Vers un encadrement du vapotage en entreprise
28 juin 2016
Alors que la loi «santé» a récemment interdit de vapoter dans les lieux de travail fermés et couverts à usage collectif, les limites de cette prohibition restent à fixer. La cigarette électronique sera-telle aussi strictement bannie que la cigarette classique?
L’interdiction générale de fumer dans les entreprises
Si la loi Evin du 10 janvier 1991 avait posé les jalons de l’interdiction de fumer dans les entreprises, cette dernière est devenue effective avec l’édiction des décrets n°2006-1386 du 15 novembre 2006 et n°2007-1133 du 24 juillet 2007 qui ont fixé les modalités de cette interdiction et les sanctions applicables aux contrevenants.
Ainsi, l’article R. 3511-11 du Code de la santé publique précise qu’il est interdit de fumer dans tous les «lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail».
A cet égard, l’Administration avait précisé, dans une circulaire du 24 novembre 2006 concernant la lutte contre le tabagisme, que les lieux de travail concernés étaient de deux sortes :
- la circulaire visait tout d’abord les locaux clos et couverts affectés à l’ensemble des salariés, tels que les locaux d’accueil et de réception, les locaux affectés à la restauration collective, les salles de réunion et de formation, les salles et espaces de repos, les locaux réservés aux loisirs, à la culture, ou encore, les locaux sanitaires ;
- de plus, elle précisait qu’étaient également concernés par l’interdiction de fumer les bureaux individuels, dès lors qu’ils peuvent être ouverts aux autres salariés, mais aussi à des tiers (clients, fournisseurs, agents de propreté, etc.). Les modalités de l’interdiction de fumer ont ainsi été fixées au regard de la nécessité de lutter contre le tabagisme passif.
Dès lors, à moins de se trouver dans un lieu à ciel ouvert (de type chantier ou terrasse) où la cigarette n’est pas encore proscrite, il est rigoureusement interdit de fumer à l’intérieur des bâtiments constituant des lieux de travail.
Le Code de la santé publique permet néanmoins à l’employeur de mettre en place des emplacements réservés pour fumeurs disposant d’un dispositif d’extraction par ventilation mécanique, après avoir recueilli l’avis du CHSCT (ou à défaut, celui des délégués du personnel) et du médecin du travail.
De plus, des sanctions ont été édictées en cas de violation des textes relatifs à l’interdiction de fumer au travail.
Si les fumeurs eux-mêmes s’exposent à une contravention de 3e classe (450 euros au maximum), les entreprises qui ont mis en place des emplacements non conformes, qui ne mettent pas en place la signalisation prévue ou qui favorisent sciemment le non-respect de l’interdiction de fumer, s’exposent à une contravention de 4e classe (750 euros).
Mais en réalité, ce sont les sanctions civiles qui peuvent paraître les plus lourdes. En effet, la Cour de cassation a jugé que les entreprises avaient, en matière de tabagisme, une obligation de sécurité de résultat (Cass. Soc, 29/06/2005). Un salarié victime de tabagisme passif peut donc prendre «acte de la rupture» aux torts exclusifs de l’employeur si ce dernier viole les obligations résultant du Code de la santé publique (Cass. Soc, 6/10/2010).
L’interdiction de «vapoter» au bureau : des contours à définir
L’arrivée de la «cigarette électronique» oblige à repenser les choses.
Si elle se présente comme une alternative moins nocive que la cigarette traditionnelle, une étude de l’INRS datant de mars 2013 soulignait néanmoins le fait que, selon plusieurs études expérimentales, elle pouvait malgré tout avoir des conséquences néfastes pour la santé et l’environnement.
Dans ce contexte, le Gouvernement s’est interrogé sur l’opportunité de réglementer spécifiquement le «vapotage» au travail et a interrogé le Conseil d’Etat sur ce point.
Dans son avis du 17 octobre 2013, la Haute juridiction administrative a indiqué que la législation actuelle sur l’interdiction de fumer n’était ni directement applicable, ni directement transposable à la cigarette électronique. Elle a également rappelé que le législateur pouvait apporter des restrictions à la liberté de «vapoter» sans que, en l’état des études scientifiques, l’interdiction ne puisse être aussi générale que celle applicable à la cigarette traditionnelle.
Ainsi, la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé a modifié l’article L.3511-7-1 du Code de la santé publique, qui proscrit désormais le vapotage dans les «lieux de travail fermés et couverts à caractère collectif».
Cependant, cette interdiction doit encore être précisée par un décret d’application, qui n’est pas encore paru.
Plusieurs questions restent donc en suspens : s’il est à peu près certain que tous les lieux de passage fermés, les salles de réunion, les locaux d’accueil et de restauration… seront interdits à la cigarette électronique, la loi ne tranche pas la question de la licéité du vapotage dans les bureaux individuels.
Dès lors que selon le Conseil d’Etat, l’interdiction de vapoter ne devrait pas être aussi générale que l’interdiction de fumer, les bureaux individuels pourraient être exclus de l’interdiction de vapoter. A moins que le Gouvernement ne choisisse de privilégier le principe de précaution en considérant que même dans un bureau individuel, des tiers (collègues ou prestataires) pourraient être victimes d’un vapotage passif…
De plus, le futur décret devra régler la question de la sanction applicable aux contrevenants, qu’il s’agisse des «vapoteurs» ou des employeurs qui auraient sciemment laissé les salariés «vapoter» dans des lieux soumis à interdiction.
En attendant la publication du décret, les entreprises doivent d’ores et déjà faire respecter l’interdiction légale de vapoter dans les lieux fermés et couverts à usage collectif. Dès que l’étendue de cette prohibition sera plus précisément connue, elles pourront utilement modifier leur règlement intérieur -après avoir consulté leurs représentants du personnel- pour délimiter les zones dans lesquelles la cigarette électronique est autorisée et celles où elle est interdite.
Auteurs
Caroline Froger-Michon, avocat en matière de droit social
Guillemette Peyre, avocat, en matière de droit social.
Vers un encadrement du vapotage en entreprise – Article paru dans Les Echos Business le 28 juin 2016A lire également
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