Plus-values mobilières : l’administration se prononce enfin ! (2ème partie)
Depuis 2012, les plus-values de cessions de valeurs mobilières subissent l’impôt sur le revenu non plus à un taux proportionnel mais au barème progressif dont le taux maximum atteint 45%.
L’application d’abattements pour durée de détention tempère la rigueur de ce «big bang» fiscal. L’Administration a récemment mis en ligne ses commentaires sur le site BOFiP, pour consultation publique jusqu’au 14 novembre prochain. Revue (non exhaustive) du bon et du moins bon.
1. Eligibilité aux abattements de droit commun
La plus-value est abattue de 50% en cas de conservation d’au moins deux ans et de 65% au-delà de huit ans.
La loi réserve le bénéfice des abattements aux seules plus-values de cessions «d’actions, de parts de sociétés, de droits portant sur ces actions ou parts ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits». En sont donc notamment exclus les gains sur obligations, mais également ceux sur cession de Bons de Souscription d’Actions dès lors qu’ils sont cédés séparément des actions auxquelles ils étaient attachés. Il en va a fortiori de même des cessions de BSA acquis isolément ou de bons séparés d’une OBSA.
Or, il y a toujours corrélation entre la valeur d’un BSA et de l’action sous-jacente : elle est juridique lorsque le BSA est attaché à l’action dans le cadre d’une ABSA, et économique lorsque le BSA est sec ou détaché de l’action sous-jacente.
L’approche purement juridique retenue par l’Administration induit une distinction artificielle qui ne nous semble pas justifiée par les caractéristiques économiques de ces instruments.
Les compléments de prix de cession d’actions constituent, au premier euro, un gain taxable en sus de la plus-value constatée initialement. Mais l’impôt n’est pas dû au titre de l’année de cession : l’«earn-out» est un revenu taxable de l’année de sa perception. Le législateur a prévu que le gain additionnel bénéficie du même abattement que celui appliqué à la plus-value originelle : le temps attendu pour la perception du complément de prix n’est pas susceptible d’améliorer son sort fiscal. Soit. Une anomalie majeure risque cependant de frapper les «earn-out» issus de cessions réalisées jusqu’en 2012, alors que l’impôt était liquidé au taux proportionnel … sans abattement. Faute de précision dans le BOFiP, les services vérificateurs seront sans doute enclins à en déduire que le complément de prix doit subir l’impôt au barème progressif désormais en vigueur … sans abattement ! Sur le simple terrain de l’équité, le BOFiP pourrait être amendé afin de prévoir que les «earn-out» peuvent bénéficier de l’abattement qui aurait été applicable aux cessions concernées si les nouvelles règles avaient alors été en vigueur.
Plus-values d’échanges
La loi fiscale assure d’une manière générale la neutralité fiscale des opérations d’échange de titres. Cette règle de bon sens souffre désormais de sérieuses atteintes.
On sait que différents régimes de différé d’imposition coexistent. Les échanges antérieurs à l’année 2000 ont été réalisés sous le bénéfice du report d’imposition des anciens articles 92, II ou 160, I ter du CGI. Ceux réalisés depuis lors jusqu’au 13 novembre 2012 ont bénéficié du sursis d’imposition de l’article 150-0 B. Les apports de titres effectués à compter du 14 novembre 2012 au profit de sociétés contrôlées sont désormais réalisés en report d’imposition régi par l’article 150-0 B ter.
Plus-values en report d’imposition ante 2000
Contre toute attente, les commentaires de l’administration soutiennent qu’un apport relevant du champ d’application de l’article 150-0 B ter du CGI mettrait fin au report d’imposition «pré 2000» que pourrait comporter les titres apportés.
Cette position qui est semble-t-il déduite de l’application littérale des dispositions de l’article 150-0 B ter a-t-elle véritablement été voulue par le législateur ? Dans l’hypothèse où sa légalité serait confirmée, elle constituera un frein évident à la réalisation d’opérations de restructuration par ailleurs légitimes et utiles au développement économique.
Nouvelles plus-values en report d’imposition
L’application du régime de l’article 150-0 B ter conduit potentiellement à constater deux gains : une plus-value déterminée à la date de l’échange pour les titres apportés «A» et une plus-value complémentaire pour les titres reçus à l’échange «R» calculée à la date de leur cession. L’Administration confirme ce qui paraît ressortir de la lettre de la loi : l’abattement applicable à chacune des plus-values doit être déterminé distinctement de manière «étanche». Celui relatif à la plus-value d’échange doit être déterminé une fois pour toutes en fonction de la durée de détention des titres «A» jusqu’à la date de l’échange. L’abattement afférent à la plus-value de cession sera calculé en fonction du délai séparant l’échange de la cession «finale». Le caractère purement «intercalaire» de l’opération d’échange est battu en brèche puisque le régime des abattements ignore la parfaite continuité de la détention des titres successifs.
Le préjudice financier qui en résulte peut être considérable si l’on compare la situation des contribuables concernés à celles, économiquement identique, des personnes qui ont réalisé des opérations en sursis d’imposition, soit qu’ils ont participé à des échanges de titres avant le 14 novembre 2012, soit qu’ils n’ont pas obtenu le contrôle de la société bénéficiaire de leur apport effectué depuis cette date. Pour cette seconde catégorie de contribuables, une plus-value unique est déterminée sous déduction d’un abattement calculé selon le temps écoulé entre l’acquisition des titres A et la cession des titres R. Les situations de ces différentes catégories d’actionnaires sont-elles objectivement si différentes qu’elles puissent être traitées de manière aussi divergente sans atteinte au principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant l’impôt ?
2. Régime des abattements renforcés
Trois régimes spéciaux bénéficient d’un abattement «renforcé», dont le taux dépend là encore de la durée de détention : 50% entre un et quatre ans, 65% entre quatre et huit ans et 85% au-delà de huit ans. Deux de ces régimes appellent à ce stade quelques commentaires.
Nouveau régime des «Pigeons» : plus-values afférentes aux titres de jeune PME
Les titres doivent avoir été souscrits ou acquis avant le 10ème anniversaire de la création d’une société qualifiant encore à cette date les critères européens de PME, c’est-à-dire exerçant par nature une activité opérationnelle, employant moins de 250 salariés et dont le total de bilan ou le chiffre d’affaires n’excède pas respectivement 43 M€ et 50 M€.
En outre, la PME ne doit pas être issue d’une concentration, restructuration, extension ou reprise d’activités préexistantes. Le BOFiP se contente ici de renvoyer aux commentaires sur le régime des entreprises nouvelles.
A la question de savoir si une opération d’apport de titres d’une PME 1 à une autre PME 2 constitue une opération de restructuration de nature à faire perdre le bénéfice du régime de l’abattement renforcé, le BOFiP paraît répondre par la négative puisqu’il indique que dans ce cas les conditions d’application de l’abattement renforcé doivent s’apprécier au niveau de la société dont les titres ont été reçus lors de l’échange. Dès lors, et quand bien même les titres PME 1 apportés qualifiaient toutes les conditions d’application du régime «pigeons», il faudra veiller à ce qu’il en soit de même au niveau de la société PME 2 bénéficiaire de l’apport. On croit comprendre que cette dernière devra avoir été créée il y a moins de dix ans au jour de l’apport. Si cette position peut se recommander d’une certaine logique puisque les titres cédés seront les titres PME 2 reçus à l’échange, force est de constater que cette analyse heurte à nouveau le caractère en principe intercalaire des apports.
Le régime «pigeons» s’applique également aux «holdings animatrices de groupe», la loi précisant que l’ensemble des conditions «PME» requises doivent également être respectées au niveau de chacune des filiales. Les commentaires administratifs reprennent à la lettre cette exigence sans apporter le moindre assouplissement, au risque d’exclure les holdings animatrices qui, par exemple, détiendraient une filiale foncière détenant exclusivement ou principalement des immeubles d’exploitation affectés au groupe ?.
Dirigeants de PME partant à la retraite
Les contribuables concernés ne manqueront pas de regretter le régime précédent qui instituait une exonération d’IR totale. On notera cependant qu’un abattement supplémentaire fixe de 500.000 € s’applique avant l’abattement renforcé. La loi précise que cet abattement fixe profite à l’ensemble des gains afférents à des titres émis par une même société. Le BOFiP est muet quant aux modalités pratiques d’application de cet abattement fixe qui parait présenter un caractère collectif et non s’appliquer à chaque cession. Faudra-t-il faire usage d’une nouvelle règle du «PVPS» : premier vendeur premier servi ? un prorata entre cédants ?…
On constate avec regret que les deux tolérances administratives précédemment admises en faveur des cessions réalisées par les membres du groupe familial et par les «cofondateurs» n’ont pas été reprises.
Ces disparitions s’expliquent-elles par la complexité pressentie de l’allocation de l’abattement fixe entre les différents cédants ? Difficulté qui pourrait être facilement levée, par exemple en réservant l’abattement fixe au cédant dirigeant.
En revanche, on note que l’administration accepte encore l’application de ce régime aux cessions de titres d’une (unique) société holding non animatrice, détenant des participations dans des sociétés opérationnelles ou holdings animatrices, représentant au moins 90% de son actif brut comptable à la clôture des 5 exercices précédant la cession.
Auteurs
Luc Jaillais, avocat associé, spécialisé en fiscalité directe : Impôt sur les sociétés, Impôt sur le revenu, taxe professionnelle et retenue à la source.
Florian Burnat, avocat
Article « Plus-values mobilières : l’administration se prononce enfin ! (2ème partie) » est paru dans le magazine Option Finance le 3 novembre 2014