TVA sur marge dans les ventes immobilières
Initialement réservée par l’Administration aux livraisons d’immeubles acquis et revendus en gardant la même qualification fiscale, la taxation à la TVA sur la marge est désormais cantonnée aux reventes de biens dont les caractéristiques physiques et la qualification juridique sont identiques à celles des biens acquis. La seule division d’un terrain conduit ainsi à écarter ce régime. La simple difficulté à déterminer la marge taxable à la TVA, à la supposer réelle, ne justifie pourtant pas une telle restriction.
Après une première réponse ministérielle publiée le 30 août 2016 (RM Laure de la Raudière 15 mars 2016, JOAN n°94061), deux nouvelles réponses ont été publiées le 20 septembre 2016 au sujet du champ d’application de la taxation à la TVA sur marge des opérations immobilières (question n°96679 de M. Dominique Bussereau, JOAN 20/09/2016 p. 8522 ; question n°94538 M. Gilles Savary, JOAN 20/09/2016 p. 8514).
Rappelons que l’article 268 du Code général des impôts (CGI) dispose que :
«s’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir, ou d’une opération mentionnée au 2° du 5 de l’article 261 pour laquelle a été formulée l’option prévue au 5° bis de l’article 260, si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d’imposition est constituée par la différence entre :
– d’une part, le prix exprimé et les charges qui s’y ajoutent ;
– d’autre part, selon le cas :
- soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l’acquisition du terrain ou de l’immeuble ;
- soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu’il a effectués».
Commentant ce texte, l’administration fiscale précise que (BOI-TVA-IMM-10-20-10, n°20) :
«Il n’y a lieu de rechercher le régime de l’acquisition aux fins de déterminer la base d’imposition que pour les seules livraisons d’immeubles acquis et revendus en gardant la même qualification, c’est-à-dire respectivement :
– de terrains à bâtir qui ont été acquis précédemment comme terrains n’ayant pas le caractère d’immeubles bâtis ; ou
– d’immeubles achevés depuis plus de cinq ans qui ont été acquis précédemment en l’état d’immeubles déjà bâtis.
Exemple : cession d’un immeuble, plus de cinq ans après son achèvement, par un investisseur qui en a assuré la maîtrise d’ouvrage. Si l’investisseur décide de soumettre la cession à la taxe, l’article 268 du CGI ne peut trouver à s’appliquer dès lors que le bien n’a pas été acquis en son état d’immeuble bâti, que le terrain d’emprise ait été acquis par le cédant lui-même antérieurement à la construction, voire que celle-ci ait fait suite à une acquisition en l’état d’immeuble ancien, elle-même suivie d’une démolition».
Cette analyse parait déjà très (trop ?) restrictive car, s’il parait logique d’exclure de la taxation sur la marge les opérations de construction-vente (l’exemple donné par la doctrine), il est beaucoup plus discutable de s’interdire de taxer sur la marge certaines ventes de terrains réalisées après démolition. En effet, lorsqu’il apparaît qu’un immeuble a été acquis en vue de la démolition des constructions et de la revente du terrain, une analyse en achat-revente du terrain devrait prévaloir et conduire à la taxation sur marge (lorsque l’acquisition n’a pas ouvert de droits à déduction de TVA).
Pourtant, les trois réponses ministérielles récemment publiées vont encore plus loin dans la restriction du champ d’application de ce dispositif de taxation sur la marge en exigeant que «le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique». Cette exigence excluant la modification des superficies vendues (réponse Savary).
L’Administration exclut ainsi du dispositif de taxation sur la marge les reventes de terrains par lots après division parcellaire, sauf lorsque cette division est «antérieure à l’acte d’acquisition initial, qu’un document d’arpentage a été établi pour les besoins de la cession permettant d’identifier les différentes parcelles dans l’acte ou qu’un permis d’aménager faisant apparaître de manière précise les divisions envisagées a été obtenu préalablement à la cession».
Elle justifie son analyse en affirmant qu’«appliquer le régime de la marge dans d’autres cas aboutirait à l’impossibilité de calculer l’assiette taxable – puisque prix de vente et prix d’achat porteraient sur des biens dissemblables».
Surprenante affirmation si l’on rappelle que dans un passé pas si lointain, l’administration fiscale commentait les modalités de taxation à la TVA sur marge des reventes par lots de biens acquis par les marchands de biens et lotisseurs.
Par exemple, dans une décision de rescrit du 7 février 2006 (n°2006/5 FI), ou dans une réponse ministérielle Ducout (AN 5 juillet 2005 p. 6638 n°52034), elle indiquait que les lotisseurs devaient soumettre les ventes de lots à des particuliers à la TVA sur la marge, conformément à l’article 268 du CGI, et précisait que pour déterminer la base d’imposition, le prix de revient d’un lot était estimé en imputant une fraction du prix d’acquisition global du terrain, selon la méthode au choix du contribuable, sous réserve du droit de vérification de l’Administration et sous le contrôle du juge de l’impôt.
Etonnante analyse encore au regard de la distorsion de concurrence : comment justifier qu’un lotisseur qui aura acquis un terrain après division puisse taxer ses reventes à la TVA sur la marge, alors que la même opération portant sur des terrains divisés après acquisition du tènement soient revendus en TVA sur le prix total.
Incroyable justification enfin, qui voudrait que la taxation sur le prix total s’explique par l’impossibilité postulée de retrouver le prix d’acquisition initial.
Le postulat est erroné, car il n’est généralement pas très compliqué d’affecter le prix d’acquisition à certaines fractions seulement d’un ensemble plus vaste, ne serait-ce que par un ratio de surfaces.
En outre, à supposer établie la complexité d’un calcul de marge taxable, il est permis de douter de ce que cela justifie d’appliquer une taxation sur le prix total.
A cet égard, un parallèle peut être établi avec la publication récente, le 22 septembre 2016, des conclusions de l’avocat général M. Yves Bot dans une affaire C 471/15 Sjelle Autogenbrug I/S contre Skatteministeriet posant la question de la taxation sur marge des reventes de pièces détachées prélevées sur des véhicules hors d’usage.
Parmi les arguments avancés par l’administration fiscale danoise pour s’opposer à la taxation sur marge, elle prétend que ce mécanisme serait inapplicable car le prix d’achat des pièces détachées ne peut pas être déterminé avec exactitude (les pièces sont prélevées sur un véhicule et n’ont donc pas été acquises en tant que telles).
L’avocat général répond en rappelant que le système de taxation sur la marge s’impose pour éviter toute distorsion de concurrence et double taxation et que dès lors, il appartient aux Etats membres de trouver une solution permettant de procéder à un calcul simple de la base d’imposition à la TVA. En d’autres termes, l’argument tiré de la difficulté de la détermination de la marge ne justifie pas l’exclusion de ce dispositif.
L’avocat général cite d’ailleurs l’exemple de la France et du Luxembourg qui ont su trouver des systèmes pour pallier la difficulté de taxation sur la marge des opérations complexes sur les œuvres d’art (détermination d’une marge forfaitaire de 30% par exemple en France).
Il convient d’être prudent dans la comparaison car le système de taxation sur la marge des biens d’occasion n’est pas celui des opérations immobilières. Le premier est obligatoire pour les Etats membres, le second facultatif et dérogatoire. Pour autant, il parait difficile d’accepter qu’un système, quel qu’il soit, puisse conduire à des distorsions de concurrence. Or, comme nous l’avons déjà souligné, l’interprétation proposée par les services fiscaux parait très critiquable de ce point de vue.
Finalement, nous pensons que l’analyse adoptée par les services fiscaux en matière de taxation à la TVA sur marge de certaines opérations immobilières est trop radicale et qu’elle pourrait s’avérer anormalement pénalisante. Les opérateurs pourront donc avoir intérêt à ne pas la suivre systématiquement à la lettre, mais devront alors accepter le risque d’un contentieux.
Avant de se décider, il leur faudra intégrer à la réflexion les droits de mutation car la taxation d’une vente de terrain à bâtir à la TVA sur le prix total a pour corollaire une application de la taxe de publicité foncière au taux réduit de 0,715%, en lieu et place du droit de vente taux normal, actuellement de 5,80%. Autrement dit, la taxation à la TVA sur le prix total présente un certain intérêt en termes de droits de mutation. Sauf à ce que l’acquéreur souscrive l’engagement de construire un immeuble neuf dans les quatre ans, car il ne supporte alors qu’un droit fixe de 125 euros, quel que soit le régime de taxation à la TVA.
Tout n’est ainsi qu’une question de circonstances.
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Auteur
Gaëtan Berger-Picq, avocat associé en TVA
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