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Travailleurs détachés en France : vers une responsabilité accrue des donneurs d’ordre

Face à un développement croissant du recours à des entreprises étrangères fournissant de la main d’oeuvre à moindre coût, le droit français se prépare à renforcer les obligations de contrôle à la charge des donneurs d’ordre.

Alors que l’Union européenne travaille à l’amélioration de sa directive détachement n°96/71/CE, une proposition de loi vise à compléter un arsenal législatif qualifié de lacunaire par ses détracteurs, s’agissant en particulier de la responsabilité des donneurs d’ordre ou maîtres d’ouvrage qui font appel à des sous-traitants étrangers pour exécuter des prestations en France via l’intervention de travailleurs détachés.

Un dispositif actuel ciblé sur la responsabilité de l’entreprise étrangère

Selon le Code du travail, est un travailleur détaché le salarié d’un employeur établi à l’étranger qui travaille pendant une période temporaire sur le territoire national.

Aux fins de garantir les droits du travailleur répondant à cette définition, les dispositions en vigueur imposent aux entreprises étrangères de se conformer au droit français, c’est à dire aux dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles applicables aux salariés des entreprises de la même branche d’activité établies en France (libertés individuelles et collectives, égalité professionnelle, protection de la maternité, durée du travail, salaire minimum, règles relatives à la sécurité, la santé et l’hygiène, etc.). Le travailleur détaché doit ainsi bénéficier des principaux droits accordés aux salariés des entreprises françaises.

C’est la raison pour laquelle, pour veiller au respect de cette obligation, les sociétés étrangères doivent adresser à l’inspection du travail une déclaration de détachement comportant notamment l’adresse du lieu où s’accomplit la prestation, le nom et l’adresse du donneur d’ordre, les nom, prénom, date de naissance et nationalité du/des salarié détaché(s), l’emploi qu’il(s) occupe(nt), leur rémunération, les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos.

L’employeur établi hors de France est en outre tenu de présenter, sans délai, à la demande de l’inspecteur du travail un certain nombre de documents, traduits en français au titre desquels figurent notamment la preuve de l’affiliation du salarié à un régime de sécurité sociale, le cas échéant les autorisations de travail, les bulletins de paie libellés en euros lorsque le détachement est supérieur ou égal à un mois.

En cas de défaut de déclaration ou de présentation de ces documents, de travail illégal, l’entreprise établie hors de France encourt des sanctions notamment pénales (voire civiles), celles-ci sont souvent difficiles à mettre en œuvre et ne paraissent pas suffisantes pour s’assurer du respect des obligations susvisées.

Le dispositif projeté : vers une obligation de vigilance du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage

Le texte en cours de discussion devrait concerner principalement le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage qui serait tenu d’une obligation de vigilance lui imposant en particulier :

  • de vérifier que le sous-traitant, s’il est établi hors de France, s’est bien acquitté du dépôt de la déclaration de détachement auprès des services de l’Inspection du travail et vérifier que le salaire dû au salarié détaché a bien été payé ;
  • enjoindre au sous-traitant, en cas d’information de l’Inspection du travail du non-respect des dispositions légales et des stipulations conventionnelles applicables au salarié, de se mettre en conformité avec la législation ;
  • enjoindre au sous-traitant (voire au cocontractant, y inclus de son sous-traitant), en cas d’information de l’Inspection du travail du non-paiement total ou partiel du salaire minimum légal ou conventionnel dû au salarié, de faire cesser sans délai cette situation.

Dans ces deux cas, le sous-traitant (ou le cocontractant) devrait informer par écrit, sous un certain délai, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage de la régularisation de sa situation qui, à défaut, devrait en avertir aussitôt l’Inspection du travail.

Si le principe d’un devoir de vigilance accrue des donneurs d’ordre et des maîtres d’ouvrage paraît posé, les sanctions en cas de manquement resteraient pour leur part à préciser : peine d’amende et/ou responsabilité financière et/ou sanction administrative…

En ce qui concerne plus particulièrement le sous-traitant, soit l’entreprise détachant des salariés en France, celui-ci devrait par ailleurs devoir désigner un représentant identifié sur le territoire national en charge d’assurer la liaison avec l’Inspection du travail.

La proposition de loi prévoit enfin la création d’une « liste noire » des personnes morales ou physiques condamnées pour des infractions constitutives de travail illégal (travail dissimulé, marchandage, prêt de main d’œuvre illicite, emploi d’étrangers sans titre de travail, etc.).

Ce dispositif pourrait toutefois être amené à évoluer au cours des débats parlementaires et devrait être finalisé en commission mixte paritaire pour une adoption escomptée avant l’été. Dans cette attente, les entreprises françaises recourant à de la main d’œuvre étrangère dans le cadre de contrats de prestation de services ont un intérêt à anticiper ces évolutions, via en particulier l’intégration d’une clause de vigilance dans ces contrats dont le respect leur permettrait d’éviter des poursuites pénales.

Enfin et pour conclure, précisons que ce texte ne concerne que la procédure de contrôle des règles existantes, sans remettre en cause les raisons essentielles du développement du recours à des prestations étrangères sur le sol français. Or ces dernières résident dans la trop grande disparité des coûts des prélèvements sociaux sur le travail qu’il semble peu probable de voir prochainement disparaître…

 

Auteurs

Pierre Bonneau, avocat associé en Droit social.

Ghislain Dintzner, avocat en Droit social.

 

Article paru dans Les Echos Business le 21 mai 2014