code la sécurité sociale prévoit une pénalité égale à 1,5% du plafond mensuel de la sécurité sociale, soit 58,88 €, par salarié, en cas de défaut de production des déclarations ou d’omission de salariés. Elle est appliquée pour chaque mois ou fraction de mois de retard.
L’article R.243-13 prévoit, quant à lui, qu’en cas d’inexactitude des rémunérations déclarées, l’employeur encourt également une pénalité de 1 % du plafond mensuel de la sécurité sociale (39,25 euros) par salarié concerné.
Là encore, si les omissions concernent un nombre important de salariés le risque financier pesant sur l’entreprise peut être particulièrement élevé.
Enfin, et non des moindres, selon l’article L.133-4-2 du Code de la sécurité sociale, l’URSSAF peut également faire perdre à l’entreprise contrôlée le bénéfice des réductions de cotisations sociales dont elle a bénéficié, ce qui peut là aussi se révéler particulièrement coûteux.
Mais à la place d’une procédure de contrôle et de redressement, l’URSSAF a également la possibilité de se constituer partie civile devant la juridiction pénale si une telle procédure était engagée par le Procureur de la République.
Dans ce cadre, elle pourrait alors solliciter l’indemnisation de son préjudice, qui correspond précisément au montant des cotisations dont elle a été privée (Cass. crim., 10 janvier 2023, n°21-86.240).
Par deux décisions récentes, la chambre criminelle de la Cour de cassation a également apporté des précisions sur le contour de ce préjudice pouvant être sollicité par l’URSSAF devant les juridictions pénales (Cass. crim., 21 janvier 2025, n°23-81.543 et 23-85.053).
Premièrement, les majorations de retard entrent dans ce préjudice. Celles-ci sont constituées d’une majoration de 5 %, à laquelle s’ajoute une majoration de 0,2 % par mois ou fraction de mois de retard suivant la date d’exigibilité des cotisations.
Deuxièmement, en revanche, la Chambre criminelle retient que l’URSSAF ne peut pas solliciter devant le Tribunal correctionnel les majorations de redressement (de 25 ou 45%), les pénalités calculées par salarié concerné, ni le remboursement des exonérations de cotisations dont a bénéficié l’entreprise (Cass. crim., 21 janvier 2025, n° 23-85.053).
Dès lors, ces majorations et pénalités ne pourront être sollicitées que dans le cadre d’un redressement initié dans le cadre d’un contrôle.
L’employeur qui serait poursuivi pour travail dissimulé devant le Tribunal correctionnel devra donc prêter une vigilance accrue aux demandes financières formulées par l’URSSAF si celle-ci s’est constituée partie civile.
AUTEUR
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