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Travailler en vacances ? Les limites du droit du travail

Un manager peut-il décemment déranger les membres de son équipe pendant leurs congés ? Peut-il lorsqu’il est lui-même en vacances donner des instructions ou son pouvoir hiérarchique est-il suspendu ? Peut-on prendre des décisions impliquant un salarié pendant ses congés ?

Vacances, j’oublie tout ? Pas si sûr. Vacances ne rime pas nécessairement avec absolue disponibilité, en particulier pour les salariés investis de responsabilités. Les cadres, experts et managers sont les plus exposés, certains étant d’ailleurs réticents à se déconnecter. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) estompent les frontières entre le bureau, la maison et les vacances.

Toutefois, les contentieux dans ce domaine sont rares. Pragmatisme et correction sont meilleurs guides que le gros livre rouge du code du travail. Mais il reste fort intéressant, ne serait-ce que pour apprécier l’effectivité et la pertinence de la règle de droit, de chercher ce que disent la loi et la jurisprudence.

Peut-on demander à un salarié de rester joignable, voire de travailler, pendant des vacances ?

Juridiquement, il n’est pas interdit de demander à un collaborateur comment, éventuellement, le joindre pendant ses temps de repos, en dehors de tout dispositif d’astreinte. L’employeur peut avoir de bonnes raisons pour entrer en contact avec son salarié, pas nécessairement à tout instant, mais dans des délais raisonnables, par exemple pour lui demander certaines informations dont il serait seul à disposer.

La jurisprudence a d’ailleurs rappelé que la suspension du contrat de travail ne dispense pas le salarié de son obligation permanente de loyauté. Il a même été jugé, en cas de maladie, que justifie le licenciement, le refus par le salarié de communiquer à l’employeur un code d’accès informatique (Cass. soc. 18-3-2003 n° 01-41.343 : RJS 6/03 n° 723) ou de lui restituer les fichiers clients en sa possession (Cass. soc. 6-2-2001 n° 98-46.345 : RJS 4/01 n° 434).

Certes, en vacances, un salarié peut répondre qu’il sera peu joignable, et il lui suffit de couper son portable, d’abandonner son ordinateur et de quitter son domicile pour qu’on ne puisse plus le joindre et que sa disponibilité soit totale. La prise de congés est en effet un droit et l’employeur doit prendre toutes mesures utiles pour permettre au salarié de l’exercer (Cass. Soc. 16-03-2002 n° 11-10929). Et il n’est pas contestable que la suspension du contrat dispense le salarié de l’obligation d’exécuter sa prestation de travail.

Sur le principe, ce droit au repos a également été rappelé sur le fondement du droit constitutionnel et des textes européens, encore récemment pour justifier qu’un salarié en longue maladie ne perde pas ses droits à congés non pris (CJUE 21-06-2012 aff. 78/11).

Mais le droit à congés n’est pas sans limite. En matière de congés, la loi elle-même réserve le cas des circonstances exceptionnelles (article L.3141-16 du code du travail à propos du report des dates de congés). Certaines conventions collectives prévoient aussi expressément une possibilité de rappel pendant les congés payés, sur le modèle du rappel sous les drapeaux de l’institution militaire : « Les salariés rappelés au cours de leurs congés pour motif de service auront droit, à titre de compensation, à deux jours de congés supplémentaires et au remboursement sur justification des frais occasionnés par ce rappel » (conv. SYNTEC, art. 24). Employeur et salarié peuvent donc préférer un travail à distance plutôt qu’un rappel, a fortiori s’il ne s’agit que d’une sollicitation exceptionnelle, nécessaire et limitée.

Par ailleurs, à côté du droit abstrait, les TIC donnent lieu à la constitution progressive d’un droit vivant. On pourrait ainsi soutenir que, de même qu’une utilisation personnelle raisonnable de l’internet au bureau est tolérée, symétriquement, se forge un usage pour les salariés de tolérer le maintien d’un lien avec le bureau pendant leur temps de repos. Encore faut-il, bien sûr, qu’une telle ingérence soit justifiée et reste proportionnée.

Il est intéressant, à cet égard, d’observer les initiatives que prennent certaines entreprises pour aménager de manière pragmatique dans des accords ou des chartes internes, les conditions et modalités pour contacter un salarié absent. Et rien n’empêche le salarié de demander à récupérer un jour de congés s’il s’est avéré qu’il a dû travailler à distance, ni l’employeur de le lui accorder et ce, notamment pour éviter une demande de dommages et intérêts si le salarié peut rapporter la preuve qu’il n’a, en réalité et du fait de l’employeur, pas pris l’intégralité de ses congés.

Le manager garde-t-il son pouvoir hiérarchique quand il est en vacances ?

Ce sont souvent les managers qui restent connectés. Le salarié qui est à son poste de travail n’a absolument pas qualité pour contester les instructions du manager au motif que celui-ci ne devrait pas travailler pendant ses congés.

Le salarié pourrait-il s’opposer à une décision le concernant prise par son manager au travail alors que lui-même est en congés ?

La question est ici aussi moins de droit strict que de correction (même si le manquement à celle-ci peut entraîner une sanction en droit si elle s’inscrit dans un contexte déjà troublé, de harcèlement par exemple). Il est cependant des cas où l’urgence appelle une action immédiate, même pendant les vacances de l’intéressé. En matière de licenciement, il a été jugé que la seule obligation de l’employeur était de respecter les formes et délais des notifications au salarié. A celui-ci, au plan des principes, de faire suivre son courrier s’il est absent.

Mais tout dépend aussi des circonstances. Il n’y a pas d’objection à ce que le manager envoie au salarié confirmation d’un point dont ils ont déjà suffisamment discuté (voire sont tombés d’accord) avant son départ en vacances, si cela ne constitue pas une modification de son contrat de travail.

En revanche, il va de soi que lorsque des mesures demandent un délai de réflexion et l’accord du salarié, ce dernier pourrait être fondé à contester que ce délai ait pu courir dès lors qu’il en a été informé pendant ses vacances. Mieux vaut donc ne pas signifier de mutation de Paris à Limoges à effet du premier jour de retour de vacances, faisant courir le délai de réponse pendant les congés, période pendant laquelle le salarié est censé ne pas être disponible pour se préoccuper de sujets d’ordre professionnel.

A propos de l’auteur

Marie-Pierre Schramm, avocat associée. Spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social, elle traite régulièrement des questions relatives notamment à la relation individuelle de travail (contrat de travail, statut des cadres et des dirigeants, structure des rémunérations, égalité de traitement, licenciement, départ négocié, etc.), à la mise en œuvre de statuts sociaux, notamment dans le cadre de la négociation collective (aménagement du temps de travail, retraite et prévoyance, épargne salariale, plan senior, accord sur les risques psycho-sociaux …) ou aux restructurations (transfert d’activité, acquisition, Plan de Sauvegarde …).

Article paru dans Les Echos Business du 10 juillet 2013

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