Travail dissimulé : l’information et la communication par l’URSSAF du procès-verbal de constat
11 juillet 2023
Par deux arrêts en date du 16 février et du 6 avril 2023, la Cour de cassation a relancé le débat sur l’accessibilité par le donneur d’ordre au procès-verbal de constat de travail dissimulé dressé à l’encontre de son sous-traitant.
Pour mémoire, lorsqu’il est constaté que le donneur d’ordre n’a pas rempli son obligation de vigilance et que son sous-traitant a commis le délit de travail dissimulé, le donneur d’ordre s’expose à la mise en œuvre par l’URSSAF de sa solidarité financière avec son cocontractant et à l’annulation des exonérations et réductions de cotisations de sécurité sociale dont il aurait pu bénéficier au titre des rémunérations versées à ses salariés pendant la période contrôlée (CSS, art. L.133-4-5).
A cet égard, l’URSSAF doit aviser le donneur d’ordre de la mise en œuvre de ces sanctions par l’envoi d’une lettre d’observations. Ce document doit rappeler les références du procès-verbal de constat de travail dissimulé établi à l’encontre du sous-traitant (CSS, art. R.133-8-1).
Ce rappel des références n’oblige toutefois pas l’URSSAF à communiquer le procès-verbal de constat de travail dissimulé au donneur d’ordre durant la phase précontentieuse. De ce fait, l’organisme de recouvrement ne fournit en pratique aucune réponse aux demandes d’explications ou de communication du procès-verbal litigieux.
C’est dans ce contexte que des contestations émergent assez souvent.
En effet, en l’absence de précisions dans la lettre d’observations ou de communication du procès-verbal, le donneur d’ordre n’est pas mis en mesure de comprendre clairement les raisons pour lesquelles des sommes lui sont réclamées. Or, s’il faut attendre d’être devant le juge judiciaire pour voir ordonner la communication du procès-verbal litigieux, c’est dommageable pour le cotisant et peu respectueux du principe du contradictoire.
Qu’en dit actuellement la Cour de cassation ?
Au préalable, une précision utile : l’application dans le temps de la sanction
Dans un premier arrêt du 16 février 2023 (n°21-14.403), après avoir effectué un contrôle et dressé un procès-verbal de constat de travail dissimulé à l’encontre du cocontractant d’une société donneuse d’ordre, l’URSSAF de Bretagne a adressé à celle-ci deux lettres d’observations l’avisant de la mise en œuvre de la solidarité financière et de l’annulation des réductions sur les bas salaires dont elle avait bénéficié durant la période considérée.
Cet arrêt se prononce sur l’application dans le temps de la sanction de l’annulation des réductions prononcée à l’encontre du donneur d’ordre n’ayant pas respecté son obligation de vigilance.
Pour rappel, cette sanction, prévue à l’article L.133-4-5 du Code de la sécurité sociale, résulte initialement de l’article 101 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 dont les dispositions sont entrées en vigueur au 1er janvier 2013. Toutefois, cette sanction n’est applicable qu’aux contrôles opérés à partir du 6 décembre 2013, date d’entrée en vigueur des dispositions de l’article 2 du décret n°2013-1107 du 3 décembre 2013.
En tenant compte de l’entrée en vigueur de ces textes et du caractère rétroactif des contrôles diligentés par les inspecteurs du recouvrement de l’URSSAF, la Cour de cassation a estimé que la sanction est applicable lorsque, à l’occasion d’un contrôle effectué après le 6 décembre 2013, sont constatés (i) le manquement du donneur d’ordre à son obligation de vigilance et (ii) des faits de travail dissimulé par le sous-traitant commis postérieurement au 1er janvier 2013.
Les «références» au procès-verbal pour travail dissimulé et les «précisions» sur le manquement constaté…
Dans ce même arrêt du 16 février 2023, contestant le rejet de ses moyens par la Cour d’appel, la société donneuse d’ordre a fait valoir que, conformément à l’article R.133-8-1 du Code de la sécurité sociale, tout redressement consécutif à la mise en œuvre des dispositions de l’article L.133-4-5 dudit code doit être porté à la connaissance du donneur d’ordre par un document signé par le directeur de l’URSSAF, document qui doit préciser les références du procès-verbal pour travail dissimulé établi à l’encontre du sous-traitant.
A cet égard, la société soutenait que cette disposition n’avait pas été respectée dès lors que ni la date ni les références du procès-verbal n’étaient indiquées sur la lettre d’observations et que, par conséquent, la procédure de redressement était nulle.
Les magistrats de la deuxième chambre civile relèvent que c’est à bon droit que la cour d’appel a rejeté le recours de la société dès lors que «la lettre d’observations rappelle expressément que le sous-traitant du donneur d’ordre a fait l’objet d’un procès-verbal adressé au parquet de Saint-Brieuc au titre de ce qui serait constitutif du délit de travail dissimulé sur la période vérifiée du 16 mars 2013 au 31 mars 2014 et que le montant des cotisations réclamées correspond à la base plafonnée».
Selon la Cour de cassation, la cour d’appel a pu décider que les références au procès-verbal étaient «suffisantes» pour permettre au donneur d’ordre d’avoir «connaissance de la cause et de l’étendue du redressement».
Ainsi, la seule mention dans la lettre d’observations de l’existence d’un procès-verbal pour cause de travail dissimulé, de son destinataire, de la période concernée et du montant des cotisations réclamées peut être considérée comme suffisante.
Cela peut étonner dès lors que ces informations ne sont guère éclairantes pour le donneur d’ordre et que l’article R.133-8-1, au-delà de la période et du montant de la sanction envisagé, se réfère tout de même à l’obligation de rappeler les références du procès-verbal et de préciser le manquement constaté.
Il est regrettable que la Cour de cassation limite ainsi l’information du donneur d’ordre au stade précontentieux.
L’exigence confirmée de la production du procès-verbal pour délit de travail dissimulé par l’URSSAF devant la juridiction du contentieux de la sécurité sociale
Dans un second arrêt du 6 avril 2023 (n°21-17.173), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est venue confirmer sa position sur l’importance de la production par l’URSSAF du procès-verbal de constat de travail dissimulé devant la juridiction de sécurité sociale.
En l’espèce, l’URSSAF de Provence-Alpes-Côte d’Azur avait adressé à une société donneuse d’ordre deux lettres d’observations, en suite d’un procès-verbal de constat de travail dissimulé établi à l’encontre de son sous-traitant, l’avisant de la mise en œuvre à son encontre de la solidarité financière et de l’annulation des réductions et exonérations de cotisations sociales dont elle avait bénéficié pendant la période considérée.
Devant la cour d’appel, le donneur d’ordre a contesté le fait que l’URSSAF se dispense de verser aux débats le procès-verbal de constat de travail dissimulé établi à l’encontre du sous-traitant, sur lequel l’URSSAF fondait ses demandes ; il a soutenu que ce refus de l’URSSAF de produire devant la juridiction de sécurité sociale le procès-verbal litigieux, le mettait dans l’impossibilité d’en contester utilement la teneur.
Ayant été débouté de son recours, le donneur d’ordre a saisi la Cour de cassation qui, dans un attendu de principe au visa des articles 9 du Code de procédure civile, L.8222-1 du Code du travail et L.133-4-5 du Code de la sécurité sociale, juge que «si la mise en œuvre de la sanction prévue par l’article L.133-4-5 du Code de la sécurité sociale à l’égard du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre du cocontractant, l’organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de celui-ci».
En conséquence, la Haute Cour casse l’arrêt de Cour d’appel qui «constatait que l’URSSAF n’avait pas produit devant la juridiction de sécurité sociale le procès-verbal de constat de travail dissimulé établi à l’encontre du sous-traitant dont le donneur d’ordre contestait l’existence».
Cet arrêt confirme la jurisprudence de la Cour de cassation rendue dans de précédentes décisions (Cass. 2e civ., 1er décembre 2022, n°21-14.702 ; Cass. 2e civ., 8 avril 2021, n°19-23.728 et 20-11.126) et qui résulte de la décision du Conseil Constitutionnel du 31 juillet 2015 par laquelle ont été déclarées conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l’article L.8222-2 du Code du travail, sous réserve qu’elles n’interdisent pas au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu (Cons. const., 31 juillet 2015, décision n°2015-479 QPC).
Dès lors, les donneurs d’ordre qui se voient notifier des lettres d’observations les avisant de la mise en œuvre de leur solidarité financière et de l’annulation des réductions et exonérations de cotisations sociales n’ont d’autre choix que de saisir le juge judiciaire s’ils veulent être en mesure de connaître et vérifier pourquoi des sommes leur sont réclamées.
Cette situation est fortement critiquable. Le principe du contradictoire de même que les droits du cotisant sont mis à mal.
Dans un contexte où le désengorgement des tribunaux est devenu un engagement d’Etat et où les délais de justice ne se réduisent pas, on s’étonne qu’une telle situation perdure.
AUTEURS
Delphine PANNETIER, Avocat Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats
Thomas BOUVIER, Juriste
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