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TVA : vers une nouvelle tentative de modernisation des règles applicables aux opérations financières ?

TVA : vers une nouvelle tentative de modernisation des règles applicables aux opérations financières ?

Parmi les 25 mesures annoncées le 15 juillet 2020 par la Commission européenne dans son plan d’action en faveur d’une fiscalité équitable et simplifiée figure la mise à jour et la simplification des règles de TVA applicables aux services financiers afin, selon la Commission, de « garantir des conditions de concurrence égales au sein de l’Union et de tenir compte de la compétitivité internationales des entreprises de l’Union ».

Que peut-on attendre de l’initiative que la Commission européenne annonce pour le quatrième trimestre 2021 ?

  1. Eléments de contexte

Les règles de TVA relatives aux opérations bancaires, financières et d’assurance, principalement leur exonération assortie d’une possibilité pour les Etats membres d’autoriser les entreprises à opter pour leur taxation (article 135 paragraphe 1 points a) à g) et 137 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006), sont demeurées strictement identiques à celles des article 13 B et C de la Sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 qui les précédaient et n’ont évolué, en pratique, que sous l’influence de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Or, la rédaction d’origine pêchait par un manque de précision qu’il faut principalement attribuer aux divergences de vues entre les différents Etats membres et la Commission européenne quant au régime à réserver à ces activités. Il faut également se souvenir que ce régime s’inspirait très largement de la taxe sur les activités financières applicables en France avant 1979, époque à laquelle ces opérations étaient bien moins complexes qu’aujourd’hui.

Depuis lors, ce secteur a subi de profondes évolutions, qu’il s’agisse de la nature des opérations, des moyens qu’elles requièrent, de l’organisation des marchés ou de la place qu’occupent ces activités dans l’économie.

Les nombreux arrêts rendus par la CJUE dans ce domaine ont certes permis de combler une partie du décalage existant entre des textes anciens et la complexité actuelle des opérations. Mais trop d’incertitudes persistent encore pour assurer une application harmonisée de cette réglementation.

La Commission européenne a fait une première tentative infructueuse pour moderniser les règles de TVA applicables dans ce secteur sur la base d’une proposition législative présentée 2007 et abandonné en 2016. Le projet comportait alors trois parties :

  • la clarification des conditions d’application du régime des groupements de moyens (article 132 paragraphe 1 sous f de la directive) qui a rapidement disparu car tous les Etats membres avaient alors considéré les termes de la directive suffisamment clairs pour en permettre l’application dans le secteur financier ;
  • la généralisation dans tous les Etats membres du régime d’option pour la taxation des opérations (et son extension aux opérations d’assurance) ;
  • et enfin la redéfinition des opérations financières visées par l’exonération.

Les Etats membres auraient sans doute pu finir par trouver un accord sur ce dernier volet qui, pour l’essentiel, visait à intégrer dans la législation les définitions apportées par la jurisprudence de la CJUE. En revanche, la généralisation du régime d’option se heurtait à une ferme opposition de plusieurs Etats membres.

Ironie du sort, c’est le régime des groupements de moyens qui a donné l’occasion à la Commission européenne de rouvrir ce dossier, la CJUE ayant, contre toute attente, jugé que l’exonération des prestations de services rendues par un groupement à ses membres pour les besoins de leurs opérations exonérées ou hors champ ne s’applique qu’aux activités d’intérêt général à l’exclusion, donc, des activités financières (CJUE, aff. C-605/15 et C-326/16, arrêts du 21 septembre 2017).

  1. Quelles pourraient être les mesures proposées ?

La Commission européenne s’est toujours prononcée en faveur d’une taxation la plus large possible des transactions économiques y compris les opérations financières, en tout cas dans toutes les situations où les avantages de la taxation (neutralité dans les transactions en «BtoB» et effacement de l’effet de « TVA cachée » dans les autres cas) ne se heurtent pas à des obstacles majeurs tels qu’une difficulté de détermination de la base d’imposition, le renchérissement du prix supporté par le consommateur final ou encore le cumul avec d’autres impositions…

Au vu des questions qu’elle a soumises à consultation publique en février 2021, la Commission européenne ne paraît pas plus qu’en 2007 prête à s’engager sur la voie d’un rétrécissement du champ d’application de l’exonération qui rencontrerait en tout état de cause de nombreux obstacles tels que la difficulté d’en évaluer l’impact économique réel (sur les recettes fiscales des Etats membres, la situation des assujettis et celles des consommateurs), l’attachement à l’exonération des Etats membres et de certains opérateurs du secteur, l’impact sur d’autres impositions frappant les opérations concernées (taxes sur les conventions d’assurance par exemple) et sur les consommateurs…

En revanche, le futur projet pourrait reprendre la proposition de généralisation du régime d’option pour la taxation permettant à tout assujetti quel que soit l’Etat membre où il est établi d’opter pour l’imposition (actuellement, cette faculté dépend du choix de chaque Etat membre et est en pratique quasiment inexistante à l’exception notable de la France, voir ci-dessous).

Le projet devrait également inclure :

  • d’une part, le « rétablissement » des activités bancaires, financières et d’assurance dans le champ d’application du régime des groupements de moyens. Rappelons que, en France, ces activités perdront en principe le bénéfice de ce régime à compter du 1er janvier 2023 ;
  • et, d’autre part, l’actualisation de la liste des opérations relevant des exonérations prévues par les dispositions de l’article 135 paragraphe 1 sous a) à g) ainsi que leur définition, tenant compte à la fois des nombreuses évolutions de la jurisprudence (pour les suivre ou, pourquoi pas, leur préférer d’autres définitions tirées ou non d’autres réglementations communautaires) mais aussi de l’émergence de nouveaux instruments financiers (la Commission évoque par exemple la « fintech » ou les crypto-actifs).

Enfin, plusieurs sujets pourraient s’inviter dans la discussion comme la question de l’articulation entre la notion d’opération unique complexe et certains outils de financement comportant une succession d’opérations qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles si elles étaient réalisées isolément ou encore les modalités de détermination des droits à déduction dans des relations entre un siège et sa succursale dans le prolongement de la jurisprudence Morgan Stanley (CJUE, aff. C-178/17, arrêt du 24 janvier 2019).

  1. Une singularité française ?

A l’aube de l’ouverture d’un tel chantier, la France présente, au regard des modalités d’application de la TVA aux opérations financières, deux particularités qui justifieront une évaluation spécifique de l’ensemble des aménagements proposés.

Au premier rang des spécificités figure la taxe sur les salaires dont les entreprises du secteur financier sont redevables en France, dès lors qu’elles ne sont pas soumises à la TVA sur au moins 90 % de leur chiffre d’affaires. L’impact de toute modification des règles de TVA devra être évalué en tenant compte de ses répercussions sur la taxe sur les salaires qui faussera en tout état de cause la garantie de conditions de concurrence égale présentée comme l’un des principaux objectifs de la future réforme.

La seconde spécificité est la faculté d’option pour la taxation des opérations que la France est la seule à appliquer autrement que de manière marginale.

Si l’option devait être étendue à tout assujetti établi dans l’UE, ce changement serait, à l’aune de l’expérience française, propice à une révision en profondeur de sa portée.

Ainsi, la liste des opérations entrant dans le champ de l’option, actuellement limitée en France à celles qui étaient effectivement soumises à la taxe sur les activités financières avant l’entrée en vigueur de la 6ème directive, mériterait d’être réexaminée.

Devrait également être clarifiée l’étendue de l’option. En effet, la règle du « tout ou rien » par laquelle l’exercice de l’option entraine en France l’application de la TVA à toutes les opérations de l’assujetti qui entrent dans son champ mérite d’être réexaminée au regard du pouvoir dont disposent les Etats membres pour fixer les « modalités de l’exercice de l’option » (article 137-2 de la directive). Elle est en effet dissuasive pour tous les acteurs de ce secteur qui proposent une grande diversité d’opérations et/ou s’adressent tant à des clients redevables de la TVA pour lesquels la taxation des services financiers est neutre que des clients non assujettis ou réalisant eux-mêmes des activités exonérées qui en supportent la charge définitive. L’attrait de l’option nous paraît résider dans la souplesse de son application qui mériterait, donc, d’être assurée dans tous les Etats membres et donc prévue de manière explicite par les dispositions de la directive.

Sur ces sujets comme sur les innombrables incertitudes résultant de l’obsolescence des dispositions de la directive relatives aux opérations financières, la réforme que la Commission propose d’engager comporte d’importants enjeux et méritera d’être suivie avec la plus grande attention.

Article paru dans Option Finance le 07/06/2021

Auteurs

Elisabeth Ashworth, avocat associé en droit fiscal

Christophe Aldebert, avocat associé en droit fiscal