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Vente de médicaments sur Internet : état des lieux

Par sa décision du 17 juillet 2013 annulant partiellement l’ordonnance du 19 décembre 2012 et rejetant au contraire certains des moyens dont il était saisi, le Conseil d’État a clarifié, dans l’attente de la décision à intervenir sur les recours formés à l’encontre de l’arrêté de bonnes pratiques, les conditions auxquelles est subordonnée la vente de médicaments sur Internet.

La directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 a notamment introduit dans le code communautaire relatif au médicament à usage humain un cadre relatif à la vente de médicaments sur Internet (JOUE, 2011, L 174, p. 74). Cette directive a été transposée en droit français par deux textes : – l’ordonnance n°2012-1427 du 19 décembre 2012 (JORF, 21 décembre 2012, texte n°11) : – le décret n°2012-1562 du 31 décembre 2012 (JORF, 1er janvier 2013, texte n°22).

Ces deux textes ont fait l’objet de plusieurs recours devant le Conseil d’État.

Par deux décisions, l’ordonnance de référé du 14 février 2013 et l’arrêt du 17 juillet 2013, le Conseil d’État s’est prononcé sur la vente en ligne de médicaments.

Quelles questions étaient posées au Conseil d’État ?

1. La restriction de la vente en ligne aux seuls médicaments présentés en accès libre au public est-elle légale ?

Selon la directive, les États membres ne peuvent exclure de la vente par Internet que les seuls médicaments soumis à prescription.

L’article L. 5125-34 du CSP, introduit par l’ordonnance du 19 décembre 2012, prévoit que seuls peuvent être vendus sur Internet les médicaments qui, à l’officine, peuvent être présentés en accès libre au public. Il s’agit donc d’une sous-catégorie, parmi les médicaments disponibles sans prescription médicale obligatoire.

Par ordonnance du 14 février 2013, le Conseil d’État, juge des référés, a ordonné la suspension de cet article, en retenant qu’il était urgent de prendre « les mesures provisoires nécessaires pour faire cesser immédiatement l’atteinte aux droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne ».

Le Conseil d’État statuant sur le fond a annulé l’article L. 5125-34 du CSP. Ainsi, tous les médicaments disponibles sans prescription médicale obligatoire peuvent être vendus sur Internet par les pharmacies d’officine.

2. Les autorités françaises peuvent-elles subordonner à une autorisation préalable l’ouverture d’un site Internet de vente de médicaments par une officine ?

L’article L. 5125-36 du CSP subordonne l’ouverture d’un site Internet de vente de médicaments par un pharmacien d’officine a une autorisation préalable délivrée par l’ARS territorialement compétente.

Dès lors, un pharmacien d’officine, qui est déjà titulaire d’une autorisation d’ouverture de cette officine, doit solliciter de l’autorité administrative une seconde autorisation, cette fois pour l’ouverture d’un site Internet de vente en ligne de médicaments, alors même qu’il est déjà autorisé à dispenser au public les médicaments concernés par la vente par voie électronique, et ce en vertu de la première de ces deux autorisations.

Le Conseil d’État juge que la directive ne s’oppose pas à ce que la législation subordonne l’autorisation de vente en ligne à une seconde autorisation, distincte de l’autorisation d’ouverture physique.

3. La création d’un site Internet commun à plusieurs officines est-elle possible ?

Selon l’article L. 5125-33 introduit dans le CSP par l’ordonnance attaquée, « l’activité de commerce électronique est réalisée à partir du site internet dune officine de pharmacie ».

Les requérants soutenaient au contraire que le code communautaire n’impose aucunement le rattachement d’un site internet à une seule officine. Pour ces derniers, un tel rattachement n’est justifié par aucune considération de santé publique puisque, y compris dans l’hypothèse d’un même site internet rattaché à plusieurs pharmacies d’officine, un même niveau de qualité et de sécurité pourrait être assuré.

Là encore, le Conseil d’État n’a pas suivi les requérants. Il a en effet considéré que le rattachement d’un site Internet à une pharmacie d’officine et à une seule est justifié par des raisons de santé publique. Pour le juge administratif, il s’agit là du pouvoir d’appréciation des États membres pour décider du niveau de protection de la santé publique.

Quelles conséquences résultent de l’annulation prononcée par le Conseil d’État ?

L’annulation de l’article L 5125-34 du CSP rejaillit, d’une part, sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance et, d’autre part, sur l’arrêté du 20 juin 2013 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique (JORF, 23 juin 2013, p.10446).

Le projet de loi qui procède à la ratification de l’ordonnance du 19 décembre 2012 a été adopté en Conseil des ministres le 13 mars 2013. Selon son exposé des motifs, il procède à la ratification de l’ordonnance « sans lui apporter de modification ».

Or, avec la décision du Conseil d’État qui annule l’article L. 5125-34 du CSP et oblige nécessairement le législateur, qui doit respecter la chose jugée, à étendre le champ des médicaments pouvant être vendus sur Internet, la loi de ratification ne peut être adoptée en l’état.

Le Parlement devra donc adopter, dans le cadre du débat sur la loi de ratification, un amendement retenant une rédaction de l’article L 5125-34 du CSP conforme au droit de l’Union. jusqu’à cette date, le code communautaire qui est précis et inconditionnel s’applique directement, sauf à placer la France en situation de manquement à ses obligations européennes.

Quant à l’arrêté de bonnes pratiques, il a également fait l’objet de recours devant le Conseil d’État. Son illégalité est certaine, puisque son point 2.1 précise que les médicaments qui peuvent être vendus par voie de commerce électronique sont ceux qui sont visés par l’article L 5125-34 du CSP, de sorte que, depuis le 17 juillet 2013, l’arrêté ministériel est entaché de violation de l’autorité de la chose jugée.

Quelle va être la décision du Conseil d’État ? L’annulation de l’arrêté ministériel est quasi certaine, la violation de l’autorité de chose jugée étant un moyen que le juge et doit soulever d’office dans le cas où les requérants ne l’auraient pas fait dans leurs écritures. La seule question qui se pose est celle de l’étendue de cette annulation. Ce dernier va-t-il annuler l’arrêté dans son intégralité ou au contraire ne l’annuler que partiellement, en considérant que les dispositions de l’arrêté qui se référent à l’article L. 5125-34 du CSP annulé sont séparables du reste de l’arrêté ? Réponse dans quelques mois…

 

A propos de l’auteur

Bernard Geneste, avocat associé spécialisé en droit de la santé, droit de l’Union européenne et droit public, contentieux administratif et communautaire. Sa longue pratique des administrations françaises comme sa maîtrise du droit communautaire expliquent qu’il ait, en sa qualité d’avocat, développé plus particulièrement son activité dans le secteur des produits de santé où il intervient tant en qualité de conseil qu’au contentieux sur l’ensemble des questions touchant aux relations entre les opérateurs du système de soins et les autorités administratives.

Saliha Rhaimoura, juriste Senior en droit de la santé, droit de l’Union européenne, droit public, contentieux administratif et communautaire.

 

Article paru dans la revue Décideurs de décembre 2013