Vers la fin des conventions réglementées entre les sociétés cotées et leurs filiales à 100 %?
Un récent projet de loi propose d’exclure du champ des conventions réglementées les conventions conclues entre une société cotée et ses filiales détenues directement ou indirectement à 100%. Une démarche qui allégerait les contraintes administratives pesant sur les entreprises.
Pour l’heure, toutes conventions intervenant entre une société mère et sa filiale ayant des dirigeants communs, à l’exception des conventions courantes conclues à des conditions normales, sont soumises à la procédure de contrôle des conventions réglementées. En conséquence, celles-ci doivent être portées à la connaissance du conseil d’administration qui décidera ou non de l’autoriser. Le cas échéant, le président du conseil d’administration avisera le commissaire aux comptes afin que celui-ci établisse un rapport spécial à l’attention des actionnaires. Enfin, le rapport spécial est soumis au vote des actionnaires qui peuvent ou non l’approuver.
On mesure combien cette procédure peut être fastidieuse et coûteuse pour les sociétés dans lesquelles les conventions avec leurs filiales sont très fréquentes. Tel est précisément le cas des sociétés cotées qui concluent de nombreuses conventions avec leurs filiales détenues à 100%. On s’est donc interrogé sur l’opportunité de maintenir ce dispositif dans cette hypothèse spécifique.
Un très récent projet de loi (du 4 septembre 2013, comportant diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises) propose donc d’exclure du champ des conventions réglementées les conventions conclues entre une société cotée et ses filiales détenues directement ou indirectement à 100%. S’il reçoit l’approbation du Parlement, ce projet de loi aura achevé une discussion ouverte depuis maintenant plusieurs mois. L’initiative gouvernementale est, sur ce point, porteuse d’un message clair s’agissant des sociétés cotées dans leur rapport avec leurs filiales à 100% : il faut leur éviter les sujétions inutiles (1) pour privilégier les contraintes utiles (2). Ainsi conçue, cette démarche doit être approuvée.
1. Se passer de l’inutile…
On se souvient qu’au début de l’année 2012, la place de Paris s’était emparée de la question. La commission juridique de l’Institut français des administrateurs (IFA) avait, au mois de janvier, constaté que le dispositif légal de contrôle des conventions réglementées n’opère actuellement aucune distinction entre les conventions conclues au sein d’un groupe de société. La commission mettait en particulier en question les conventions conclues entre une société mère et sa filiale à 100%.
On peut en effet s’interroger. La procédure de contrôle des conventions réglementées vise d’une manière générale à prévenir les conflits d’intérêts qui pourraient exister entre les cocontractants. Un conflit d’intérêt existe à chaque fois que la personne qui contracte avec la société a un rôle important dans celle-ci : il faut s’assurer qu’elle n’aura pas usé de son influence pour obtenir un avantage qu’elle n’aurait pas eu si elle avait été une personne extérieure à la société. Tout repose donc sur la présence d’un conflit d’intérêts. S’il n’y en a pas, la procédure de contrôle ne se justifie pas.
C’est ainsi que le groupe de travail de l’AMF, qui a rendu son rapport au mois de février 2012, avait suggéré d’exclure du champ d’application du régime des conventions réglementées les conventions conclues entre une société cotée et ses filiales détenues à 100% tout au long de l’exercice. Le groupe avait en effet constaté que ces conventions étaient en pratique très nombreuses et qu’il n’existait pas de véritable conflit d’intérêts entre une société mère et sa filiale détenue intégralement par elle.
Il est vrai que l’on peut douter qu’une filiale détenue à 100% et sa mère aient véritablement des intérêts divergents, au point que puisse naître un conflit entre elles. Détentrice de l’intégralité du capital et donc des droits de vote de sa fille, la société mère décide de tout. Donc, comment expliquer, sinon au prix de l’illusion, que la convention condue entre elles soit aujourd’hui encore soumise à une procédure de prévention des conflits d’intérêts ?
Au demeurant, d’un point de vue très pratique, mettre à l’ordre du jour du conseil de telles conventions exaspère bien souvent, surtout dans les grands groupes, des administrateurs venus parfois de loin pour aborder des questions stratégiques.
Un jugement déjà ancien du tribunal de commerce de Paris, rendu le 26 avril 1990, avait, opportunément semble-t-il, jugé que « l’identité d’actionnaires et d’intérêts entre la société mère (…) et la société filiale à 100% (…) excluait toute opposition possible d’actionnaires et d’intérêts dans une éventuelle convention entre les deux sociétés, leurs dirigeants ayant d’ailleurs, à l’évidence, agi en commun (…) ».
Cette jurisprudence avait été critiquée par la doctrine qui considérait que l’on ne pouvait déroger à la règle générale de contrôle des conventions réglementées faute d’une exception prévue par un texte. Plus fondamentalement, certains considéraient que la procédure des conventions réglementées était susceptible de protéger d’autres intérêts que ceux des actionnaires.
En l’absence de position législative sur ce sujet, cette décision est restée isolée. Vingt ans plus tard, le projet de loi du 4 septembre 2013 y fait écho.
2 … pour se concentrer sur l’utile
Le projet de loi propose donc de suivre le point de vue du groupe de travail de l’AMF avec un message clair : les conventions conclues entre une société cotée et ses filiales à 100% ne présentent pas véritablement de risques de conflit d’intérêts. Dans ces conditions, explique le gouvernement, il apparaît plus opportun que les actionnaires se concentrent sur les conventions présentant de tels risques. Se concentrer sur l’utile, en somme.
Au-delà de conforter la cohérence du mécanisme de contrôle des conventions réglementées des sociétés cotées, cette réforme permettrait d’alléger le rapport spécial du commissaire aux comptes déjà très dense et par voie de conséquence de réduire les coûts pour la société, puisque ces conventions sont nombreuses.
Dans l’idée de se concentrer sur l’utile, et quelque part en compensation de la suppression proposée, le gouvernement souhaite consacrer une autre suggestion du rapport du groupe de travail de l’AME Il serait instauré une obligation d’information des actionnaires d’une société mère sur les conventions conclues entre une personne clé de cette société, d’une part, et une filiale de celle-ci. rexemple qui vient à l’esprit est celui d’une convention de prestation de conseils conclue par un dirigeant de la mère au profit de la filiale. On voit bien ici que le dirigeant peut être en situation de conflit d’intérêts alors pourtant qu’aucune procédure de contrôle n’existe actuellement.
Il n’est pour autant pas question d’aller jusqu’à soumettre de telles conventions à la procédure des conventions réglementées, mais simplement d’offrir aux actionnaires de la société mère le droit d’en avoir connaissance, puisque tel n’est pas le cas aujourd’hui. Cette obligation d’information ne concernerait toutefois pas l’hypothèse des conventions courantes conclues à des conditions normales.
Le gouvernement souhaite aller vite sur ces questions et a sollicité du Parlement l’autorisation de procéder par voie d’ordonnance, c’est-à-dire de « légiférer » lui-même, sous le contrôle du Parlement. Il est donc vraisemblable que l’on soit rapidement fixé sur le sort qui sera réservé aux propositions du gouvernement.
En attendant, rapproché des dernières innovations législatives en matière de droit des groupes, le projet de loi du 4 septembre appelle deux observations.
D’abord, le principe nouveau contribue à parfaire une sorte de régime autonome de la filiale à 100%. La singularité est de plus en plus prégnante, qu’il s’agisse de la fusion simplifiée, de la dissolution sans liquidation, et maintenant du non-respect des conventions réglementées mais aussi, en contrepartie, du risque tant en droit de la concurrence qu’en droit du travail (co-emploi) de voir facilement mise en oeuvre la responsabilité de la mère. Dans le droit français des groupes, la filiale à 100 % tend à affirmer sa singularité.
Ensuite, la fiction qui fonde l’autonomie juridique des entités membres du groupe est durement mise à l’épreuve dans l’hypothèse d’un contrôle à 100%. Pour cause, économiquement parlant, le groupe est un espace intégré, tandis que, juridiquement parlant, il constitue une somme d’entités indépendantes. Au fil des réformes et à la lumière de celle qui est en cours, on observe une certaine réconci¬liation des visions économiques et juridiques dans le cas des filiales à 100%.
Au final, si l’on doit probablement se réjouir de ces innovations, force est de constater que celles-ci restent très restreintes par rapport au nombre important de propositions des travaux de place. Très peu de celles formulées ont été reprises, mais il est vrai que le projet de loi vise uniquement à simplifier les contraintes administratives pesant sur les entreprises, ce qui n’était pas la finalité recherchée par toutes les propositions de place.
A propos de l’auteur
Christophe Lefaillet, avocat associé spécialisé en droit des sociétés et en droit boursier, il couvre l’ensemble des questions relatives aux opérations transactionnelles de rapprochement et de restructuration pour des sociétés cotées et non cotées.
Article paru dans la revue Option Finance du 7 octobre 2013
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