Utilisation de la langue française : attention aux documents en langue étrangère remis aux salariés !

14 novembre 2023
Le Code du travail contient nombre de dispositions imposant que certains documents destinés à des candidats à l’emploi, à des salariés ou à des représentants du personnel soient rédigés en français.
Un nouvel arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 octobre 2023, jugeant inopposables des documents rédigés en anglais fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable, est l’occasion de faire le point sur l’obligation de l’usage du français dans les relations de travail et ses conséquences en cas de manquement.
1. S’agissant des offres d’emploi
Il est interdit de publier une offre d’emploi comportant un texte rédigé en langue étrangère.
Si l’intitulé de poste nécessite un terme d’une langue étrangère, l’offre doit comporter une description suffisamment détaillée en français pour ne pas induire en erreur les candidats à l’emploi (1).
La méconnaissance de cette disposition est punie d’une peine d’amende de 450 euros (2.250 euros pour une personne morale).
2. S’agissant des documents créateurs d’obligations à l’égard des salariés
Les conventions et accords collectifs sont rédigés en français, sous peine d’inopposabilité au salarié de la clause rédigée en langue étrangère qui lui ferait grief (2).
Il en va de même pour le contrat de travail et ses éventuels avenants (3) qui doivent être rédigés en français, le cas échéant, accompagnés d’une traduction dans la langue du salarié étranger s’il la demande. La bonne pratique consiste en une version bilingue de ces documents.
Plus largement, l’utilisation de la langue française est imposée dans tout document comportant des obligations pour le salarié ou contenant des informations nécessaires à l’exécution de son travail (4).
Ces dispositions générales couvrent donc tous les documents, quelle que soit leur nature, relatifs aux conditions d’exécution par le salarié de son travail.
Les documents fixant des objectifs pour la détermination de la rémunération variable ont donné lieu à une jurisprudence abondante. Il en ressort que l’utilisation de la langue française s’impose donc pour ces documents fixant de tels objectifs, peu important que :
⇒ le salarié maîtrise parfaitement la langue étrangère utilisée (5) ;
⇒ la langue de travail de l’entreprise soit l’anglais, que les échanges de mails produits entre les parties soient, pour la plupart, en anglais, y compris les documents de travail établis par le salarié (6);
⇒ l’activité de l’entreprise soit internationale (7).
Il en va différemment pour de documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers. En application de cette disposition, il a été jugé que :
⇒ une fiche d’objectifs rédigée en langue anglaise n’a pas à être rédigée en français dès lors qu’elle a été rédigée par la société mère domiciliée à l’étranger (8) ;
⇒ les objectifs rédigés en anglais et destinés à la détermination de la rémunération variable sont opposables à une salariée de nationalité américaine (9).
Par ailleurs, la jurisprudence a admis la possibilité de fixer les objectifs dans une langue étrangère si une traduction est jointe (10).
A défaut de respecter cette obligation, les objectifs sont inopposables au salarié (11) et ce dernier peut demander au juge de fixer la part variable de sa rémunération en se basant sur le taux maximal, que les objectifs aient été atteints ou non.
Ainsi, c’est conformément à sa jurisprudence constante que la Cour de cassation a estimé, dans un arrêt du 11 octobre 2023, que :
♦ les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable du salarié ayant été rédigés en langue anglaise, sans avoir été reçus de l’étranger ;
♦ c’est à tort que les juges du fond l’ont débouté de sa demande de rappel de rémunération variable après avoir considéré que cette circonstance ne pouvait pas suffire à rendre inopposables au salarié les plans de rémunérations (12).
Les employeurs doivent donc veiller à rédiger en français des documents comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour la bonne exécution de son travail. Par exception, seuls des documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers peuvent être rédigés en langue étrangère.
Selon cette logique, si, en principe, les critères d’évaluation d’un salarié doivent, à peine d’inopposabilité, être rédigés en français, tel n’est pas le cas des documents d’évaluation rédigés en anglais et envoyés par le supérieur hiérarchique de nationalité anglaise basé à Londres à des salariés français (13).
De plus, sur le plan pénal, le fait de ne pas mettre à la disposition d’un salarié une version en langue française d’un document comportant des obligations à l’égard de ce salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l’exécution de son travail est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe, soit 3.750 € pour une personne morale, par infraction constatée.
3. S’agissant des documents édictant des règles applicables en matière de santé, de sécurité et de discipline
Le Code du travail prévoit expressément que «le règlement intérieur est rédigé en français. Il peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues étrangères» (14).
Il en résulte que les notes de services ou encore les chartes qui valent adjonctions au règlement intérieur doivent également être rédigées en français pour être opposables aux salariés. L’inspecteur du travail peut, à tout moment, exiger le retrait ou la modification des dispositions du règlement intérieur qui ne sont pas rédigées en français (15).
En outre, l’article R.4141-2 du Code du travail impose à l’employeur d’informer «les travailleurs sur les risques pour leur santé et leur sécurité d’une manière compréhensible pour chacun», ce qui peut imposer de traduire certains documents ou consignes en français.
Là encore, la méconnaissance de cette obligation est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe (16).
4. S’agissant des documents communiqués en CSE
Le Code du travail exige que comportent au moins une version en français «les documents communiqués aux représentants des salariés» du comité d’entreprise européen (17) et du comité de la société européenne (18). A fortiori, les mêmes règles s’appliquent aux documents communiqués au comité social et économique (CSE).
Dès lors, dans les groupes internationaux, il convient d’anticiper la traduction des documents provenant de l’étranger et communiqués au CSE.
Cette bonne pratique vise à faciliter les échanges et à prévenir les contentieux dus à une information insuffisante.
En effet, un CSE qui estime être insuffisamment informé peut saisir le président du Tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, pour qu’il ordonne :
⇒ la communication par l’employeur des éléments manquants ;
⇒ et, en cas d’information-consultation, des délais supplémentaires lorsque se présentent des difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de son avis (19).
AUTEURS
Ludovique Clavreul, Avocate Counsel, CMS Francis Lefebvre
Laure Guilmet, Avocate, CMS Francis Lefebvre
(1) Article L.5331-4 du Code du travail
(2) Article L.2231-4 du Code du travail
(3) Article L.1221-3 du Code du travail
(4) Article L.1321-6 du Code du travail
(5) Cass. soc. 29 juin 2011 n°09-67.492 ; Cass. soc. 2 avril 2014 n°12-30.191
(6) Cass. soc. 7 juin 2023 n°21-20.322
(7) Cass. soc. 3 mai 2018 n°16-13.736
(8) Cass. soc. 5 novembre 2014 n°12-30.191 ; Cass. soc. 27 septembre 2018 n°17-17.255
(9) Cass. soc. 24 juin 2015 n°14-13.829
(10) Cass. soc. 21 septembre 2017 n°16-20.426
(11) Cass. soc. 29 juin 2011 précité
(12) Cass. soc. 11 octobre 2023 n°22-13.770
(13) CA Paris 25 novembre 2020, n°18/02143
(14) Article L.1321-6 du Code du travail
(15) Article L.1322-1 du Code du travail
(16) Article R.1323-1 du Code du travail
(17) Article L.2343-17 du Code du travail
(18) Article L.2353-21 du Code du travail
(19) Article L.2312-15 du Code du travail
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