Vade-mecum sur les règles de suppléance au CSE, à la lumière des dernières précisions de la Cour de cassation
21 juillet 2022
Le Code du travail fixe des règles un peu complexes, avec des hypothèses en cascade, de remplacement des membres du CSE. Par un arrêt récent (Cass. soc., 18 mai 2022, n° 21-11.347), la Cour de cassation a été amenée à les expliciter, en rappelant que ces règles doivent s’appliquer strictement, y compris en cas de départ de l’ensemble des élus d’un collège.
En l’espèce, les deux seuls élus (titulaire et suppléant) du premier collège au CSE ont cessé leurs fonctions en cours de mandat. L’employeur a alors procédé à l’organisation d’élections partielles en application de l’article L. 2314-10 du Code du travail.
En effet, aux termes de cet article, des élections partielles sont organisées à l’initiative de l’employeur notamment «si un collège électoral n’est plus représenté», à moins que l’on se trouve moins de six mois avant le terme du mandat.
Toutefois, le syndicat qui avait présenté les deux élus démissionnaires, la CFDT, a contesté l’organisation du scrutin en estimant que l’employeur aurait dû désigner, comme titulaire du 1er collège, l’un des candidats non élus qu’elle avait présentés dans le deuxième collège, en application de l’article L. 2314-37 du Code du travail.
En cas de départ de l’ensemble des élus d’un collège, l’application des règles de suppléance prime sur l’organisation d’élections partielles
Le Tribunal judiciaire, statuant en premier et dernier ressort, a débouté la CFDT de ses demandes et validé l’organisation des élections partielles.
Il a en effet jugé que «les membres suppléants du CSE et les candidats non élus du second collège présentés par le syndicat CFDT ne pouvaient remplacer le membre titulaire du premier collège présenté par ce même syndicat», dès lors que «l’article L. 2314-37 du Code du travail ne permet pas de remplacer des membres d’un collège par ceux d’un autre collège, n’ayant assurément pas les mêmes intérêts collectifs».
La Cour de cassation a censuré cette décision.
En guise de premier enseignement, il faut retenir de cet arrêt que les règles de suppléance doivent être appliquées intégralement, avant d’envisager l’organisation d’élections partielles.
Un tel scrutin doit donc être organisé si et seulement si aucun suppléant n’a pu être désigné en application des règles de remplacement prévues à l’article L. 2314-37 du Code du travail.
La solution est logique dans la mesure où les règles de suppléance posées par cet article ont vocation à jouer, non seulement en cas d’absence momentanée, mais également «lorsqu’un titulaire cesse ses fonctions», que celles-ci prennent fin par «le décès, la démission, la rupture du contrat de travail, la perte des conditions requises pour être éligible».
Là n’est toutefois pas le principal apport de l’arrêt.
En effet, après avoir rappelé les règles légales de suppléance, la Cour de cassation les a explicitées en en retenant une interprétation extensive.
Des règles légales de remplacement détaillées mais lacunaires
L’article L. 2314-37 du Code du travail, tel que résultant de l’ordonnance Macron ayant institué le CSE, a repris, pour le jeu des remplacements, les règles anciennement applicables aux délégués du personnel plutôt que celles qui existaient pour le comité d’entreprise.
Ce faisant, une place prépondérante est accordée au critère de l’appartenance syndicale, qui prend le pas sur celui de l’élection comme sur celui de la catégorie d’appartenance.
Ainsi, aux termes de cet article, le titulaire est remplacé :
1- Par un suppléant élu sur une liste présentée par la même organisation syndicale et appartenant à «la même catégorie» que le titulaire,
2 – A défaut, par un suppléant élu sur une liste présentée par la même organisation syndicale mais appartenant à une autre catégorie que le titulaire,
3 – A défaut, par le candidat non élu présenté par la même organisation syndicale, «qui vient sur la liste immédiatement après le dernier élu titulaire»,
4 – A défaut, par le candidat non élu présenté par la même organisation syndicale, qui vient sur la liste immédiatement après le dernier élu suppléant,
5 – A défaut, par le suppléant élu appartenant à une autre organisation syndicale, mais appartenant à la même catégorie et ayant obtenu le plus grand nombre de voix.
Tout aussi détaillées et précises que soient ces règles, elles n’envisagent pas tous les cas de figure et comportent des incertitudes, sinon des lacunes.
Dans l’arrêt qui nous intéresse, la Cour de cassation en comble certaines.
Une décision jurisprudentielle qui fait jouer à plein le critère de l’appartenance syndicale
Tout d’abord, en présence de plusieurs suppléants élus présentés par la même organisation que le titulaire à remplacer mais appartenant à une autre catégorie (hypothèse 2), la question pouvait se poser de savoir si le remplacement devait nécessairement être assuré au sein du même collège ou si, en l’absence de suppléant élu du même collège, il pouvait l’être par un suppléant d’une autre catégorie relevant d’un autre collège.
Le Tribunal judiciaire avait écarté cette possibilité. La Cour de cassation l’a cependant censuré.
Explicitant l’article L. 2314-37, dont la lettre invitait à une interprétation large, la Haute juridiction indique que, «en l’absence de suppléant de la même catégorie, le remplacement est assuré en priorité par un suppléant d’une autre catégorie appartenant au même collège, présenté par la même organisation syndicale, à défaut, par un suppléant d’un autre collège présenté par cette même organisation».
Ensuite, en cas de recours à des candidats non élus (hypothèses 3 et 4), l’article L. 2314-37 précise qu’il convient de donner priorité au premier non élu titulaire sur le premier non élu suppléant.
On ne sait pas, en revanche, si la recherche doit être limitée à la même catégorie, au même collège, ou si elle doit au contraire être opérée sur l’ensemble des listes présentées par l’organisation en question.
A cette question, le juge de première instance avait répondu qu’il n’était pas possible de remplacer un titulaire du premier collège par une personne présentée par la même organisation dans le second, a fortiori si elle n’a pas été élue.
La Cour de cassation, énonçant que, en l’absence de suppléant élu présenté par la même organisation syndicale, le remplacement est assuré «par un candidat non élu répondant à cette condition de présence syndicale», casse le jugement de première instance ayant écarté la désignation de candidats non élus dans le deuxième collège aux fins de remplacer le titulaire défaillant dans le premier.
Elle admet ainsi que des candidats non élus et appartenant à un autre collège que le titulaire à remplacer puissent le suppléer.
Ainsi, la Cour de cassation fait produire un effet maximal au critère de l’appartenance syndicale, les critères de l’élection et de la catégorie ayant un rôle secondaire et de départage.
Par cette solution, et à tout le moins lorsque les élus ont été présentés sur des listes syndicales, les chances de trouver un remplaçant sont maximisées et, ce faisant, le risque d’avoir à organiser des élections partielles en cours de mandat est diminué d’autant.
La loi étant muette sur les règles de remplacement d’élus sans étiquette, il est sans doute possible de raisonner par analogie (en remplaçant le titulaire absent par un suppléant de la même catégorie ou, à défaut, du même collège ou, à défaut, d’un autre collège en retenant, dans chaque cas, celui qui a obtenu le plus grand nombre de voix) … mais des précisions supplémentaires seraient là encore les bienvenues.
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